Criminal proceedings against Bernard Keck and Daniel Mithouard.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1993:160
Docket NumberC-268/91,C-267/91
Celex Number61991CC0267(01)
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date28 April 1993
EUR-Lex - 61991C0267(01) - FR 61991C0267(01)

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 28 avril 1993. - Procédure pénale contre Bernard Keck et Daniel Mithouard. - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Strasbourg - France. - Libre circulation des marchandises - Interdiction de la revente à perte. - Affaires jointes C-267/91 et C-268/91.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-06097
édition spéciale suédoise page I-00431
édition spéciale finnoise page I-00477


Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. En application de l' article 95, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 juin 1991 (1), la deuxième chambre a renvoyé les présentes affaires devant la Cour plénière. Par ordonnance du 9 décembre 1992, les parties ayant déposé des observations écrites devant la Cour ont également été invitées à répondre, lors de l' audience, à trois questions (2).

Dans ces secondes conclusions, nous examinerons principalement les observations présentées à l' audience du 9 mars 1993 et nous verrons si elles modifient les constatations auxquelles nous avons abouti dans nos premières conclusions du 18 novembre 1992. Concernant les antécédents du litige, nous pouvons nous référer aux conclusions précitées et au rapport d' audience. Il suffit de rappeler qu' il s' agit en l' espèce d' apprécier la compatibilité avec l' article 30 du traité CEE d' une interdiction nationale de la revente à perte.

Nature de la réglementation de la revente a perte

2. Nous examinerons d' abord la troisième question posée par la Cour, celle de savoir si une interdiction de la revente à perte constitue un instrument pour la répression d' un moyen de promotion des ventes ou si elle fait partie d' un régime national de réglementation des prix. La demande de renseignements de la Cour nous parait inspirée par la jurisprudence qu' elle a développée au sujet des régimes nationaux de réglementation des prix. La Cour a en effet itérativement constaté

"que des mesures nationales réglementant la fixation des prix, indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés, ne constituent pas en elles-mêmes une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative, mais qu' elles peuvent produire un tel effet lorsque, en raison du niveau du prix fixé, elles désavantagent les produits importés, notamment parce que leur avantage concurrentiel résultant d' un prix de revient inférieur est neutralisé ou parce qu' un prix maximal est fixé à un niveau tellement bas que - compte tenu de la situation générale des produits importés comparée à celle des produits nationaux - les opérateurs désirant importer les produits dont il s' agit dans l' État membre concerné ne pourraient le faire qu' à perte" (3).

En d' autres termes, cette jurisprudence ne voit dans les régimes nationaux de réglementation des prix une mesure d' effet équivalent prohibée par l' article 30 que dans la mesure où ces régimes entravent ou empêchent l' écoulement des produits importés ou le rendent plus difficile que celui des produits nationaux (4), soit en privant les produits importés de l' avantage résultant d' un prix de revient inférieur, soit en contraignant d' éventuels importateurs à se procurer le produit à perte.

3. Comme il fallait s' y attendre, la réponse unanime des parties a été que la législation française litigieuse, qui ne vise pas à intervenir dans la formation normale des prix, ne fait pas partie d' un régime national de réglementation des prix. Il peut du reste difficilement en être autrement, étant donné que la France a supprimé son régime de réglementation des prix - à quelques exceptions près - par ordonnance du 1er décembre 1986 (5). Cette même ordonnance a introduit également, à son article 32, la version actuellement en vigueur de la prohibition de la revente à perte qui est en cause en l' espèce (6).

La question posée par la Cour n' a pas manqué de susciter de la part du gouvernement français un certain nombre de considérations sur la nature de la vente à perte et de sa réglementation et cela afin de différencier les situations rencontrées dans des affaires telles que Oosthoek et Buet de celle qui se présente en l' espèce. Brièvement résumée, la thèse du gouvernement est que la réglementation française ne constitue pas un instrument pour la répression d' une certaine méthode de promotion des ventes mais un moyen de répression contre une forme de concurrence déloyale entre distributeurs (7).

L' expérience française de la recherche et de la répression de la vente à perte montrerait en effet que ce type de vente est avant tout une technique d' attaque appliquée par les grands réseaux de distribution - fortement concentrés dans ce pays. En outre, la plupart des infractions à l' interdiction de la revente à perte ne concerneraient pas, dans la pratique, des produits nouvellement lancés, mais des produits de consommation qui ont une notoriété (lessives, cafés, boissons, conserves) et dont le prix habituel est connu du consommateur. Il résulterait de tout cela que la réglementation de la vente à perte, à la différence des réglementations en cause dans les affaires Oosthoek (interdiction d' un système de cadeaux) et Buet (interdiction de la vente de matériel pédagogique par le biais du démarchage), constitue une réglementation générale du marché qui n' a pas pour but de régir les courants commerciaux entre les États membres mais est la conséquence d' un choix de politique économique, à savoir la réalisation d' un certain niveau de transparence et de loyauté dans les conditions de concurrence.

4. Bien que ces observations soient de nature à clarifier les conditions de marché et de concurrence en France, elles n' enlèvent rien à la constatation que la vente à perte est une technique de vente susceptible, dans certaines circonstances bien précises, de rendre impossible ou plus difficile l' écoulement des produits importés, ainsi que nous tenterons encore une fois de l' expliquer ci-dessous.

Le gouvernement français voit surtout dans la vente à perte une stratégie d' élimination de la concurrence. L' analogie qu' il relève à plusieurs reprises avec le phénomène du dumping (8)montre qu' il a en vue la situation d' une entreprise, souvent une grande surface, qui tente d' éliminer ses concurrents, au niveau du commerce de détail, en vendant à perte pendant une certaine période dans le but, une fois le concurrent éliminé, d' utiliser la position dominante ainsi acquise pour imposer des prix supérieurs aux consommateurs.

Ainsi que nous l' avons déjà observé dans nos premières conclusions, cette stratégie constitue effectivement une manifestation bien spécifique de vente à perte, dont la répression peut être jugée nécessaire par un État membre afin d' assurer la loyauté des transactions commerciales - reconnue par la Cour comme exigence impérative au titre de l' article 30 - ou d' empêcher que la concurrence soit faussée. Le droit communautaire ne pose aucun problème à cet égard. Dans nos conclusions précédentes, nous avons également reconnu qu' une justification semblable, cette fois dans un but de protection des consommateurs, ne saurait être refusée à la réglementation d' un autre type de vente à perte, à savoir ce qu' il est convenu d' appeler "procédé d' appel" (ou "loss-leadering"): cette technique consiste à attirer les clients sur la base de...

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