Salzgitter Mannesmann Handel GmbH v SC Laminorul SA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:322
Date16 May 2013
Celex Number62012CC0157
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-157/12
62012CC0157

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 16 mai 2013 ( 1 )

Affaire C‑157/12

Salzgitter Mannesmann Handel GmbH

contre

SC Laminorul SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 44/2001 — Exécution d’une décision rendue dans un autre État membre — Motifs de refuser l’exécution — Décision rendue antérieurement dans le même État membre entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause — décisions inconciliables»

1.

Une juridiction d’un État membre doit-elle refuser de donner force exécutoire à un jugement rendu dans un autre État membre s’il est en contradiction avec une décision de justice de ce dernier État membre? Cette nouvelle question résume en substance le dilemme que connaît le Bundesgerichtshof (Cour fédérale suprême, Allemagne).

I – Le cadre juridique

2.

En vertu de l’article 45, paragraphe 1, du règlement (CE) no 44/2001 ( 2 ) (ci‑après le «règlement»), la juridiction saisie d’un recours contre une déclaration constatant la force exécutoire «ne peut refuser ou révoquer [cette] déclaration» que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35 du règlement. D’après article 45, paragraphe 2, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond.

3.

Dans l’affaire au principal, les passages pertinents de l’article 34 du règlement se lisent ainsi:

«Une décision n’est pas reconnue si:

[…]

3

elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis;

4)

elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre requis.»

4.

À la date du 10 janvier 2015, l’article 34, points 3 et 4, du règlement sera remplacé par l’article 45, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement (UE) no 1215/2012 ( 3 ). Le texte de ces nouvelles dispositions ne s’écarte pas de manière significative de celui des dispositions actuellement en vigueur.

II – Les faits à l’origine du litige au principal, la procédure et la question préjudicielle

5.

SC Laminorul SA (ci-après «Laminorul»), société établie en Roumanie, a engagé une action en vue d’obtenir le paiement d’une livraison de produits sidérurgiques contre Salzgitter Mannesmann Handel GmbH (ci-après «Salzgitter») devant le Tribunalul Brăila (tribunal de première instance de Brăila, Roumanie).

6.

Par jugement du 31 janvier 2008 (ci-après le «premier jugement»), le Tribunalul Brăila a rejeté ce recours au motif qu’il n’était pas dirigé contre l’autre partie au contrat en cause, à savoir Salzgitter Mannesmann Stahlhandel GmbH (anciennement Salzgitter Stahlhandel GmbH). Ce jugement est devenu définitif.

7.

Laminorul a engagé une nouvelle procédure contre Salzgitter devant la même juridiction, et portant sur la même cause. Le recours a été notifié à l’ancien représentant légal de Salzgitter en Roumanie dont le mandat pour agir au nom de cette société avait, d’après Salzgitter, été limité au premier recours. C’est la raison pour laquelle personne n’a comparu pour le compte de Salzgitter lors de l’audience organisée par la juridiction roumaine qui, le 6 mars 2008, a rendu contre Salzgitter un jugement par défaut la condamnant à payer 188330 euros à Laminorul (ci-après le «second jugement»).

8.

Salzgitter a demandé l’annulation du second jugement au motif qu’elle n’avait pas été citée dans les formes légales lors du second procès. Le Tribunalul Brăila a rejeté cette demande par décision du 8 mai 2008, au motif que Salzgitter ne s’était pas acquittée des droits de timbre requis.

9.

Le second jugement a été déclaré exécutoire par ordonnance du Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne) du 21 novembre 2008. Salzgitter a fait appel de cette ordonnance.

10.

À la fin de l’année 2008, Salzgitter a aussi introduit un appel en Roumanie en vue d’obtenir l’annulation du second jugement, soutenant à nouveau qu’elle n’avait pas été citée à comparaître à l’audience. Cet appel a été rejeté comme irrecevable par arrêt du 19 février 2009.

11.

Salzgitter a alors introduit un nouvel appel en vue d’obtenir l’annulation du second jugement, sur le fondement de l’autorité de la chose jugée liée au premier jugement. La Curtea de Apel Galați (cour d’appel de Galați, Roumanie) a rejeté cet appel par arrêt du 8 mai 2009, au motif qu’il était hors délais, décision qui a été confirmée ensuite par l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par arrêt du 13 novembre 2009.

12.

Étant donné que les voies de recours disponibles en Roumanie étaient désormais épuisées, la procédure engagée en Allemagne en vue d’obtenir une déclaration constatant la force exécutoire – qui avait été suspendue au stade de l’appel – a repris. L’appel de Salzgitter contre la déclaration constatant la force exécutoire a été rejeté comme non fondé par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal administratif supérieur de Düsseldorf, Allemagne), par ordonnance du 28 juin 2010.

13.

C’est dans ces circonstances que Salzgitter a introduit devant le Bundesgerichtshof un pourvoi contre la force exécutoire du second jugement.

14.

Ayant des doutes quant à l’interprétation de l’article 34, point 4, du règlement no 44/2001, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à la procédure et de déférer à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 34, point 4, du règlement […] recouvre-t-il également le cas de décisions inconciliables provenant du même État membre (l’État de condamnation)?»

15.

Salzgitter, les gouvernements allemand, espagnol, italien et roumain ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Lors de l’audience du 14 mars 2013, Salzgitter et la Commission ont présenté leurs observations orales.

III – Observations de la juridiction de renvoi et des parties devant la Cour

16.

La juridiction de renvoi considère que le motif de refus prévu à l’article 34, point 2, du règlement est inapplicable au cas d’espèce étant donné que Salzgitter a eu l’occasion de prendre des mesures pour sa défense. Elle exclut, en outre, les motifs de refus énoncés audit article 34, points 1 et 3, ainsi que ceux énoncés à l’article 35 du règlement. Par conséquent, de l’avis de la juridiction de renvoi, l’issue de la procédure dépend de l’interprétation du motif de refus prévu à l’article 34, point 4, du règlement. En vertu de l’article 45, paragraphe 1, du règlement, cette disposition s’applique aux recours contre une déclaration constatant la force exécutoire.

17.

D’après la juridiction de renvoi, le premier jugement, qui a rejeté l’action en paiement de Laminorul, et le second jugement, qui lui a donné raison, sont inconciliables. La juridiction de renvoi relève, en outre, que le premier jugement remplit les conditions pour être reconnu en Allemagne.

18.

Partant, le Bundesgerichtshof soumet à l’examen de la Cour deux interprétations divergentes de l’article 34, point 4, du règlement. Selon la première argumentation, qui est, notamment, étayée par le texte de la disposition, l’article 34, point 4, du règlement suppose une situation impliquant trois États. L’exception ne concerne que des cas dans lesquels l’État membre sollicité est confronté à deux décisions inconciliables rendus dans deux États membres différents, ou dans un État membre et un pays tiers. Cette interprétation a la faveur des gouvernements espagnol, italien et roumain, ainsi que de la Commission.

19.

Selon la seconde argumentation, les motifs de refus s’appliquent aussi à une situation impliquant deux décisions inconciliables rendues dans le même État membre («conflit interne»). Ce point de vue repose d’abord sur une certaine perception de l’économie et de la finalité de l’article 34, points 3 et 4, du règlement. À cet égard, cet article 34, point 3, est censé couvrir des situations de conflits de décisions bilatéraux entre l’État membre requis et un autre État membre, alors que ledit article 34, point 4, englobe tous les autres cas de conflits entre des décisions étrangères. C’est le point de vue défendu par Salzgitter.

20.

Le gouvernement allemand fait valoir que le règlement ne se prête pas à résoudre des conflits de décisions qui peuvent être résolus sur la base du droit national. Il observe néanmoins que, dans des cas exceptionnels, tels que celui dont la juridiction de renvoi a été saisie, dans lesquels un conflit ne peut être résolu sur la base du droit national de l’État membre de condamnation, l’article 34, point 4, du règlement a vocation à s’appliquer, de manière à combler le vide juridique. Cette possibilité, formulée à titre subsidiaire par Salzgitter, est également évoquée par la juridiction de renvoi.

IV – Analyse juridique

A – Propos introductifs

21.

De la même manière que son prédécesseur, la convention de Bruxelles ( 4 ), le règlement a pour objet de «régler les compétences judiciaires pour la solution des litiges en matière civile et commerciale dans les relations entre ces États et de faciliter l’exécution des décisions judiciaires» ( 5 ).

22.

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