Enirisorse SpA v Sotacarbo SpA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:21
Docket NumberC-237/04
Celex Number62004CC0237
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeCuestión prejudicial - inadmisible
Date12 January 2006

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. POIARES MADURO

présentées le 12 janvier 2006 (1)

Affaire C-237/04

Enirisorse SpA

contre

Sotacarbo SpA

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Cagliari (Italie)]

«Notion d’aides d’État – Entreprise publique ayant pris une participation dans le capital d’une société – Faculté de retrait sous réserve de renonciation à tout droit sur le patrimoine de la société»





1. Par une ordonnance du 14 mai 2004, le Tribunale di Cagliari (Italie) a posé à la Cour deux questions préjudicielles portant respectivement sur l’interprétation des articles 87 CE et 88 CE et des articles 43 CE, 44 CE , 48 CE et 49 CE. L’examen de la première de ces questions conduit à discuter, à nouveau, les conditions qui régissent la notion d’aide d’État.

I – Cadre factuel et juridique du litige au principal

2. La demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Enirisorse SpA (ci-après «Enirisorse») à la Società Tecnologie Avanzate Carbone SpA (ci‑après «Sotacarbo»). Ce litige est né dans les conditions suivantes. Enirisorse est une filiale du groupe Ente Nazionale Idrocarburi (ci‑après «ENI»), établissement public chargé de la gestion des participations étatiques dans le secteur énergétique. Par la loi n° 351 du 27 juin 1985 (GURI n° 166, du 16 juillet 1985, p. 5019, ci-après la «loi n° 351/85»), ENI a été autorisé, conjointement avec deux autres organismes publics, ENEL et ENEA, à constituer une société anonyme en vue de développer des technologies innovantes et avancées dans l’utilisation du charbon. La même loi prévoyait que le financement de cette opération était en totalité pris en charge par le budget de l’État. Ainsi fut créée Sotacarbo. En vue d’aider à la réalisation d’un centre de recherche sur le charbon en Sardaigne, ENI a versé à Sotacarbo la somme de 12 708 900 033 ITL au titre d’apport en capital.

3. En 1992, ENI et ENEL ont été privatisés et transformés en sociétés anonymes. Pour accompagner cette transformation, la loi n° 140 du 11 mai 1999 (GURI n° 117, du 21 mai 1999, p. 4, ci-après la «loi n° 140/99») a autorisé ces deux sociétés à se retirer de Sotacarbo, à condition de payer les parts qui n’avaient pas encore été libérées. Ayant récupéré les participations détenues par ENI dans Sotacarbo, Enirisorse a choisi d’exercer le droit de retrait ouvert par la loi n° 140/99. Elle a procédé, en conséquence, au versement des parts non encore libérées et demandé à Sotacarbo de prendre acte de ce retrait en procédant au remboursement de ses actions conformément à l’article 2437 du code civil italien.

4. Celui-ci dispose:

«Les associés opposés aux décisions concernant le changement d’objet ou de type de la société ou le transfert du siège social à l’étranger ont le droit de se retirer de la société et d’obtenir le remboursement de leurs actions, au prix moyen pratiqué pendant les six derniers mois, si les actions sont cotées en bourse ou, dans le cas contraire, en proportion du patrimoine social résultant du bilan du dernier exercice.»

5. Réunie en assemblée extraordinaire le 12 février 2001, Sotacarbo a pris acte du retrait et décidé d’annuler les actions d’Enirisorse. Cependant, elle a refusé d’accéder à la demande de remboursement, au motif qu’un tel remboursement affecterait la poursuite de sa mission d’intérêt général telle que fixée par la loi. Par un recours introduit le 8 juin 2001, le Tribunale di Cagliari a été saisi d’une demande d’Enirisorse tendant au remboursement d’une somme équivalente à la valeur de ses actions.

6. Ainsi était fixé le cadre du litige lorsque, le 12 décembre 2002, la loi n° 273 fut adoptée (supplément ordinaire à la GURI n° 293, du 14 décembre 2002, ci‑après la «loi n° 273/02»). En son article 33, celle-ci dispose:

«En vue d’assurer à Sotacarbo les disponibilités financières indispensables à la mise en œuvre du programme d’activité visé à l’article 7, paragraphe 5, de la loi n° 140 du 11 mai 1999, les associés de la société sont tenus au paiement des parts non encore libérées dans les soixante jours de l’entrée en vigueur de la présente loi et disposent d’une faculté de retrait à condition de renoncer à tout droit sur le patrimoine de la société et de faire l’apport des parts encore dues. Les déclarations de retrait déjà communiquées à Sotacarbo SpA conformément à l’article 7, paragraphe 4, de la loi n° 140 du 11 mai 1999 peuvent encore être révoquées dans les trente jours à partir de l’entrée en vigueur de la présente loi. Passé ce délai, le retrait est considéré comme définitif avec acceptation sans réserve des conditions susmentionnées de la part de l’associé qui se retire.»

7. Devant la juridiction de renvoi, Enirisorse a exprimé des doutes quant à la compatibilité de cette loi avec certaines dispositions du traité CE. Considérant que ces doutes étaient fondés, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, en vertu de l’article 234 CE, les questions suivantes:

«1) La disposition visée à l’article 33 de la loi n° 273/02 constitue‑t‑elle une aide d’État incompatible au titre de l’article 87 CE en faveur de Sotacarbo SpA, aide qui serait de surcroît illégale puisqu’elle n’a pas été notifiée conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE?

2) La disposition précitée est-elle contraire aux articles 43 CE, 44 CE, 48 CE, 49 CE et suivants en matière de liberté d’établissement et de libre circulation des services?»

8. Rappelons que, aux termes de l’article 87, paragraphe 1, CE, «sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions». Selon l’article 88, paragraphe 3, CE, «la Commission est informée, en temps utile pour présenter des observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l’article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale».

II – Sur la recevabilité des questions préjudicielles

A – Quant à la demande en général

9. La défenderesse au principal reproche à la juridiction de renvoi de ne point restituer avec suffisamment de clarté et d’impartialité les éléments du litige, en omettant d’inclure des indications précises sur les circonstances de fait et de droit qui entourent le litige et en prenant parti pour les arguments soulevés par la demanderesse. Elle estime en conséquence que la demande est irrecevable.

10. Il est vrai que «la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insère la question qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique l’hypothèse factuelle sur laquelle cette question est fondée» (2). En revanche, dès lors qu’il fournit à la Cour des éléments suffisants permettant à celle-ci d’apporter une réponse utile, on ne saurait lui reprocher de faire part, dans la décision de renvoi, de sa propre appréciation des arguments présentés devant lui. Une telle pratique est tout à fait conforme à la nature de la coopération juridictionnelle prévue à l’article 234 CE, qui appelle une collaboration active des juridictions nationales (3).

11. En l’espèce, l’ordonnance de renvoi expose certes brièvement mais précisément l’origine et la nature du litige, ainsi que le cadre juridique national pertinent. Bien qu’une erreur matérielle concernant la numérotation de la législation nationale mise en cause se soit glissée dans la rédaction des questions posées (4), celle-ci ne saurait à elle seule entacher la demande d’irrecevabilité.

12. Les arguments de la partie défenderesse relatifs à la forme de l’ordonnance de renvoi doivent donc être rejetés. Il en est d’autres, plus sérieux, qui portent sur le contenu des questions posées.

B – Quant à la première question

13. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande à la Cour de se prononcer sur la compatibilité d’une disposition nationale avec les articles 87 CE et 88 CE.

14. Cette question doit être reformulée. Il est constant que, dans le cadre d’une procédure introduite en vertu de l’article 234 CE, la Cour n’est pas compétente pour interpréter le droit national ou statuer sur la compatibilité d’une mesure nationale avec le droit communautaire (5). En outre, il est besoin de rappeler que l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aides avec le marché commun relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle du juge communautaire. En conséquence, une juridiction nationale ne saurait, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, interroger la Cour sur la compatibilité avec le marché commun d’une aide d’État (6).

15. En revanche, si elle éprouve des doutes sur la qualification d’aide d’État de la mesure nationale en cause, celle-ci peut ou doit, selon les cas, poser une question préjudicielle à la Cour sur l’interprétation de l’article 87 CE (7). En effet, au cas où telle mesure serait constitutive d’une aide d’État, il lui faudrait vérifier que la procédure de contrôle préalable instituée par l’article 88, paragraphe 3, CE a bien été respectée. Si tel n’est pas le cas, la juridiction nationale est tenue de garantir aux justiciables que toutes les conséquences d’une violation de cette disposition seront tirées, conformément à son droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition (8).

16. Il résulte de ce qui...

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