Anton Las v PSA Antwerp NV.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:456
Date12 July 2012
Celex Number62011CC0202
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-202/11
62011CC0202

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 12 juillet 2012 ( 1 )

Affaire C‑202/11

Anton Las

contre

PSA Antwerp NV

[demande de décision préjudicielle formée par l’arbeidsrechtbank te Antwerpen (Belgique)]

«Interprétation de l’article 45 TFUE — Libre circulation des travailleurs — Restrictions — Emploi des langues — Réglementation prévoyant une obligation pour une entreprise située dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique de rédiger en néerlandais, sous peine de nullité, tous les documents relatifs aux relations de travail — Contrat de travail présentant un caractère international — Article 4 TUE — Diversité linguistique — Identité nationale — Absence de proportionnalité des mesures en cause»

I – Introduction

1.

Dans la présente affaire, l’arbeidsrechtbank te Antwerpen (tribunal du travail d’Anvers) (Belgique) demande à la Cour de statuer sur le point de savoir si les dispositions de l’article 45 TFUE ( 2 ) s’opposent à une réglementation telle que le décret de la Communauté flamande du Royaume de Belgique, adopté le 19 juillet 1973, réglant l’emploi des langues dans les relations sociales entre les employeurs et les travailleurs ainsi que dans les actes et documents d’entreprises prescrits par la loi et les règlements ( 3 ) (ci-après le «décret flamand sur l’emploi des langues»).

2.

En vertu de ce texte, dès lors qu’un employeur a son siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise ( 4 ), l’usage de cette langue est imposé pour toutes les «relations sociales», au sens large puisque cette notion apparaît englober, outre les contrats de travail, l’ensemble des contacts individuels et collectifs, tant verbaux qu’écrits, qui s’établissent entre les employeurs et les travailleurs et qui ont un rapport direct ou indirect avec l’emploi.

3.

Des exigences similaires mutatis mutandis figurent dans les normes de droit du travail des autres entités du Royaume de Belgique et de certains États membres de l’Union européenne, mais elles donnent lieu à des modalités d’application différentes.

4.

La demande de décision préjudicielle a été déférée à la Cour dans le cadre d’un litige survenu, au sujet du paiement de diverses sommes consécutivement à un licenciement, entre M. Las, ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas mais exerçant ses activités salariées principalement en Belgique, et son ancien employeur, PSA Antwerp NV (ci-après «PSA Antwerp»), société établie en Flandre appartenant à un groupe d’envergure internationale.

5.

En substance, la juridiction de renvoi invite la Cour à déterminer si le principe de la libre circulation des travailleurs s’oppose, au motif qu’une entrave non justifiée et/ou disproportionnée à cette liberté serait constituée, à ce qu’une réglementation d’un État membre impose, dans des conditions équivalentes à celles prévues par le décret en cause, l’usage d’une langue définie pour la rédaction de documents de travail, et ce lorsque les relations de travail en cause s’inscrivent dans un contexte transfrontalier.

6.

La Cour a déjà posé des jalons essentiels pour répondre à la présente demande, en disant pour droit dans l’arrêt Groener ( 5 ) que «[l]es dispositions du traité CEE ne s’opposent pas à l’adoption d’une politique qui vise la défense et la promotion de la langue d’un État membre qui est tout à la fois la langue nationale et la première langue officielle. Toutefois, la mise en œuvre de cette politique ne doit pas porter atteinte à une liberté fondamentale telle que la libre circulation des travailleurs. Dès lors, les exigences découlant des mesures destinées à mettre en œuvre une telle politique ne doivent en aucun cas être disproportionnées par rapport au but poursuivi et les modalités de leur application ne doivent pas comporter de discriminations au détriment des ressortissants d’autres États membres».

II – Le cadre juridique

7.

Le décret flamand sur l’emploi des langues ( 6 ), qui fait l’objet de la demande de décision préjudicielle, a été adopté sur le fondement de l’article 129, paragraphe 1, troisième alinéa, de la Constitution belge en application duquel «[l]es Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret, à l’exclusion du législateur fédéral, l’emploi des langues pour: [...] les relations sociales entre les employeurs et leur personnel, ainsi que les actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements».

8.

L’article 1er, premier alinéa, du décret flamand sur l’emploi des langues définit le champ d’application de celui-ci en ces termes:

«Le présent décret est applicable aux personnes physiques et morales ayant un siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise [ ( 7 )]. Il règle l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi qu’en matière d’actes et de documents d’entreprise prescrits par la loi. […]»

9.

L’article 2 de ce décret dispose que «[l]a langue à utiliser pour les relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi que pour les actes et documents des entreprises prescrits par la loi, est le néerlandais».

10.

L’article 5 dudit décret est libellé comme suit:

«Sont établis par l’employeur en langue néerlandaise tous les actes et documents des employeurs, prescrits par la loi, tous les documents destinés à leur personnel.

Toutefois, si la composition du personnel le justifie et à la demande unanime des délégués-travailleurs du conseil d’entreprise ou, à défaut de conseil d’entreprise, à la demande unanime de la délégation syndicale ou, à défaut des deux, à la requête d’un délégué d’une organisation syndicale représentative, l’employeur doit joindre aux avis, communications, actes, certificats et formulaires destinés au personnel, une traduction en une ou plusieurs langues.

[…]»

11.

L’article 10, premier, deuxième et cinquième alinéas, du même décret prévoit, au titre des sanctions de nature civile:

«Les documents ou les actes qui sont contraires aux dispositions du présent décret sont nuls. La nullité en est constatée d’office par le juge.

L’auditeur du travail compétent, le fonctionnaire de la Commission permanente de Contrôle linguistique et toute personne ou association pouvant justifier d’un intérêt direct ou indirect peuvent demander le constat de nullité devant le tribunal du travail du lieu où l’employeur est établi.

[…]

Le constat de nullité ne peut porter préjudice au travailleur et laisse subsister les droits de tiers. L’employeur répond du dommage causé par ses documents ou actes nuls au travailleur ou aux tiers.

[…]»

III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

12.

Sur la base d’une «Letter of Employment» datée du 10 juillet 2004 et rédigée en anglais (ci-après le «contrat de travail»), M. Las, ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas, a été engagé en qualité de «Chief Financial Officer», pour une durée indéterminée, par PSA Antwerp ( 8 ), société sise à Anvers (Belgique) mais appartenant à un groupe multinational exploitant des terminaux portuaires qui a son siège à Singapour. Le contrat de travail prévoyait que M. Las exerce ses activités professionnelles principalement en Belgique, même si certaines prestations devaient être fournies au départ des Pays-Bas.

13.

Par lettre du 7 septembre 2009 rédigée en anglais, M. Las a été licencié avec effet immédiat. En application de l’article 8 du contrat de travail, PSA Antwerp a versé à M. Las une indemnité de licenciement égale à trois mois de salaire ainsi qu’une indemnité complémentaire égale à six mois de salaire.

14.

Par courrier du 26 octobre 2009, l’avocat de M. Las a fait valoir auprès de PSA Antwerp que le contrat de travail, notamment son article 8, n’était pas rédigé en langue néerlandaise et que cette clause violait donc le droit applicable. Il a exigé le versement d’une indemnité de licenciement égale à 20 mois de salaire, l’arriéré de pécule de vacances, la prime de l’exercice 2008 et le pécule de vacances y afférent ainsi qu’une indemnité pour solde des jours de vacances non utilisés.

15.

La juridiction de renvoi indique que bien que le contrat de travail en cause contienne une clause attribuant compétence aux juridictions néerlandaises ainsi qu’une clause prévoyant l’application du droit néerlandais, les parties au litige au principal ont admis que le tribunal du travail belge était compétent et que le droit belge s’appliquait, en vertu de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ( 9 ). En revanche, les parties sont divisées concernant la langue qui aurait dû être utilisée pour la rédaction du contrat de travail et les conséquences qui en découlent.

16.

Le 23 décembre 2009, M. Las a saisi l’arbeidsrechtbank te Antwerpen aux fins d’obtenir la condamnation de PSA Antwerp à lui verser des sommes considérablement plus élevées que celles obtenues. Au soutien de ses prétentions, il a invoqué notamment que l’article 8 de son contrat de travail rédigé en anglais était entaché de nullité absolue pour violation des dispositions du décret flamand sur l’emploi des langues prévoyant l’usage du néerlandais dans les entreprises dont le siège d’exploitation est établi dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique.

17.

PSA Antwerp a opposé que ledit décret ne saurait être appliqué à des situations dans lesquelles une personne exerce son droit à la libre circulation des travailleurs, dès lors que ce texte constituerait un obstacle à cette liberté...

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