František Ryneš v Úřad pro ochranu osobních údajů.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2072
Date10 July 2014
Celex Number62013CC0212
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-212/13
62013CC0212

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 10 juillet 2014 ( 1 )

Affaire C‑212/13

František Ryneš

contre

Úřad pro ochranu osobních údajů

[demande de décision préjudicielle

formée par le Nejvyšší správní soud (République tchèque)]

«Rapprochement des législations — Traitement des données à caractère personnel — Directive 95/46/CE — Champ d’application — Dérogations — Article 3, paragraphe 2 — Notion d’‘exercice d’activités exclusivement personnelles ou domestiques’ — Enregistrement, par une caméra de surveillance, de l’entrée de la maison de la personne exploitant le système d’enregistrement, de l’espace public ainsi que de l’accès à une maison voisine»

I – Introduction

1.

La directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ( 2 ), régit ce domaine d’une manière étendue. Néanmoins, selon son article 3, paragraphe 2, deuxième tiret, ladite directive ne s’applique pas au traitement des données à caractère personnel «effectué par une personne physique pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles ou domestiques» ( 3 ).

2.

Le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque) interroge la Cour sur l’interprétation de cette exception dans le cadre d’un litige opposant M. František Ryneš au Úřad pro ochranu osobních údajů (Office pour la protection des données à caractère personnel, ci‑après l’«Office»), au sujet de la décision par laquelle ce dernier a constaté que M. Ryneš avait commis plusieurs infractions dans le domaine de la protection des données à caractère personnel en installant sous la corniche de sa maison une caméra de surveillance qui filmait non seulement sa maison, mais aussi la voie publique et la maison située en face.

3.

Sauf erreur de ma part, la Cour n’a jamais eu à connaître d’une affaire dans laquelle elle aurait constaté que les conditions d’application de l’article 3, paragraphe 2, deuxième tiret, de la directive 95/46 étaient réunies, quoique son applicabilité ait été invoquée notamment dans l’affaire Lindqvist ( 4 ). Compte tenu de l’approche qui sous‑tend la jurisprudence de la Cour, et notamment les arrêts récents Digital Rights Ireland et Seitlinger e.a. ( 5 ) ainsi que Google Spain et Google ( 6 ), lesquels font prévaloir le droit fondamental à la protection des données à caractère personnel, je proposerai dans les présentes conclusions de retenir que ladite exception ne couvre pas des situations telles celles visées dans la présente affaire et que, dès lors, la directive 95/46 s’applique.

4.

Il convient de souligner que le point de savoir si les activités effectuées par M. Ryneš «afin de protéger les biens, la santé et la vie des propriétaires de la maison» relèvent ou non du champ d’application de la directive 95/46 n’affecte pas dans l’absolu la possibilité d’effectuer une telle surveillance. La présente affaire a pour objet unique de préciser quel est le cadre juridique applicable à cet égard.

II – Cadre juridique

A – Le droit de l’Union

5.

L’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte») dispose que «[t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications».

6.

L’article 8, paragraphe 1, de la Charte prévoit que «[t]oute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant». Ses paragraphes 2 et 3 donnent les précisions suivantes:

«2. [Les données à caractère personnel] doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification.

3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante» ( 7 ).

7.

Les considérants 12 et 16 de la directive 95/46 énoncent:

«(12)

[...] doit être exclu le traitement de données effectué par une personne physique dans l’exercice d’activités exclusivement personnelles ou domestiques, telles la correspondance et la tenue de répertoires d’adresses;

(16)

[...] les traitements des données constituées par des sons et des images, tels que ceux de vidéo‑surveillance, ne relèvent pas du champ d’application de la présente directive s’ils sont mis en œuvre à des fins de sécurité publique, de défense, de sûreté de l’État ou pour l’exercice des activités de l’État relatives à des domaines du droit pénal ou pour l’exercice d’autres activités qui ne relèvent pas du champ d’application du droit communautaire».

8.

L’article 3 de la directive, intitulé «Champ d’application», prévoit:

«1. La présente directive s’applique au traitement des données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu’au traitement non automatisé des données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier.

2. La présente directive ne s’applique pas au traitement des données à caractère personnel:

mis en œuvre pour l’exercice d’activités qui ne relèvent pas du champ d’application du droit communautaire, telles que celles prévues aux titres V et VI du traité sur l’Union européenne, et, en tout état de cause, aux traitements ayant pour objet la sécurité publique, la défense, la sûreté de l’État (y compris le bien‑être économique de l’État lorsque ces traitements sont liés à des questions de sûreté de l’État) et les activités de l’État relatives à des domaines du droit pénal,

effectué par une personne physique pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles ou domestiques.»

B – La réglementation tchèque

9.

L’article 3, paragraphe 3, de la loi no 101/2000 Sb., relative à la protection des données à caractère personnel et à la modification de certaines lois (ci‑après la «loi no 101/2000») prévoit:

«la présente loi ne s’applique pas au traitement des données à caractère personnel effectué par une personne physique pour un usage exclusivement personnel».

10.

Conformément à l’article 5, paragraphe 2, sous e), de ladite loi, le traitement des données à caractère personnel n’est, en principe, possible qu’avec le consentement de la personne concernée. En l’absence d’un tel consentement, ledit traitement peut avoir lieu s’il s’avère nécessaire à la protection des droits et intérêts protégés par la loi du responsable du traitement, du destinataire ou d’une autre personne concernée. Ce traitement ne doit cependant pas porter atteinte au droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et familiale.

11.

L’article 44, paragraphe 2, de cette loi régit la responsabilité du responsable du traitement des données à caractère personnel, qui commet une infraction lorsqu’il traite des données à caractère personnel sans le consentement de la personne concernée, lorsqu’il ne fournit pas à la personne concernée les informations pertinentes et lorsqu’il ne satisfait pas à l’obligation de notification à l’autorité compétente.

III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

12.

Au cours de la période allant du 5 octobre 2007 au 11 avril 2008, M. Ryneš a utilisé une caméra située en dessous de la corniche du toit de sa maison. Elle était fixe, sans possibilité de rotation, et enregistrait l’entrée de sa maison, la voie publique ainsi que l’entrée de la maison située en face. Le système permettait uniquement un enregistrement vidéo, qui était stocké dans un dispositif d’enregistrement continu, à savoir le disque dur. Une fois sa capacité maximale atteinte, il écrasait l’enregistrement existant par un nouvel enregistrement. Le dispositif d’enregistrement ne comportait pas d’écran, de sorte que l’on ne pouvait pas visualiser l’image en temps réel. Seul M. Ryneš avait un accès direct au système et aux données enregistrées.

13.

La juridiction de renvoi relève que la seule raison de l’exploitation de cette caméra par M. Ryneš était de protéger les biens, la santé et la vie de celui‑ci ainsi que de sa famille. En effet, tant lui‑même que sa famille avaient fait l’objet d’attaques pendant plusieurs années de la part d’un inconnu n’ayant pas pu être démasqué. En outre, les fenêtres de la maison, qui appartient à son épouse, ont été brisées à plusieurs reprises entre 2005 et 2007.

14.

Au cours de la nuit du 6 au 7 octobre 2007, une fenêtre de la maison de M. Ryneš a été brisée par un tir de projectile au moyen d’une fronde. Grâce au système de vidéosurveillance en cause, deux suspects ont pu être identifiés. Les enregistrements ont été remis à la police et, par la suite, ont été invoqués comme moyen de preuve dans le cadre de la procédure pénale.

15.

L’un des suspects a demandé la vérification du système de surveillance de M. Ryneš et l’Office a, par décision du 4 août 2008, constaté que M. Ryneš avait commis des infractions au regard de la loi no 101/2000 du fait que:

en tant que responsable du traitement, il avait recueilli, par le biais d’un système de caméra, des données à caractère personnel sans le consentement des personnes se déplaçant dans la rue ou entrant dans la maison située de l’autre côté de la rue,

les personnes concernées n’avaient pas été informées du traitement de ces données à caractère personnel, de l’étendue et des objectifs de ce traitement, de la personne effectuant le traitement et de la manière dont ledit traitement s’opérait, ni des...

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