European Commission and Others v Yassin Abdullah Kadi.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:176
CourtCourt of Justice (European Union)
Docket NumberC‑584/10,C‑593/10,C‑595/10
Date19 March 2013
Celex Number62010CC0584
62010CC0584

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 19 mars 2013 ( 1 )

Affaires jointes C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P

Commission européenne,

Conseil de l’Union européenne,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

contre

Yassin Abdullah Kadi

«Pourvoi — Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) — Mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban — Règlement (CE) no 881/2002 — Gel des fonds et des ressources économiques d’une personne incluse dans une liste établie par un organe des Nations unies — Comité du Conseil de sécurité créé par le paragraphe 6 de la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité (comité des sanctions) — Inclusion d’une personne dans l’annexe I du règlement no 881/2002 — Recours en annulation — Droits fondamentaux — Droit d’être entendu, droit à un contrôle juridictionnel effectif et droit au respect de la propriété — Étendue et intensité du contrôle juridictionnel»

1.

Dans son arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission ( 2 ), la Cour a affirmé que les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité des actes des institutions de l’Union européenne qui mettent en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ( 3 ) prévoyant le gel des avoirs des personnes et des entités identifiées par le comité des sanctions du Conseil de sécurité ( 4 ) sur une liste récapitulative ( 5 ).

2.

Les présentes affaires amènent la Cour à préciser le périmètre et la nature de ce contrôle.

3.

La difficulté à laquelle la Cour est ici confrontée tient à l’enjeu de la problématique soulevée, à savoir la prévention du terrorisme coordonnée à l’échelle mondiale.

4.

Nous avons déjà indiqué, dans le cadre d’une autre affaire ( 6 ), les particularités que présente la lutte contre le terrorisme.

5.

Le terrorisme est une activité criminelle d’inspiration totalitaire niant le principe de liberté individuelle et dont le but est de s’emparer dans une société donnée des pouvoirs politique, économique et judiciaire afin d’y implanter l’idéologie qui la sous-tend. Le caractère imprévisible et l’effet dévastateur des actions terroristes imposent aux pouvoirs publics de développer tous les moyens de prévention envisageables. Dans cette perspective, la protection des moyens et des sources de renseignement est une priorité absolue. Elle doit permettre d’évaluer un degré de menace potentielle à laquelle doit répondre une mesure de prévention adaptée au risque décelé. Cette démarche nécessite une très grande souplesse dans l’approche, résultant du caractère protéiforme que revêt la réalité concrète. Les conditions de la menace et de la lutte menée contre elle peuvent, en effet, être différentes selon les lieux et les époques, tant la réalité et l’intensité du risque peuvent fluctuer au rythme des changements des conditions géopolitiques du monde.

6.

Pour autant, la lutte contre le terrorisme ne saurait amener les démocraties à abandonner ou à renier leurs principes fondateurs, au rang desquels figure l’État de droit. Elle les entraîne néanmoins à y apporter les modifications qu’appelle sa préservation.

7.

Les actions décidées par le Conseil de sécurité et les évaluations faites par le comité des sanctions quant à l’existence d’une menace terroriste susceptible de porter atteinte à la paix et à la sécurité internationales jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le terrorisme international.

8.

Dès lors, dans la définition de l’étendue et de l’intensité du contrôle qu’il exerce sur la légalité des actes de l’Union mettant en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, le juge de l’Union doit tenir compte de la responsabilité principale dont est investi cet organe international pour maintenir, à l’échelle mondiale, la paix et la sécurité.

9.

Dans les présentes conclusions, nous expliquerons d’abord pourquoi il n’est, selon nous, pas envisageable que la Cour revienne sur sa décision de n’accorder aucune immunité juridictionnelle aux règlements de mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité.

10.

Nous expliquerons ensuite quelles devraient être, à notre avis, l’étendue et l’intensité du contrôle exercé par les juridictions de l’Union sur de tels règlements. Après avoir indiqué les différents éléments qui s’opposent à la thèse retenue par le Tribunal de l’Union européenne dans son arrêt du 30 septembre 2010, Kadi/Commission ( 7 ), nous nous prononcerons en faveur d’un contrôle normal de la légalité externe et d’un contrôle restreint de la légalité interne desdits règlements.

11.

Nous tirerons, pour finir, les conséquences du degré de contrôle juridictionnel ainsi défini sur le contenu protégé des droits fondamentaux invoqués par M. Kadi.

I – Les pourvois

12.

Par leurs pourvois, la Commission européenne (affaire C‑584/10 P), le Conseil de l’Union européenne (affaire C‑593/10 P) et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (affaire C‑595/10 P) demandent l’annulation de l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal a annulé le règlement (CE) no 1190/2008 de la Commission, du 28 novembre 2008 ( 8 ), pour autant que cet acte concerne M. Kadi. La Commission, le Conseil et le Royaume-Uni demandent également à la Cour de rejeter la demande de M. Kadi visant à obtenir l’annulation du règlement attaqué pour autant qu’il le concerne.

13.

La Commission, le Conseil et le Royaume-Uni invoquent différents moyens à l’appui de leurs pourvois respectifs. Ceux-ci sont, en substance, au nombre de trois. Un premier moyen est tiré d’une erreur de droit liée à l’absence de reconnaissance, par l’arrêt attaqué, d’une immunité juridictionnelle en faveur du règlement attaqué. Un deuxième moyen est pris d’erreurs de droit relatives au degré d’intensité du contrôle juridictionnel défini dans l’arrêt attaqué. Un troisième moyen est tiré d’erreurs commises par le Tribunal dans l’examen des moyens de M. Kadi relatifs à une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, ainsi qu’à une violation du principe de proportionnalité.

14.

Avant d’entamer l’examen des pourvois, nous décrirons brièvement l’arrêt Kadi de la Cour, ses suites et l’arrêt attaqué.

II – L’arrêt Kadi de la Cour et ses suites

15.

Rappelons que par son arrêt Kadi, la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal du 21 septembre 2005, Kadi/Conseil et Commission ( 9 ), ainsi que le règlement (CE) no 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement (CE) no 467/2001 du Conseil interdisant l’exportation de certaines marchandises et certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan ( 10 ), dans la mesure où ce dernier visait M. Kadi.

16.

En substance, la Cour a jugé que les obligations découlant d’un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité CE, notamment au principe du respect obligatoire des droits fondamentaux par l’ensemble des actes de l’Union, ce respect constituant une condition de leur légalité qu’il incombe à la Cour de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit ledit traité. Elle a considéré que, nonobstant le respect dû, lors de la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, aux engagements pris dans le cadre de l’Organisation des Nations unies (ONU), les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliquent pas pour autant une immunité juridictionnelle d’un acte de l’Union tel que le règlement no 881/2002. Elle a ajouté qu’une telle immunité ne trouve aucun fondement dans le traité CE.

17.

Elle a, dans ces conditions, jugé que les juridictions de l’Union se doivent d’assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux, y compris lorsque de tels actes visent à mettre en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, et que la thèse du Tribunal était, par conséquent, entachée d’une erreur de droit.

18.

Statuant sur le recours introduit par M. Kadi devant le Tribunal, elle a jugé que, dès lors que le Conseil n’avait ni communiqué à M. Kadi les éléments retenus à sa charge pour fonder les mesures restrictives prises à son encontre ni accordé à celui-ci le droit de prendre connaissance de ces éléments dans un délai raisonnable après l’imposition de ces mesures, l’intéressé n’avait pas eu la possibilité de faire connaître utilement son point de vue à cet égard. Elle a, dans ces conditions, conclu à une violation des droits de la défense de M. Kadi et de son droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi qu’à une restriction injustifiée de son droit de propriété. Les effets du règlement annulé en tant qu’il concernait M. Kadi ont été maintenus pour une période de trois mois maximum, pour permettre au Conseil de remédier aux violations constatées.

19.

Les suites de cet arrêt de la Cour en ce qui concerne M. Kadi peuvent être ainsi résumées.

20.

Le 21 octobre 2008, le président du comité des sanctions a communiqué le résumé des motifs relatifs à l’inscription de M. Kadi sur la liste au représentant permanent de la France...

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