Fonnship A/S v Svenska Transportarbetareförbundet and Facket för Service och Kommunikation (SEKO) and Svenska Transportarbetareförbundet v Fonnship A/S.
Jurisdiction | European Union |
Court | Court of Justice (European Union) |
Date | 01 April 2014 |
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 1er avril 2014 ( 1 )
Affaire C‑83/13
Fonnship A/S
contre
Svenska Transportarbetareförbundet,
Facket för Service och Kommunikation (SEKO)
et
Svenska Transportarbetareförbundet
contre
Fonnship A/S
[demande de décision préjudicielle formée par l’Arbetsdomstolen (Suède)]
«Demande de décision préjudicielle — Question additionnelle demandée par une partie mais non posée par la juridiction de renvoi — Règlement (CEE) no 4055/86 — Champ d’application — Prestation de services de transport maritime — Transports maritimes effectués vers un État membre par un navire appartenant à une société siégeant dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), battant pavillon d’un État tiers non membre de l’EEE — Abus de droit — Action collective engagée dans un port d’un État membre ayant amené la société propriétaire du navire à signer une convention collective — Concurrence loyale»
I – Introduction
1. |
Par la présente demande de décision préjudicielle, l’Arbetsdomstolen (Suède) cherche, en substance, à savoir si une société, ayant son siège dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 ( 2 ) (ci‑après l’«accord EEE»), propriétaire d’un navire battant pavillon d’un État tiers, entre dans le champ d’application de la libre prestation des services, telle qu’elle est applicable aux transports maritimes en vertu du règlement (CEE) no 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de libre prestation des services de transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers ( 3 ), lui-même incorporé à l’accord EEE ( 4 ). |
2. |
Cette question est soulevée dans le cadre de litiges qui opposent Fonnship A/S, société norvégienne (ci-après «Fonnship»), à la Svenska Transportarbetareförbundet (fédération suédoise des ouvriers du transport, ci-après la «ST») et au Facket för Service och Kommunikation (syndicat des travailleurs des métiers des services et des communications, ci-après le «SEKO»), des associations suédoises, au sujet d’actions syndicales, menées en 2001 et en 2003, ayant prétendument perturbé, au sein de l’Espace économique européen (EEE), la prestation des services fournis au moyen d’un navire appartenant à Fonnship (le Sava Star), immatriculé au registre maritime du Panama et, partant, battant pavillon de ce pays tiers ( 5 ). |
3. |
Plus précisément, estimant que l’équipage du Sava Star employé par Fonnship, composé uniquement, à l’époque des faits du litige au principal, de ressortissants de pays tiers ( 6 ), percevait un salaire insuffisant à ce qui pouvait être considéré comme raisonnable pour un navire opérant principalement en Europe, la ST a, en 2001, lors d’une escale de ce navire dans un port suédois, déclenché une action syndicale visant à empêcher le déchargement et le chargement du Sava Star, faute d’avoir pu obtenir de Fonnship qu’elle signe une convention collective agréée par l’International Transport Workers’ Federation (ci-après l’«ITF») ( 7 ). Bien qu’apparemment liée par une convention collective russe, Fonnship a cependant consenti à signer la convention collective agréée par l’ITF à la suite de l’action syndicale et à acquitter les redevances et les contributions sollicitées par la ST, permettant ainsi au Sava Star de quitter le port. |
4. |
À la suite de l’expiration de la convention collective signée en 2001, une action analogue a été déclenchée par le SEKO lors d’une nouvelle escale du Sava Star dans un port suédois. Non sans protestations, Fonnship a signé la convention collective, agréée par l’ITF, requise par le SEKO et s’est acquittée des frais et des contributions exigées par ladite convention, ce qui a permis au Sava Star de poursuivre sa route. |
5. |
Par deux actions séparées, Fonnship a assigné la ST et le SEKO devant la juridiction de renvoi afin, notamment, de voir ces associations condamnées à réparer le préjudice prétendument subi découlant de l’illégalité des actions syndicales menées et de la nullité des conventions collectives qu’elle a été contrainte de signer. De son côté, la ST a assigné Fonnship devant la juridiction de renvoi afin que cette dernière soit condamnée à lui verser des dommages et intérêts au motif que cette société n’avait pas acquitté la rémunération prévue par la convention collective signée en 2001. |
6. |
La juridiction de renvoi estime que la question de licéité des actions syndicales est décisive pour la solution des litiges au principal et qu’il lui appartiendra, pour résoudre cette question, de juger si le droit suédois en matière d’actions syndicales est compatible avec les règles du droit de l’Union (de l’EEE) en matière de libre prestation des services. Cependant, eu égard à ce que la Cour a déjà établi dans les arrêts Viking Line, précité, et Laval un Partneri ( 8 ), la juridiction de renvoi considère, contrairement à ce qu’a fait valoir Fonnship devant elle, qu’il n’est pas nécessaire d’interroger la Cour sur cette problématique. |
7. |
En revanche, l’Arbetsdomstolen est d’avis que la question, également débattue devant lui mais qui n’aurait pas encore été examinée par la Cour, de savoir si le droit de l’EEE est applicable dans une situation telle que celle en l’espèce, dans laquelle un navire est immatriculé dans un pays tiers et où les relations à bord sont en principe régies par le droit de l’État de pavillon, nécessite de surseoir à statuer et de poser la question préjudicielle suivante: «Les règles de l’accord EEE en matière de libre prestation des services, à savoir des services de transport maritime – qui ont leur pendant dans le traité CE – sont‑elles applicables à une société qui a son siège dans un État de l’Association européenne de libre-échange (AELE), pour ce qui est de son activité consistant à assurer des services de transport vers un État membre de la Communauté européenne ou un État de l’AELE au moyen d’un navire immatriculé dans un État tiers en dehors de la Communauté européenne et/ou de l’EEE (battant pavillon de ce pays)?» |
8. |
Cette question a fait l’objet d’observations écrites de la part des parties au principal, des gouvernements suédois et grec, de l’Autorité de surveillance AELE ainsi que de la Commission européenne. Ces parties intéressées ont également été entendues lors de l’audience du 28 janvier 2014. |
II – Analyse
A – Remarques liminaires sur la portée de la demande de décision préjudicielle
9. |
Comme je l’ai relevé au point 6 ci-dessus, la juridiction de renvoi a sans ambiguïté refusé d’interroger la Cour sur la compatibilité des actions syndicales avec le droit de l’EEE, considérant, au vu des arrêts précités Viking Line et Laval un Partneri, qu’il lui appartiendra, au cas où les règles de l’EEE sur la libre prestation des services sont bien applicables à des situations telles que celles à l’origine des litiges au principal, de statuer sur le caractère nécessaire et approprié desdites actions. Elle n’indique cependant pas dans quel sens elle envisage de trancher cette problématique. |
10. |
Devant la Cour, Fonnship a consacré une large part de ses observations à critiquer la juridiction de renvoi pour avoir circonscrit la demande de décision préjudicielle à la question de l’applicabilité du droit de l’EEE, en refusant d’interroger la Cour sur la compatibilité avec ce droit des dispositions du droit suédois autorisant des actions syndicales du type de celles menées par la ST et le SEKO à l’encontre du Sava Star. |
11. |
Sans explicitement demander à ce que la Cour inclue dans sa réponse à la demande de décision préjudicielle des considérations sur la compatibilité et la proportionnalité des actions syndicales avec la libre prestation des services dans le cas où elle répondrait positivement à la question déférée, Fonnship estime que, au vu des débats devant la juridiction de renvoi, celle-ci aurait été dans l’obligation d’adresser à la Cour l’ensemble des questions de droit de l’Union utiles pour trancher le litige au principal. En effet, dans l’hypothèse où la Cour constaterait que la libre prestation des services est applicable dans des situations telles que celles en cause au principal, inclure, dans sa demande, la question de la compatibilité des actions syndicales avec la libre prestation des services aurait permis, de l’avis de Fonnship, d’éviter, au vu de l’incertitude du droit de l’EEE sur ce point, qu’un litige pendant depuis plus de dix ans doive de nouveau faire l’objet d’un renvoi préjudiciel à la Cour ou, à défaut, que Fonnship soit contraint d’intenter une action en responsabilité contre le Royaume de Suède. |
12. |
Si je ne suis pas totalement insensible à l’invitation implicite de Fonnship d’inclure, même à titre subsidiaire, dans l’examen de la problématique qui nous est soumise des considérations sur la nécessité et la proportionnalité des actions syndicales au regard des dispositions de l’EEE pertinentes, en particulier dans un souci d’économie de procédure et au vu de la circonstance que la juridiction de renvoi doit statuer en dernier ressort, une telle inclinaison nécessiterait, dans le cas de figure de la présente affaire, que la Cour opte de modifier sensiblement sa jurisprudence actuelle portant sur l’interprétation de l’article 267 TFUE. |
13. |
On le sait, cette jurisprudence reconnaît à la seule juridiction de renvoi la faculté de déterminer les questions à soumettre à la Cour ( 9 ) et l’exclusivité de définir l’objet des questions qu’elle entend lui poser ( 10 ), sans que la Cour puisse être contrainte par l’une des parties au principal de se saisir d’une question ( 11 ), ou d’en changer la teneur ( 12 ). |
14. |
Cette... |
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Minoo Schuch-Ghannadan contra Medizinische Universität Wien.
...courant jurisprudentiel, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Fonnship et Svenska Transportarbetareförbundet (C‑83/13, EU:C:2014:201, point 17). Pour des décisions plus récentes, voir arrêts du 1er février 2017, Município de Palmela (C‑144/16, EU:C:2017:76, point 20), et ......
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