Land Oberösterreich v ČEZ as.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2009:242
Docket NumberC-115/08
Celex Number62008CC0115
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date22 April 2009

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 22 avril 2009 (1)

Affaire C‑115/08

Land Oberösterreich

contre

ČEZ

[demande de décision préjudicielle formée par le Landesgericht Linz (Autriche)]






I – Antécédents

1. Cette affaire peut être caractérisée comme une affaire ayant trait à la question des externalités réciproques. D’un côté, la République d’Autriche et, en particulier, le Land Oberösterreich, pensent être les victimes d’une externalité qui leur est imposée par ČEZ et les autorités tchèques en installant une centrale électrique nucléaire à proximité de la frontière autrichienne sans avoir pris en compte les risques imposés à ceux vivant de l’autre côté de la frontière. De l’autre côté, ČEZ et la République tchèque vont valoir que c’est l’interprétation du droit autrichien par la juridiction suprême autrichienne qui leur impose une externalité en exigeant qu’ils ferment la centrale électrique nucléaire tchèque uniquement pour protéger les intérêts des citoyens autrichiens et sans tenir compte de la situation existant en République tchèque. Le droit communautaire (sous la forme des règles du traité CE et du traité CEEA) devient un élément d’un tel litige parce qu’il est en réalité invoqué par chacune des parties pour se procurer l’autorité de rendre exécutoire sa propre décision à l’encontre de l’autre partie. Idéalement au contraire, la solution à donner devrait aboutir à ce que chacune des parties internalise dans sa propre décision les intérêts de l’autre partie, car c’est une telle absence de prise en compte des intérêts de l’autre partie qui se trouve à l’origine et au centre de la présente affaire. Malheureusement, à défaut de réglementation complète de ces questions par les règles des traités CE et CEEA, la Cour peut être encline à considérer que la mesure dans laquelle elle peut apporter une solution pleinement satisfaisante à cette affaire est limitée. Ceci posé, l’interprétation que je propose des règles applicables est guidée par l’objectif de rendre, autant que faire se peut, les autorités nationales attentives à l’impact qu’ont leurs décisions sur les intérêts des autres États membres et de leurs citoyens, car cet objectif peut être décrit comme se trouvant au cœur du projet d’intégration européenne et comme devant être inscrit dans ses règles.

2. Dans la présente affaire, la Cour est saisie pour la deuxième fois de questions qui lui sont déférées en vertu de l’article 234 CE dans le contexte d’un litige opposant le Land Oberösterreich (ci-après la «requérante») et l’installation nucléaire de ČEZ à Temelín en République tchèque (ci-après la «défenderesse»). La requérante est propriétaire de fonds sur lesquels elle a établi une école d’agriculture sur le territoire autrichien, implantée à environ 60 kilomètres de l’installation de la défenderesse. La centrale de Temelín a été autorisée par le gouvernement tchèque en 1985 et fonctionne à pleine capacité depuis 2003, à la suite d’une période d’exploitation à titre expérimental ayant débuté au début 2000.

3. La centrale de Temelín a fait l’objet de négociations entre la République d’Autriche et la République tchèque qui ont débouché sur une déclaration, annexée au traité d’adhésion à l’Union de la République tchèque, dans laquelle les deux États ont déclaré qu’ils respecteraient une série d’obligations bilatérales, englobant des mesures de sécurité, la surveillance des droits de libre circulation et le développement de partenariats en matière énergétique, définies dans un document connu sous l’intitulé «conclusions du processus de Melk et son suivi», adopté en novembre 2001.

4. Néanmoins, en 2001, la requérante et d’autres propriétaires privés de fonds ont introduit une procédure devant le Landesgericht Linz (ci-après, également, la «juridiction de renvoi») sur le fondement de l’article 364, paragraphe 2, du code civil autrichien (Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch, ci-après l’«ABGB») en vue d’obliger la défenderesse à faire cesser les nuisances causées aux propriétés des requérantes du fait d’émissions radioactives alléguées émanant de la centrale de Temelín.

5. La juridiction de renvoi expose que l’article 364, paragraphe 2, de l’ABGB permet à un propriétaire d’exiger des propriétaires des fonds voisins, y compris ceux situés dans un autre État membre, de s’assurer que l’usage fait de tels fonds voisins ne provoque pas des effets qui excèdent le niveau habituel et qui affectent l’usage normal de l’immeuble au regard des conditions locales. En outre, en cas de menace directe et concrète de nuisances provoquant des dommages irréversibles, une injonction préventive peut être obtenue afin d’interdire l’usage de l’immeuble dont émane une telle menace. Toutefois, lorsque la nuisance est causée par une «installation ayant fait l’objet d’une autorisation administrative», se substitue au droit d’obtenir une injonction celui de demander réparation du préjudice.

6. Selon les renseignements fournis par la juridiction de renvoi, l’Oberster Gerichtshof (la juridiction suprême autrichienne, ci-après l’«OGH») a jugé que la notion d’«installation ayant fait l’objet d’une autorisation administrative», définie à l’article 364 a de l’ABGB, ne s’étend pas aux installations ayant fait l’objet d’une autorisation administrative à l’étranger au motif que ladite disposition repose «uniquement sur une appréciation d’intérêts internes divergents» et que l’on ne voit pas pourquoi le législateur autrichien devrait imposer aux propriétaires fonciers autrichiens des restrictions au droit de propriété «uniquement dans l’intérêt d’une économie étrangère et au nom de l’intérêt public étranger».

7. Par une série de questions très longues, le Landesgericht Linz demande à la Cour de céans de se prononcer sur la compatibilité de cette interprétation de l’article 364 a de l’ABGB avec le droit communautaire, en particulier avec les articles 43 CE, 28 CE, 12 CE et 10 CE. Je propose de commencer par examiner les questions soulevées au regard de l’article 43 CE, car, selon moi, celui-ci peut permettre à la Cour de traiter les problèmes les plus importants que soulève cette affaire.

II – L’article 43 CE et la législation nationale ayant une incidence transfrontalière

8. Jusqu’ici, la jurisprudence relative à la liberté d’établissement s’est focalisée sur des mesures imposées par un État membre restreignant la liberté des particuliers et des entreprises de s’établir dans cet État membre afin de s’y livrer à des activités économiques ou qui limitent les possibilités pour des particuliers ou des entreprises de quitter cet État membre afin de s’établir dans un autre État membre. Il en va de même en ce qui concerne les autres dispositions relatives à la libre circulation. Dans les dispositions relatives à la libre circulation, l’accent est mis sur l’élimination des restrictions à l’entrée et à la sortie dans et à partir d’un État membre. Dans la présente affaire, la Cour est confrontée à une situation bien différente dans laquelle il est allégué que les mesures nationales imposées par un État membre (en l’espèce la République d’Autriche) ont une incidence sur le droit d’établissement dans un autre État membre (en l’espèce la République tchèque) qui cherche à vendre ses produits aux consommateurs d’États membres autres que celui qui est à l’origine des mesures en cause. La Cour doit donc décider si l’éventuelle incidence transfrontalière de la législation nationale autrichienne est susceptible en principe de constituer une restriction au droit de libre établissement dans un autre État membre, à savoir la République tchèque.

9. Selon moi, la réponse à cette question doit être que tel est bien le cas. S’il est exact que la jurisprudence relative à la liberté d’établissement s’est largement focalisée sur les effets des mesures prises par un État membre sur la capacité pour un ressortissant d’un autre État membre de s’établir dans cet État membre, l’évolution du droit communautaire en ce qui concerne le caractère exécutoire des jugements nationaux dans un autre État membre, tel le règlement (CE) n° 44/2001 (2), signifie que les décisions des juridictions nationales portant sur des questions de droit national...

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