Council of the European Union v Manufacturing Support & Procurement Kala Naft Co., Tehran.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:470
CourtCourt of Justice (European Union)
Docket NumberC-348/12
Date11 July 2013
Celex Number62012CC0348
Procedure TypeRecurso de anulación - infundado
62012CC0348

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 11 juillet 2013 ( 1 )

Affaire C‑348/12 P

Conseil de l’Union européenne

contre

Manufacturing Support & Procurement Kala Naft Co., Tehran

«Pourvoi — Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) — Mesures restrictives prises à l’encontre de la République islamique d’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire — Gel des fonds et des ressources économiques — Obligation de motivation — Droits de la défense — Droit à une protection juridictionnelle effective — Notion d’appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires»

I – Introduction

1.

La prolifération nucléaire constitue sans conteste l’une des principales menaces pour la paix et la sécurité internationales de ce siècle. Est notamment en jeu la stabilité de régions aussi sensibles que le Moyen-Orient ou l’Extrême-Orient.

2.

Afin de lutter contre cette menace, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le «Conseil de sécurité») a décidé, dans plusieurs résolutions ( 2 ), de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin à ses activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires (ci-après la «prolifération nucléaire»).

3.

Les mesures restrictives prévues par le Conseil de sécurité ont ainsi pour but à la fois d’inciter la République islamique d’Iran à respecter ses obligations internationales, en particulier pour convaincre cet État de coopérer avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ( 3 ), et de prévenir, dans l’intervalle, le risque de prolifération que comporte le développement par ledit État de son programme nucléaire.

4.

L’Union européenne a décidé, au titre de sa politique étrangère et de sécurité commune (PESC), de relayer cette action en mettant en œuvre les résolutions successives du Conseil de sécurité. Parmi les mesures adoptées par l’Union figurent les mesures de gel des fonds et des ressources économiques des personnes et des entités qui sont considérées comme contribuant au développement du programme nucléaire iranien ( 4 ).

5.

Les recours introduits par les personnes et les entités qui font l’objet de ces mesures nourrissent actuellement un contentieux de plus en plus abondant devant les juridictions de l’Union ( 5 ).

6.

Au cours de ces derniers mois, ces recours ont débouché quasi systématiquement sur des annulations des mesures de gel des fonds contestées ( 6 ). Ces annulations reposent, en général, soit sur le constat d’une violation de l’obligation de motiver à suffisance ces mesures, soit sur la circonstance que le Conseil de l’Union européenne n’a pas fourni de preuves à l’appui de ses allégations, voire sur ces deux éléments.

7.

De telles annulations en série sont, à notre avis, la conséquence d’un standard de contrôle juridictionnel qui n’est pas adapté à la spécificité des mesures en cause.

8.

En effet, comme c’est également le cas pour d’autres affaires récemment jugées par le Tribunal, un certain nombre d’appréciations effectuées par ce dernier dans son arrêt du 25 avril 2012, Manufacturing Support & Procurement Kala Naft/Conseil ( 7 ), nous paraissent faire l’impasse sur un certain nombre de paramètres et d’éléments de contexte, au premier rang desquels figure la nature préventive des mesures restrictives adoptées à l’encontre de la République islamique d’Iran.

9.

Les mesures de gel des fonds ont pour objectif d’empêcher que les personnes ou les entités désignées aient accès à des ressources économiques ou financières qu’elles pourraient utiliser pour soutenir des activités nucléaires présentant un risque de prolifération ou pour la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires.

10.

Lorsqu’il est amené à apprécier la légalité d’une mesure qui a ainsi pour objet de prévenir un risque, c’est-à-dire d’empêcher qu’une menace se réalise, le juge de l’Union ne peut pas exercer un contrôle identique, dans ses modalités et dans son intensité, à celui qu’il devrait effectuer sur une mesure visant à réprimer une infraction constatée.

11.

Or, comme le révèle l’arrêt attaqué, le Tribunal applique une méthode de contrôle selon une démarche qui est, en réalité, celle du droit pénal classique.

12.

S’agissant de la différence entre prévention et répression, il convient de souligner que la première diffère totalement de la seconde en ce qu’elle vise non pas à sanctionner un fait commis, mais à éviter la commission d’un fait futur. Futur, le fait ne peut qu’être éventuel. Pour cette raison, qui consiste à vouloir éviter un dommage, l’application de la mesure de prévention ne peut être subordonnée dans son principe à la preuve que la personne (physique ou morale) concernée est disposée et véritablement résolue à commettre un acte répréhensible précis ou qu’elle l’a déjà commis, mais au constat qu’il existe un risque objectif qu’elle le fasse.

13.

Pourtant, dans la démarche du Tribunal, nous trouvons l’exigence de la preuve que l’entité visée par la mesure restrictive a bien commis les actes pour la prévention desquels cette mesure a été édictée.

14.

Ce faisant, le Tribunal a, selon nous, commis une erreur de droit en méconnaissant la nature particulière de la PESC ainsi que celle des pouvoirs dont disposent les institutions de l’Union dans ce domaine.

15.

Pour autant, cela ne saurait vouloir dire que la compétence de contrôle des mesures restrictives qui est expressément confiée à la Cour par les traités eux-mêmes ne devrait conduire qu’à un simulacre. Certes non.

16.

En revanche, et sans que cela diminue en quoi que ce soit l’autorité de la Cour ni la noblesse de sa mission, bien au contraire, elle doit évidemment et scrupuleusement veiller à ne pas empiéter sur les prérogatives des institutions de l’Union en matière de PESC. Pour cela, c’est donc l’essence même de la mesure de prévention telle qu’elle est conçue dans le domaine spécifique de la PESC qu’il convient d’analyser.

17.

Il résulte des circonstances dans lesquelles il a été décidé d’adopter des mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran que celles-ci interviennent dans un climat de tension tel que, en réalité, ces mesures sont prises pour éviter une situation de conflit potentiel dans une partie du monde.

18.

En d’autres termes, les mesures prises dans ce domaine constituent une alternative à la guerre ou à la commission d’actes de guerre et revêtent, de ce fait, une nature particulière.

19.

Il nous paraît absolument évident que, dans ces situations, dont il n’est même pas besoin de souligner l’importance considérable, l’application des critères en vigueur en droit pénal classique ne peut pas être transposée à la prévention d’une menace à la paix et à la sécurité internationales en matière de PESC, sauf à risquer, ce qui est le cas en l’espèce, d’empiéter sur l’appréciation des autorités politiques compétentes quant à l’opportunité de la mesure et de ses modalités, lesquelles sont déterminées par celles-ci en fonction de la nature et de l’intensité de la menace à laquelle elles entendent s’opposer.

20.

Imposer aux mesures en question un contrôle tel qu’il remet en cause, de manière générale, leur application et leur efficacité reviendrait à estimer que les États membres ou les institutions de l’Union ont fait une appréciation exagérée de la menace ou du degré de coercition nécessaire à sa neutralisation, alors que cela relève, selon nous, incontestablement et exclusivement de leurs pouvoirs.

21.

Dans ces conditions, exiger des institutions de l’Union, et donc des États membres, qu’elles fassent la preuve que telle entité a bien déjà commis les actes que l’on veut interdire avant d’autoriser les mesures propres à les empêcher apparaît singulièrement détaché de la nature même de la PESC en même temps que de la dangereuse réalité de la vie du monde.

22.

En revanche, il appartient à la Cour de vérifier si, objectivement, les mesures prises sont bien dans le champ fixé par les décisions adoptées par le Conseil en matière de PESC et ne constituent pas, par exemple, un détournement de procédure.

23.

Exercer un contrôle juridictionnel adapté à la nature préventive des mesures restrictives impose au juge de l’Union de tenir compte du principe de précaution. Son office consiste, par conséquent, à s’assurer, dans le respect de la marge d’appréciation devant être reconnue à l’autorité politique compétente et sur la base des éléments de dossier et de contexte dont il dispose, que l’appréciation faite par cette autorité quant à l’existence d’un risque n’est pas manifestement erronée.

24.

Conformément à la vocation préventive des mesures restrictives, l’office du juge de l’Union ne consiste donc pas à acquérir la certitude que le comportement que l’autorité politique compétente cherche à éviter s’est déjà produit ou, autrement dit, que le risque dont cette autorité entend empêcher la concrétisation s’est déjà réalisé.

25.

Il est, certes, normal que le juge de l’Union, animé par le souci de garantir aux personnes et aux entités désignées une protection juridictionnelle effective face à des mesures qui affectent lourdement leurs droits et leurs libertés, n’entende pas faire de son contrôle une «coquille vide».

26.

Cependant, face à un objectif aussi primordial que la préservation de la paix et de la sécurité internationales ( ...

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