Conclusions
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. Antonio TIZZANO
présentées le 4 mars 2004(1)
Affaire C-145/02
Land Nordrhein-Westfalen
contre
Denkavit Futtermittel GmbH
[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]
«Circulation des marchandises – Mesures d'effet équivalent – Directive 70/524/CEE – Additifs – Vitamines D dans les aliments complémentaires pour les porcs»
1.
Par ordonnance du 31 janvier 2002, le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne) a posé à la Cour de justice trois questions préjudicielles
par lesquelles il demande, en substance, si les
articles 28 CE et 30 CE ou la
directive 70/524/CEE du Conseil, du 23 novembre
1970, concernant les additifs dans l'alimentation des animaux
(2)
, telle que modifiée par la
directive 84/587/CEE du Conseil, du 29 novembre 1984 (JO L 319, p. 13, ci-après la «directive»),
s'opposent à une mesure nationale qui interdit la commercialisation sur le territoire d'un État membre d'un aliment complémentaire
régulièrement produit dans un autre État membre en raison de sa teneur en vitamine D.
I – Cadre juridique
A –
La directive
2.
La directive a été adoptée en considération du fait que, dans les États membres où elles existent, «les dispositions [nationales]
concernant les additifs dans l'alimentation des animaux [...] divergent sur des principes essentiels» et que, «de ce fait,
elles ont une incidence directe sur l'instauration et le fonctionnement du marché commun et qu'il convient dès lors de les
harmoniser» (quatrième considérant).
3.
Eu égard à cet objectif, la directive donne, tout d'abord, à l'article 2, les définitions suivantes:
«[...]
- d)
- aliments complets: les mélanges d'aliments des animaux qui, grâce à leur composition, suffisent à assurer une ration journalière;
- e)
- aliments complémentaires des animaux: les mélanges d'aliments qui contiennent des taux élevés de certaines substances et qui, en raison de leur composition, n'assurent
la ration journalière que s'ils sont associés à d'autres aliments des animaux;
[...]
- h)
- prémélanges: les mélanges d'additifs entre eux ou les mélanges d'un ou de plusieurs additifs avec des substances constituant des supports,
qui sont destinés à la fabrication d'aliments pour animaux;
[...]».
4.
Aux fins de la présente espèce, la disposition clé de la directive réside en son article 12, lequel se subdivise en trois
paragraphes. Le paragraphe 1 dispose:
«Les États membres prescrivent que les aliments complémentaires ne peuvent pas contenir, compte tenu de la dilution prévue
pour leur utilisation des teneurs en additifs énumérés dans la présente directive supérieures à celles qui sont fixées pour
les aliments complets des animaux.»
5.
Quant au paragraphe 2, il prévoit:
«Les États membres peuvent prescrire que les teneurs en antibiotiques, en coccidiostatiques et autres substances médicamenteuses,
en facteurs de croissance, en vitamine D et en antioxygènes des aliments complémentaires peuvent dépasser les teneurs maximales
fixées pour les aliments complets dans les cas suivants:
- a)
- s'il s'agit d'aliments complémentaires dont un État membre a admis la mise à la disposition de tous les utilisateurs, à condition
que leurs teneurs en [...] vitamines D [...] ne dépassent pas le quintuple de la teneur maximale fixée;
- b)
- s'il s'agit d'aliments complémentaires qui sont destinés à certaines espèces animales et dont un État membre peut autoriser
la mise à la disposition sur son territoire, de tous les utilisateurs en raison du système particulier de nutrition, et à
condition que leur teneur ne dépasse pas:
-
- –
- [...]
-
- –
- [...]
-
- –
- pour les vitamines D, 200 000 UI
(3)
par kilogramme.
Les États membres prescrivent que si, dans la fabrication des aliments complémentaires, il est fait usage des possibilités
visées au premier alinéa lettre b), il ne peut être fait recours en même temps aux dispositions prévues au premier alinéa
lettre a).»
6.
Le paragraphe 3 énonce:
«En cas de recours au paragraphe 2, les États membres prescrivent que l'aliment doit présenter une ou plusieurs caractéristiques
de composition (par exemple en protéines ou en minéraux) garantissant qu'un dépassement des teneurs en additifs fixées pour
les aliments complets ou un détournement de l'aliment vers d'autres espèces animales est pratiquement exclu.»
7.
Enfin, il y a lieu de mentionner l'article 19 de la directive, selon lequel «[l]es États membres veillent à ce que [...] les
aliments des animaux qui sont conformes aux dispositions de la présente directive ne soient soumis qu'aux restrictions de
commercialisation prévues par la présente directive».
B –
La réglementation allemande
8.
La
directive 70/524 a été transposée dans l'ordre juridique allemand par le Futtermittelgesetz (loi relative aux aliments
pour animaux, ci-après le «FMG») et par la Futtermittelverordnung (ordonnance relative aux aliments pour animaux, ci‑après
la «FMV»).
9.
L'article 14 du FMG, dans sa version publiée le 25 août 2000, interdit l'importation des aliments pour animaux qui ne sont
pas conformes aux dispositions allemandes en la matière.
10.
À ce propos, l'article 17a de la FMV, dans sa version publiée le 23 novembre 2000, apparaît particulièrement important. Le
paragraphe 1 de cet article prescrit que la teneur en additifs des aliments complémentaires pour animaux ne peut dépasser
la teneur maximale fixée par leurs règlements communautaires d'autorisation respectifs. Cette teneur maximale est fixée, en
ce qui concerne la vitamine D, à 2 000 UI par kilogramme.
11.
Le paragraphe 2 de cette disposition prévoit par ailleurs que, sous réserve des dispositions du paragraphe 3, les teneurs
maximales en additifs dans les aliments complémentaires pour animaux peuvent être dépassées, si, lorsqu'ils sont mélangés
à d'autres aliments conformément à leur destination, la teneur maximale en additifs est respectée. Cette disposition a pour
objet de transposer l'article 12, paragraphe 1, de la directive.
12.
Le paragraphe 3 énonce cinq dérogations au paragraphe 2. Aux fins du présent cas d'espèce, seules nous intéressent la première
et la cinquième dérogation.
13.
En vertu de la première dérogation, énoncée au point 1, la teneur en vitamine D des aliments complémentaires pour animaux
pour la prévention de l'histomonose ou de la coccidiose peut aller jusqu'au quintuple du taux maximal fixé. Cette disposition
transpose l'article 12, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), de la directive.
14.
En vertu de la cinquième dérogation, énoncée au point 2, sous d), la teneur en vitamine D peut aller jusqu'à 200 000 UI par
kilogramme dans les aliments complémentaires destinés à toutes espèces ou catégories d'animaux en vue d'un apport supplémentaire
de vitamines de courte durée. Cette disposition transpose l'article 12, paragraphe 2, premier alinéa, sous b), de la directive.
II – Les faits
15.
La société allemande Denkavit Futtermittel GmbH (ci‑après «Denkavit») produit aux Pays‑Bas, par l'entremise d'une société
sœur, l'aliment dénommé «Denkavit Kern Ferkel 125» (ci‑après l'«aliment litigieux») qu'elle importe ensuite elle-même en Allemagne.
Il s'agit d'un aliment complémentaire pour animaux destiné aux porcs qui contient 16 000 UI de vitamine D par kilogramme et
qui est destiné à être donné aux animaux seulement après avoir été mélangé à des aliments simples dans un rapport de 1 à 7.
16.
Ainsi qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi, cet aliment est conforme à la législation néerlandaise en la matière. En particulier,
l'aliment litigieux est, ainsi que l'a déclaré le gouvernement néerlandais en réponse à une question spécifique de la Cour,
autorisé par la disposition néerlandaise de transposition de l'article 12, paragraphe 1, de la directive.
17.
En revanche, comme on peut le lire dans l'ordonnance de renvoi, l'aliment litigieux n'est pas conforme aux dispositions allemandes
en la matière, notamment à l'article 17a, paragraphe 3, point 1, de la FMV. En effet, selon cette dernière disposition, telle
qu'interprétée par les juges allemands, la teneur en vitamine D ne peut dépasser le quintuple de la teneur maximale fixée
à 2 000 UI par kilogramme, soit 10 000 UI par kilogramme.
18.
Sur la base de cette législation les autorités allemandes compétentes (l'Office régional de l'alimentation et de la chasse
du Land de Rhénanie-du-Nord- Westphalie) ont, en 1991, indiqué à Denkavit qu'elle ne pouvait pas importer en Allemagne l'aliment
litigieux, précisément en raison de sa teneur excessive en vitamine D. Elles soutenaient que, en vertu de l'article 17a, paragraphe
3, point 1, de la FMV, les aliments complémentaires destinés aux porcs peuvent contenir au maximum 10 000 UI de vitamine D
par kilogramme. Dès lors que l'aliment litigieux en contiendrait 16 000, soit un excédent de 6 000, il serait interdit par
le FMG.
19.
Denkavit a, dès lors, introduit, en 1993, une action en constatation devant le tribunal administratif...