AG2R Prévoyance v Beaudout Père et Fils SARL.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:676
Docket NumberC-437/09
Celex Number62009CC0437
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date11 November 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Paolo Mengozzi

présentées le 11 novembre 2010 (1)

Affaire C‑437/09

AG2R Prévoyance

contre

Beaudout Père et Fils SARL

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal de grande instance de Périgueux (France)]

«Concurrence – Articles 10 CE, 81 CE, 82 CE et 86 CE – Assurance complémentaire de soins de santé – Obligation légale d’affiliation de toutes les entreprises relevant d’un secteur professionnel déterminé auprès d’un seul organisme assureur désigné – Exclusion explicite de toute possibilité de dispense d’affiliation – Notion d’’entreprise’ au sens des articles 81 CE et 82 CE – Abus de position dominante – Droit exclusif – Service d’intérêt économique général au sens de l’article 86, paragraphe 2, CE»





I – Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle, qui porte, en substance, sur l’interprétation des articles 81 CE, 82 CE et 86 CE, a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant l’institution de prévoyance AG2R Prévoyance (ci-après «AG2R») à une entreprise de boulangerie artisanale, Beaudout Père et Fils SARL (ci-après «Beaudout»), relatif au refus de cette dernière d’adhérer au régime de remboursement obligatoire complémentaire de soins de santé offert par AG2R pour le secteur de la boulangerie artisanale en France (2).

2. Si cette affaire s’inscrit dans le contexte d’une jurisprudence relativement abondante quant à l’applicabilité des règles de concurrence du traité à des organismes chargés de la gestion de régimes de protection sociale, son intérêt principal réside, à mon sens, dans les précisions qu’elle est susceptible d’apporter à l’interprétation de la notion d’«entreprise» au sens des articles 81 CE et 82 CE.

II – Le cadre juridique

A – La législation française

3. En France, le remboursement des frais engagés à l’occasion d’une maladie ou d’un accident est en partie couvert par le régime de base de la sécurité sociale. La partie des frais qui reste à la charge de l’assuré peut faire l’objet d’un remboursement partiel par une assurance complémentaire de santé. Près de 93 % de la population résidant en France serait couverte par une assurance complémentaire de soins de santé (3).

4. L’affiliation des salariés d’un secteur professionnel donné à une telle couverture complémentaire peut être prévue par un accord ou une convention collective signés entre les représentants des employeurs et des salariés, conformément à l’article L. 911‑1 du code de la sécurité sociale.

5. L’article L. 912‑1 de ce même code organise le dispositif d’affiliation obligatoire à un régime complémentaire de soins de santé. Cet article indique que, lorsque les accords professionnels ou interprofessionnels mentionnés à l’article L. 911‑1 prévoient une mutualisation des risques dont ils organisent la couverture auprès d’un ou plusieurs organismes mentionnés à l’article 1er de la loi n° 89‑1009, du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou d’une ou plusieurs institutions mentionnées à l’article L. 370‑1 du code des assurances, auxquels adhèrent alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d’application de ces accords, ceux-ci comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité les modalités d’organisation de la mutualisation des risques peuvent être réexaminées. La périodicité du réexamen ne peut excéder cinq ans.

6. L’article L. 912‑1 du code de la sécurité sociale précise aussi que, lorsque les accords mentionnés au premier alinéa s’appliquent à une entreprise qui, antérieurement à leur date d’effet, a adhéré ou souscrit un contrat auprès d’un organisme différent de celui prévu par les accords pour garantir les mêmes risques à un niveau équivalent, les dispositions du second alinéa de l’article L. 132‑23 du code du travail sont applicables.

7. L’article L. 132‑23, second alinéa, du code du travail précise que, dans le cas où des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels viennent à s’appliquer dans l’entreprise postérieurement à la conclusion de conventions ou accords négociés en vigueur, les dispositions de ces conventions ou accords sont adaptées en conséquence.

8. Aux termes de l’article 1er de la loi n° 89‑1009, telle que modifiée par la loi n° 94‑678, du 8 août 1994, auquel fait référence l’article L. 912‑1 du code de la sécurité sociale, les activités de prévoyance ne peuvent être mises en œuvre que par les compagnies d’assurance, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural et les mutualités.

9. Les institutions de prévoyance sont régies par le titre 3 du livre IX du code de la sécurité sociale. Selon l’article L. 931-1 de ce code, ces institutions sont des personnes morales de droit privé ayant un but non lucratif, administrées paritairement par des membres adhérents (les entreprises ayant souscrit un contrat auprès de cet organisme) et des membres participants (salariés affiliés et anciens salariés des membres adhérents). Leur objet comprend la couverture des risques de dommages corporels liés aux accidents et à la maladie. Les articles L. 931-4 à L. 932-5 du code de la sécurité sociale régissent la constitution, le mode de fonctionnement, la dissolution des institutions de prévoyance ainsi que les opérations qu’elles sont habilitées à mener. En particulier, ces institutions doivent être agréées par l’autorité nationale de contrôle prudentiel (4) et sont soumises à des obligations légales et réglementaires en matière de provisionnement (5) et de marge de solvabilité (6).

B – L’avenant à la convention collective nationale

10. Le 24 avril 2006, le syndicat des patrons boulangers et les différents syndicats de salariés du secteur ont conclu un avenant à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1978 (ci-après la «convention collective nationale»), par lequel a été mis en place un régime de «remboursement complémentaire de frais de soins de santé» dans le secteur de la boulangerie artisanale (ci-après l’«avenant»).

11. Cet avenant s’applique à l’ensemble des entreprises entrant dans le champ d’application de la convention collective nationale et est institué au profit de tous leurs salariés ayant un mois d’ancienneté dans une même entreprise. Selon son préambule, l’avenant répond notamment à l’objectif de la mutualisation des risques au niveau professionnel qui, d’une part, permet de pallier les difficultés rencontrées par certaines entreprises de la profession, généralement de petite taille, lors de la mise en place d’une protection sociale complémentaire, et, d’autre part, assure l’accès aux garanties collectives, sans considération, notamment, de l’âge ou de l’état de santé.

12. Aux termes de l’article 4 de l’avenant, sont couverts par le régime complémentaire tous les actes et frais courants sur la période de garantie ayant fait l’objet d’un remboursement et d’un décompte individualisé du régime de base de sécurité sociale au titre de la législation «maladie», «accidents du travail/maladies professionnelles» et «maternité» ainsi que les actes et frais non pris en charge par ce dernier, expressément mentionnés dans le tableau des garanties figurant en annexe à l’avenant (7).

13. Selon l’article 5 de l’avenant, la cotisation pour les années 2007 et 2008 était de 40 euros mensuels par salarié pour ce qui concerne le régime général (8). Cette cotisation, qui doit faire l’objet d’un réexamen au-delà de la deuxième année d’application du régime, est supportée pour moitié par l’employeur.

14. Aux termes de l’article 13 de l’avenant, AG2R a été désignée comme organisme assureur du régime complémentaire, est régie par le code de la sécurité sociale en tant qu’institution de prévoyance et relève de l’autorité de contrôle des assurances et mutuelles. Cet article précise également que les modalités d’organisation de la mutualisation du régime seront réexaminées par la commission nationale paritaire de la branche au cours d’une réunion et ceci dans un délai de cinq ans à compter de la date d’effet de l’avenant.

15. L’article 14 de l’avenant, dit «clause de migration», énonce le caractère obligatoire de l’adhésion au régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé à compter de la date d’effet de l’avenant. Cet article stipule que le caractère contraignant de cette adhésion s’applique également aux entreprises ayant déjà souscrit un contrat complémentaire de soins de santé auprès d’un autre organisme assureur avec des garanties identiques ou supérieures à celles définies par l’avenant.

16. Conformément à l’article 16 de l’avenant, celui-ci a pris effet le 1er janvier 2007.

17. Par arrêté du 16 octobre 2006 (9), et à la suite des demandes d’extension présentées par les organisations signataires de l’avenant, le ministre de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement a étendu à l’ensemble des entreprises artisanales de boulangerie‑pâtisserie établies sur le territoire national les effets et les sanctions prévus par l’avenant en rendant obligatoires ses dispositions.

III – Les faits à l’origine du litige au principal et la question préjudicielle

18. Beaudout est affiliée au titre de l’assurance complémentaire de santé à la compagnie d’assurances ABELA depuis le 10 octobre 2006.

19. Refusant d’adhérer au régime d’AG2R, Beaudout a été assignée par cette dernière devant le tribunal de grande instance de Périgueux afin qu’il lui soit ordonné de régulariser son adhésion et de payer les cotisations en retard depuis la date d’effet de l’avenant, à savoir depuis le 1er janvier 2007.

20. À titre incident, Beaudout a contesté la légalité de l’avenant.

21. Après avoir rejeté certains des arguments de Beaudout en ce qui concerne la compatibilité de l’avenant avec le droit interne, la juridiction de renvoi s’est efforcée de comparer la...

To continue reading

Request your trial
1 practice notes
  • AG2R Prévoyance v Beaudout Père et Fils SARL.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 3 March 2011
    ...C-437/09 AG2R contre Beaudout Père et Fils SARL (demande de décision préjudicielle, introduite par le tribunal de grande instance de Périgueux) «Concurrence — Articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE — Régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé — Convention collective ......
1 cases
  • AG2R Prévoyance v Beaudout Père et Fils SARL.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 3 March 2011
    ...C-437/09 AG2R contre Beaudout Père et Fils SARL (demande de décision préjudicielle, introduite par le tribunal de grande instance de Périgueux) «Concurrence — Articles 101 TFUE, 102 TFUE et 106 TFUE — Régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé — Convention collective ......

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT