Staat der Nederlanden v Essent NV (C-105/12), Essent Nederland BV (C-105/12), Eneco Holding NV (C-106/12) and Delta NV (C-107/12).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:242
Docket NumberC-105/12,C-107/12
Celex Number62012CC0105
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date16 April 2013
62012CC0105

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 16 avril 2013 ( 1 )

Affaires jointes C‑105/12 à C‑107/12

Staat der Nederlanden

contre

Essent NV et Essent Nederland BV (C‑105/12),

Eneco Holding NV (C‑106/12),

Delta NV (C‑107/12)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Gestionnaires de réseaux de distribution d’énergie — Interdiction absolue de privatisation — Régime de propriété — Interdiction de former des groupes incluant à la fois des gestionnaires de réseaux de distribution d’énergie et des sociétés commercialisant, fournissant ou produisant de l’énergie — Interdiction des activités tierces imposée aux gestionnaires de réseaux de distribution d’énergie — Libre circulation des capitaux — Restrictions — Justification — Proportionnalité — Justification dite ‘purement économique’ — Concurrence non faussée»

I – Introduction

1.

Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) demande à la Cour d’interpréter les articles 63 TFUE et 345 TFUE dans le cadre de litiges opposant le Staat der Nederlanden à Essent NV et Essent Nederland BV (affaire C‑105/12) ainsi qu’à Eneco Holding NV (affaire C‑106/12) et à Delta NV (affaire C‑107/12) (ci-après, ensemble, les «sociétés»), soit diverses sociétés actives dans la distribution d’électricité et de gaz aux Pays-Bas, au sujet de plusieurs dispositions de la législation néerlandaise applicable à ces secteurs.

2.

Dans le cadre de ces trois affaires, qui ont été jointes par la Cour, le Hoge Raad der Nederlanden a posé trois questions préjudicielles:

la première question porte sur l’«interdiction de privatisation» établie par la législation néerlandaise, qui empêche que des gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité et de gaz ( 2 ) tombent aux mains de personnes privées, au regard de l’article 345 TFUE;

la deuxième question concerne l’appréciation, à l’égard de la libre circulation des capitaux, de deux autres interdictions établies par la législation néerlandaise, s’opposant respectivement à ce que les gestionnaires de tels réseaux de distribution entretiennent des liens avec des entreprises produisant, fournissant ou commercialisant de l’électricité ou du gaz aux Pays-Bas (ci-après les «sociétés d’énergie») (ci-après l’«interdiction de groupe») ou qu’ils se livrent à d’autres activités étrangères à la gestion de réseau (ci-après l’«interdiction des activités tierces»), et

la troisième question a trait à l’existence de «raisons impérieuses d’intérêt général» constituant une justification à une restriction à la libre circulation des capitaux dans la mesure où l’interdiction de groupe et l’interdiction des activités tierces visées par la deuxième question en constituent une restriction.

3.

Les présentes affaires invitent donc la Cour à se prononcer une nouvelle fois sur l’interprétation du traité FUE, et notamment sur l’articulation entre les articles 345 TFUE et 63 TFUE, concernant des mesures de libéralisation d’un secteur économique stratégique. Cependant, les présentes affaires revêtent certaines particularités par rapport à celles ayant donné lieu à la jurisprudence concernant les «golden shares». D’une part, il est question non de privatisation partielle, mais d’une interdiction de privatisation qui se traduit par une séparation nette entre le régime de la propriété des gestionnaires de réseau de distribution, qui fonctionne en «vase clos» parmi des personnes publiques, et celui de la propriété des entreprises produisant, fournissant ou commercialisant de l’électricité ou du gaz, qui est susceptible d’être transmise à des personnes privées. D’autre part, les interdictions en cause ne reposent pas sur un mécanisme dérogatoire au droit privé conférant un privilège aux personnes publiques. Enfin, les dispositions du droit néerlandais litigieuses ne résultent pas seulement d’une action spontanée au niveau national, mais s’inscrivent également dans une politique de libéralisation initiée par l’Union européenne, qui s’est traduite par l’adoption de directives imposant un découplage entre les gestionnaires et les utilisateurs de réseaux de transport et de distribution d’énergie.

4.

À ce titre, il est utile de préciser d’emblée que les deux directives du deuxième paquet énergie de 2003, à savoir les directives 2003/54/CE ( 3 ) et 2003/55/CE ( 4 ), et celles du troisième paquet énergie de 2009, à savoir les directives 2009/72/CE ( 5 ) et 2009/73/CE ( 6 ), qui ne font pas l’objet de la demande de décision préjudicielle, sont néanmoins importantes. En effet, elles définissent le degré de libéralisation voulu par le législateur communautaire entre l’année 2003 et l’année 2009 dont les sociétés soutiennent que les États membres ne peuvent pas le dépasser sans enfreindre les règles du droit de l’Union sur les libertés fondamentales. En outre, elles contiennent des définitions pertinentes pour encadrer les présentes affaires.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. Le traité FUE

5.

Selon l’article 63, paragraphe 1, TFUE, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

6.

L’article 345 TFUE prévoit que les traités ne préjugent en rien du régime de la propriété dans les États membres.

2. Les directives 2003/54 et 2003/55

7.

Les directives 2003/54 sur l’électricité et 2003/55 sur le gaz font partie du deuxième paquet énergie adopté aux fins de la libéralisation du secteur de l’énergie. Les règles concernant l’électricité sont, en substance, identiques à celles concernant le gaz. Afin d’éviter les redondances, ne sont reproduites ici que les dispositions relatives à l’électricité.

8.

Les considérants 6 à 8 et 10 de la directive 2003/54 prévoient:

«(6)

Pour le bon fonctionnement de la concurrence, l’accès au réseau doit être non discriminatoire, transparent et disponible au juste prix.

(7)

Afin d’achever le marché intérieur de l’électricité, l’accès non discriminatoire au réseau du gestionnaire de réseau de transport ou de distribution revêt une importance primordiale. Un gestionnaire de réseau de transport ou de distribution peut comprendre une ou plusieurs entreprises.

(8)

Afin d’assurer l’accès au réseau dans des conditions efficaces et non discriminatoires, il convient que les réseaux de transport et de distribution soient exploités par l’intermédiaire d’entités distinctes sur le plan juridique lorsque les entreprises sont verticalement intégrées. […]

Il est nécessaire que l’indépendance des gestionnaires de réseau de distribution (GRD) et des gestionnaires de réseau de transport (GRT) soit garantie, en particulier au regard des intérêts des producteurs et des fournisseurs. Dès lors, il convient de mettre en place des structures de gestion indépendantes entre les GRD et les GRT et toute entreprise de production/fourniture.

Il est important, toutefois, de faire la distinction entre cette séparation juridique et le découplage de la propriété. La séparation juridique n’implique pas de changement de la propriété des actifs et rien n’empêche que des conditions d’emploi similaires ou identiques s’appliquent dans la totalité de l’entreprise verticalement intégrée. Toutefois, il convient d’assurer un processus décisionnel non discriminatoire à travers des mesures d’organisation concernant l’indépendance des preneurs de décisions responsables.

[...]

(10)

Bien que la présente directive ne traite pas des questions de propriété, il est rappelé que, dans le cas d’une entreprise assurant le transport ou la distribution et distincte, quant à sa forme juridique, des entreprises assurant la production et/ou la fourniture, l’entreprise propriétaire de l’infrastructure peut être désignée comme gestionnaire de réseau.»

9.

Il ressort de son article 2, points 3 et 5, que, par «transport», la directive 2003/54 entend le transport d’électricité sur le réseau à très haute tension et à haute tension interconnecté aux fins de fourniture à des clients finals ou à des distributeurs, mais ne comprenant pas la fourniture, tandis que, par «distribution», elle entend le transport d’électricité sur des réseaux de distribution à haute, à moyenne et à basse tension aux fins de fourniture à des clients, mais ne comprenant pas la fourniture.

10.

L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/54, intitulé «Séparation juridique des gestionnaires de réseau de distribution», dispose:

«Lorsque le gestionnaire de réseau de distribution fait partie d’une entreprise verticalement intégrée, il doit être indépendant, au moins sur le plan de la forme juridique, de l’organisation et de la prise de décision, des autres activités non liées à la distribution. Ces règles ne créent pas d’obligation de séparer la propriété des actifs du gestionnaire de réseau de distribution, d’une part, de l’entreprise verticalement intégrée, d’autre part.»

11.

L’article 15, paragraphe 2, de ladite directive prévoit des obligations supplémentaires concernant les entreprises verticalement intégrées. En particulier, les personnes responsables de la gestion du gestionnaire de réseau de distribution doivent présenter des garanties d’indépendance à l’égard des structures chargées de la gestion des activités de production, de transport et de fourniture, le gestionnaire de réseau doit disposer de pouvoirs de décision effectifs et adopter un programme d’engagements concernant l’absence de pratiques discriminatoires.

3. Les directives 2009/72 et 2009/73

12.

Prenant acte des insuffisances du découplage achevé en...

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