Johann Gruber v Bay Wa AG.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2004:529
Date16 September 2004
Celex Number62001CC0464
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-464/01

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 16 septembre 2004 (1)

Affaire C-464/01

Johann Gruber

contre

BayWa AG





1. La principale question dans cette affaire concerne la distinction, dans le cadre de la convention de Bruxelles, (2) entre les contrats conclus par un consommateur et les contrats en général.

2. En particulier, comment déterminer à quelle catégorie appartient un contrat lorsqu'il est conclu par un agriculteur pour l'achat de tuiles destinées au toit d'une ferme qu'il occupe partiellement à titre privé, en tant que logement familial, et partiellement à titre agricole pour abriter bétail et fourrage?

3. D'autres questions plus techniques se posent concernant les actes accomplis en vue de la conclusion du contrat par le consommateur, qui doivent être effectués dans l'État où celui-ci a son domicile pour que la règle de la convention puisse s'appliquer.

La convention de Bruxelles

4. La convention de Bruxelles s'applique en matière civile et commerciale. Le titre II de la convention répartit les compétences entre les États contractants. La règle de base de la convention, formulée à l'article 2, est la compétence du tribunal du domicile du défendeur. Toutefois, par dérogation à cette règle, d'autres tribunaux sont compétents pour connaître de certains types d'actions.

5. L'article 5, point 1, de la convention donne compétence «en matière contractuelle [au] tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée».

6. La section 4 du titre II de la convention, qui comprend les articles 13 à 15, est intitulée «Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs». L'article 13 prévoit, pour ce qui nous intéresse ici:

7. «En matière de contrat conclu par une personne pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ci-après dénommée ‘le consommateur’, la compétence est déterminée par la présente section [...]

1) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels;

2) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets;

3) pour tout autre contrat ayant pour objet une fourniture de services ou d'objets mobiliers corporels si:

a) la conclusion du contrat a été précédée dans l'État de domicile du consommateur d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité

et que

b) le consommateur a accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion du contrat [...]»

7. L'article 14 dispose qu'un consommateur peut intenter une action contre l'autre partie au contrat «soit devant les tribunaux de l'État contractant sur lequel le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domicilié le consommateur».

Les faits et la procédure

8. M. Johann Gruber est agriculteur en Autriche, près de la frontière allemande. Son exploitation comprend une ferme à l'intérieur de laquelle il habite avec sa famille (partie estimée à 62 % de la surface), le reste étant utilisé comme porcherie et grange à fourrage, et d'autres bâtiments séparés comprenant une autre porcherie, un hangar à machines et plusieurs silos à grain.

9. La société BayWa AG (ci-après «BayWa») a plusieurs établissements en Allemagne. À Pocking, non loin de la frontière autrichienne, elle exploite un magasin de matériaux de construction, de bricolage et de jardinerie. Le magasin de bricolage et de jardinerie édite des prospectus publicitaires qui sont distribués également de l'autre côté de la frontière, en Autriche.

10. M. Gruber a connu l'entreprise BayWa par le biais de ces prospectus. Désirant refaire la toiture de sa ferme, il s'est enquis par téléphone des types de tuiles disponibles et des prix, bien que les tuiles ne soient pas spécifiquement mentionnées dans la brochure publicitaire. Il a indiqué son nom et son lieu de résidence, mais n'a pas précisé qu'il était exploitant agricole. L'employé auquel il a eu affaire l'a rappelé pour lui faire une offre verbale. M. Gruber a néanmoins souhaité voir les tuiles et s'est donc rendu dans les locaux de BayWa.

11. Sur place, on lui a remis un devis écrit. Il a déclaré qu'il était agriculteur et souhaitait recouvrir le toit de sa ferme. Il a également indiqué qu'il possédait d'autres bâtiments utilisés principalement à des fins agricoles, mais n'a pas précisé si le bâtiment à couvrir était utilisé principalement à des fins agricoles ou privées.

12. Le jour suivant, M. Gruber a téléphoné à BayWa de son domicile en Autriche pour accepter le devis. BayWa a envoyé par télécopieur une confirmation du contrat à la banque de M. Gruber.

13. À l’issue des travaux de couverture, M. Gruber a constaté des différences de coloris importantes entre les tuiles fournies, en dépit d'une garantie donnée par BayWa quant à l'uniformité de la couleur. Il a donc assigné BayWa devant les tribunaux autrichiens sur le fondement de la garantie et a demandé des dommages et intérêts, le remboursement du prix des tuiles et des frais de dépose et de réfection du toit, ainsi que la condamnation de l'entreprise à l'indemniser de tous autres frais futurs.

14. M. Gruber a invoqué les articles 13 et suivants de la convention de Bruxelles pour justifier la compétence de la juridiction saisie, mais BayWa a soulevé l'incompétence de celle-ci. La juridiction de première instance s'est déclarée compétente au motif que le litige concerne un contrat conclu par un consommateur au sens de ces dispositions, mais ce jugement a été infirmé en appel. L'affaire est venue devant la cour suprême autrichienne, l'Oberster Gerichtshof, qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions suivantes à titre préjudiciel:

«1) Pour décider si l'intéressé a la qualité de consommateur au sens de l'article 13 de la convention de Bruxelles, dans une opération à caractère partiellement privé, faut-il considérer la primauté du but privé ou du but professionnel de cette opération comme un élément déterminant, et en fonction de quels critères peut-on décider si c'est le but privé ou le but professionnel qui prédomine?

2) Faut-il tenir compte, pour définir le but de l'opération, des éléments objectivement apparents du point de vue du partenaire contractuel de consommateur?

3) Un contrat susceptible de se rattacher aussi bien à l'activité professionnelle que privée doit-il être, dans le doute, considéré comme conclu par un consommateur?

4) La conclusion du contrat a-t-elle été précédée d'une publicité au sens de l'article 13, point 3, sous a), de la convention de Bruxelles lorsque le futur contractant du consommateur a bien effectué une publicité par voie de prospectus dans l'État contractant où réside le consommateur, mais que le produit acheté par la suite par ce dernier n'a pas lui-même bénéficié de la publicité?

5) Est-on en présence d'un contrat conclu par un consommateur au sens de l’article 13 de la convention de Bruxelles lorsque le vendeur a fait une offre par téléphone à l'acheteur domicilié dans l'autre État, que cette offre n'a pas été acceptée, mais que l'acheteur a acquis par la suite le produit objet de l'offre, sur la base d'un devis écrit?

6) Le consommateur a-t-il effectué dans son propre État les actes nécessaires à la conclusion du contrat, au sens de l'article 13, point 3, sous b), de la convention de Bruxelles, s'il a accepté par téléphone, dans son État de résidence, un devis établi dans l'État de résidence de son cocontractant?»

15. Les parties au principal, les gouvernements autrichien, allemand, italien, portugais et suédois ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites. À l'audience du 24 juin 2004, M. Gruber, le gouvernement italien et la Commission ont présenté des observations orales.

La définition du contrat conclu par un consommateur

16. Les problèmes interdépendants soulevés par les trois premières questions de la juridiction nationale sont d'ordre général et pourront utilement être examinés ensemble, même si nous préférons les analyser en des termes légèrement différents de ceux dans lesquels ils ont été posés.

17. La question essentielle est de savoir si un contrat «mixte» du type de celui que M. Gruber a conclu avec la société BayWa doit être considéré comme un contrat conclu par un consommateur au sens de la convention de Bruxelles.

18. À cet égard, la juridiction de renvoi souhaite également savoir quelles sont les circonstances dont il faut tenir compte pour la qualification du contrat, et si le fournisseur devait pouvoir objectivement en avoir connaissance.

19. Comme nous le verrons, la réponse à ces questions est, à notre avis, assez simple. Il est cependant utile de retracer d'abord l'historique des dispositions de la convention de Bruxelles concernant les contrats conclus par un consommateur et de leur interprétation par la Cour.

L'historique

20. L'article 13 de la version d'origine de la convention de Bruxelles concernait les ventes à tempérament d'objets mobiliers corporels et les prêts à tempérament directement liés à une vente de tels objets. Il ne mentionnait aucun autre contrat de vente de biens ou de services et n'exigeait pas que l'acquéreur agisse «pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle».

21. La rédaction actuelle a été introduite avec la convention d'adhésion de 1978 (3). Le rapport Schlosser (4) relatif à l’élaboration de cette convention explique que la modification a pour origine une sensibilisation à la nécessité de protéger le consommateur final dans les relations internationales. C'est pourquoi la section 4 du titre II a été élargie «en une section relative à la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs, en précisant, pour l'avenir, que la protection particulière vaut uniquement pour le consommateur final et ne concerne pas les personnes qui [s'engagent] dans...

To continue reading

Request your trial
1 practice notes
  • Johann Gruber v Bay Wa AG.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 20 January 2005
    ...de la Cour Affaire C-464/01Johann GrubercontreBay Wa AG(demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof «Convention de Bruxelles – Article 13, premier alinéa – Conditions d'application – Notion de 'contrat conclu par un consommateur' – Achat de tuiles par un agricul......
1 cases
  • Johann Gruber v Bay Wa AG.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 20 January 2005
    ...de la Cour Affaire C-464/01Johann GrubercontreBay Wa AG(demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberster Gerichtshof «Convention de Bruxelles – Article 13, premier alinéa – Conditions d'application – Notion de 'contrat conclu par un consommateur' – Achat de tuiles par un agricul......

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT