Josette Pecastaing v Belgian State.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1980:32
Date31 January 1980
Celex Number61979CC0098
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket Number98/79
61979C0098

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. FRANCESCO CAPOTORTI,

PRÉSENTÉES LE 31 JANVIER 1980 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.

Les règles communautaires qu'il vous est demandé d'interpréter dans cette affaire préjudicielle sont les articles 8 et 9 de la directive du Conseil no 64/221 du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. En examinant ces dispositions, il faudra tenir compte également des principes relatifs au procès équitable, qui peuvent être tirés de l'article 6 de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l'homme, étant donné qu'il s'agit d'établir de quels moyens de procédure les ressortissants d'États membres doivent disposer, pour leur protection, lorsqu'ils sont frappés de mesures d'éloignement du territoire d'un État membre, autre que le leur, dans lequel ils séjournent ou ont demandé à s'établir.

Les faits de l'affaire peuvent être résumés de la manière suivante:

Madame Josette Pecastaing, ressortissante française, s'est rendue en Belgique en octobre 1977 et a fixé sa résidence à Awans. Le 8 novembre de la même année, elle a demandé aux autorités belges l'autorisation de s'établir dans cet État pour y travailler comme serveuse dans un bar ou un café. Par acte du 3 mai 1978, notifié le 16 mai, l'administration de la sécurité publique a rejeté cette demande en affirmant que le comportement de la requérante rendait son séjour en Belgique indésirable pour des raisons d'ordre public. Dans les motifs de la mesure de rejet, il était notamment précisé, en ce qui concerne le comportement de Madame Pecastaing: «en Belgique, elle a travaillé dans un bar suspect au point de vue des mœurs. Depuis la mi-janvier 1978, elle n'a plus de moyens d'existence personnels; l'attestation patronale soumise étant considérée comme une attestation de complaisance. En France et en Allemagne: signalisée pour prostitution».

Outre qu'elle refusait à la requérante l'autorisation de s'établir en Belgique, la mesure en question lui enjoignait de quitter le pays dans les 15 jours et elle ajoutait qu'«en cas d'inexécution», la destinataire de l'ordre «s'exposait, outre les actions judiciaires, a être arrêtée et incarcérée en vue d'être conduite à la frontière par la force publique».

Le 24 mai 1978, c'est-à-dire dans les huit jours de la notification de l'acte mentionné ci-dessus, Madame Pecastaing a introduit un recours auprès du ministre de la justice, en demandant que son cas soit examiné par la commission consultative pour les étrangers, en application de l'article 3 bis de la loi du 28 mars 1952 modifiée par la loi du 1er avril 1969. Après une série de renvois, la commission a examiné le cas dans sa séance du 14 décembre 1978, en présence de l'intéressée, et elle a estimé que le refus de l'autorité administrative de permettre l'établissement était fondé. Elle a motivé son avis en ces termes: «comportement personnel nuisible pour l'ordre public: a travaillé dans un bar suspect au point de vue moeurs, a produit une attestation patronale de complaisance. En France et en Allemagne: signalisée pour prostitution en 1977».

À la suite de cette procédure, l'administration de la sécurité publique a fait connaître à Madame Pecastaing, par l'entremise du maire de son lieu de résidence, la confirmation du refus de l'autorisation d'établissement qui lui avait été communiqué le 16 mai 1978 et un nouvel ordre de quitter le pays dans les quinze jours. Cette décision a été notifiée le 23 janvier 1979.

Par acte du 9 mars 1979, Madame Pecastaing a cité l'État belge devant le tribunal de première instance de Liège, en demandant que la décision d'éloignement soit révoquée pour illégalité et, en particulier, pour incompatibilité avec les règles communautaires et que l'État belge soit en outre condamné à réparer les dommages qu'elle a subis du fait de cet acte illégal. Dans le même temps, la requérante a demandé au président du tribunal saisi de bien vouloir ordonner, d'urgence, la suspension de l'effet exécutoire de la mesure attaquée.

Dans le cadre de cette seconde procédure, le président du tribunal de première instance de Liège a posé à la Cour deux groupes de questions qui prennent comme point de départ l'arrêt que vous avez rendu, le 8 avril 1976, dans l'affaire 48/75, Royer (voir Recueil 1976, p. 497) et précisément le quatrième point du dispositif de cet arrêt. La Cour a alors déclaré qu'«une décision d'éloignement ne saurait être exécutée, sauf urgence dûment justifiée, avant que l'intéressé ait été en mesure d'épuiser les recours dont l'exercice lui est assuré par les articles 8 et 9 de la directive no 64/221». Le juge belge a alors soulevé, essentiellement, deux problèmes. Le premier concerne l'effet suspensif des recours introduits par les personnes protégées par l'ordre juridique communautaire contre les mesures d'expulsion (ou plus exactement contre le refus de délivrer le premier document de séjour et contre l'ordre d'éloignement): le juge national semble être convaincu que les recours en annulation ou la révocation des actes administratifs en question, entrant dans le cadre de l'article 8 de la directive, ont toujours un effet suspensif et il demande donc si des actions judiciaires différentes, telles que l'action en responsabilité civile contre l'État qui a adopté la mesure contre l'étranger, ont la même portée. Dans ce contexte, le juge se réfère tant au passage cité ci-dessus de l'arrêt Royer qu'au droit fondamental de la personne a un procès équitable; et il émet l'hypothèse que ce dernier implique non seulement la possibilité effective de saisir personnellement les tribunaux d'un autre État mais également le droit de l'intéressé de rester, malgré l'expulsion, sur le territoire de l'État dont il conteste la mesure, tant que l'affaire est pendante. Le second problème, est posé au sujet des mesures d'expulsion à caractère d'urgence: le juge belge demande si ces mesures peuvent être exécutées malgré l'introduction d'un recours et si l'appréciation d'urgence constitue un pouvoir exclusif de l'autorité qui ordonne l'expulsion ou si elle est déférée, en cas de contestation, au juge devant lequel l'ordre administratif a été attaqué.

2.

Avant d'aborder l'examen des problèmes indiqués, nous estimons opportun de souligner que la matière controversée demeure jusqu'à présent régie par la directive no 64/221, que l'on ne peut pas considérer comme dépassée par la jurisprudence ultérieure de la Cour, comme la défense de la requérante dans l'affaire principale et l'agent de la Commission lui-même semblent au contraire le suggérer. Il est vrai que dans l'arrêt Royer cité, la Cour a affirmé, en termes très nets, que «le droit, pour les ressortissants d'un État membre, d'entrer sur le territoire d'un autre État membre et d'y séjourner est directement conféré ... par le traité ou, selon les cas, par les dispositions prises pour la mise en oeuvre de celui-ci», et cela «indépendamment de tout titre de séjour délivré par l'État d'accueil» (attendus 31-33). Cette prise de position constitue sans aucun doute la clé pour comprendre exactement la situation juridique du ressortissant d'un État membre, qui se rend dans un autre pays de la Communauté. En même temps, il faut reconnaître, toutefois, que le système créé par les règles de la directive 64/221 est encore en vigueur et doit être appliqué jusqu'à l'adoption éventuelle d'une nouvelle réglementation communautaire. Le rôle du juge devant des situations de ce genre est nécessairement limité: il est appelé à interpréter les règles en vigueur, tout en s'efforçant de les adapter à l'évolution de l'ordre juridique et aux exigences renouvelées de la collectivité. Notre Cour a déjà suivi cette voie dans l'arrêt Royer et il n'y aucune raison pour qu'elle abandonne cette orientation.

3.

Les articles 8 et 9 de la directive 64/221 ont pour but «d'ouvrir dans chaque État membre, aux ressortissants des autres États membres, des possibilités suffisantes de recours contre les actes administratifs» qui touchent au droit de séjour (voir le troisième considérant de la directive). Pour atteindre ce but, l'article 8 dispose que chaque État membre doit avant tout reconnaître aux ressortissants des autres États membres le droit d'introduire, contre les décisions d'entrée, de refus de délivrance ou de refus de renouvellement du titre de séjour, ou contre la décision d'éloignement du territoire, «les recours ouverts aux nationaux contre les actes administratifs».

Il est évident que cet article répond à la logique de...

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