Echirolles Distribution SA v Association du Dauphiné and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2000:299
Docket NumberC-9/99
Celex Number61999CC0009
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date06 June 2000
EUR-Lex - 61999C0009 - FR 61999C0009

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 6 juin 2000. - Echirolles Distribution SA contre Association du Dauphiné e.a.. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Grenoble - France. - Législation nationale sur le prix du livre. - Affaire C-9/99.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-08207


Conclusions de l'avocat général

I - Introduction

1 Dans la présente demande de décision à titre préjudiciel, il s'agit, en définitive, de la question de savoir si les dispositions du traité CE relatives au marché intérieur - notamment les articles 3, sous c) et g), 3A, 5, 7A, deuxième alinéa, 102A et 103, paragraphes 3 et 4 (1) - s'opposent à la législation française imposant un prix fixe pour les livres. La Cour s'est déjà prononcée à plusieurs reprises sur le système français du prix fixe du livre (2) - il est vrai avant la réalisation du marché intérieur le 1er janvier 1993 - en jugeant que, au stade auquel se trouvait le droit communautaire à l'époque, l'article 5, alinéa 2, en combinaison avec les articles 3, sous f), 85 et 86 du traité, n'interdisait pas aux États membres d'édicter une législation selon laquelle le prix de vente au détail des livres doit être fixé par l'éditeur ou l'importateur et s'impose à tout détaillant, à condition que cette législation respecte les autres dispositions spécifiques du traité - notamment celles qui concernent la libre circulation des marchandises. La juridiction de renvoi, à savoir la Cour d'appel de Grenoble, se trouve, dans le cadre de la procédure au principal, notamment confrontée à la question de savoir si, du fait de l'intégration des dispositions relatives au marché intérieur dans le traité CE, la situation juridique s'est modifiée.

II - La législation nationale

2 La loi française n_ 81-766 du 10 août 1981 (3) dispose dans son article 1er, entre autres, que tout éditeur ou importateur de livres est tenu de fixer un prix de vente au public pour les livres qu'il édite ou importe. Les détaillants sont tenus de pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l'éditeur ou l'importateur. Dans le cas où l'importation concerne des livres édités en France, le prix de vente au public par l'importateur doit au moins être égal à celui qui a été fixé par l'éditeur. Cette dernière disposition n'est cependant, en vertu de la loi n_ 85-500 du 13 mai 1985 et de la loi n_ 93-1420 du 31 décembre 1993, qui ont également été adoptées en référence à la jurisprudence de la Cour, pas applicable aux livres importés à partir d'un autre État membre de la Communauté européenne, sauf si une telle importation a pour objet de tourner le prix imposé du livre.

III - Les faits

3 La société Echirolles Distribution SA (ci-après la «demanderesse») exploite un fonds de commerce sous l'enseigne «Centre Leclerc». Comme elle a, en violation de l'article 1er, quatrième alinéa, de la loi du 10 août 1981, mis en vente des livres à un prix inférieur de plus de 5 % à celui fixé par l'éditeur ou l'importateur, elle a été condamnée à payer des dommages-intérêts à M. Patrick Corbet, libraire, à l'«Association du Dauphiné pour le maintien et l'application de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre», à l'«Association des libraires de bandes dessinées» et à l'«Union des libraires de France» (ci-après les «défendeurs») (4).

4 La demanderesse a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi. À titre de motifs, elle fait, entre autres, valoir que la loi, qui, jusqu'à présent, était compatible avec le droit communautaire, aurait pu ne plus l'être du fait de l'entrée en vigueur des dispositions du traité CE relatives au marché intérieur.

5 Dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi signale entre autres que, en France, le prix fixe du livre concerne tant les acquéreurs privés que professionnels et qu'il s'applique indifféremment aux livres à vocation culturelle et aux livres techniques. La juridiction de renvoi précise que, de ce fait, le coût de l'activité des entreprises ou des personnes pour lesquelles l'information livresque est nécessaire et importante, comme les juristes, les médecins et les architectes, est renchéri. Elle constate que ce système a pour effet d'empêcher les libraires organisés ou individuels de répercuter, sur les prix de détail, les gains résultant d'une meilleure productivité, d'achats groupés, d'une gestion plus efficace de leur activité commerciale ou même ceux résultant de la qualité des services rendus. Selon la juridiction de renvoi, la pratique du prix imposé du livre, où le prix est fixé par une personne qui n'est pas partie au contrat, affecte le libre fonctionnement du marché. Elle ajoute que, par le biais de cette pratique, la France a fait du marché du livre une zone de non-concurrence.

6 Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi part du principe que la loi n'est pas contraire à l'article 85 du traité CE (devenu article 81 CE), étant donné qu'il ne s'agit pas d'un prix fixe résultant d'un accord entre professionnels. Elle relève que, par le passé, une violation des articles 30 et 36 du traité CE (devenus articles 28 et 34 CE), éventuellement concernés, n'a été admise que lorsque la loi régissait des situations transfrontalières, ce qui, en l'espèce, n'est cependant pas le cas. C'est pourquoi la juridiction de renvoi estime que la Cour, ainsi que la Commission européenne ont, à la lumière du traité CE, admis en définitive le contenu de la version actuelle de la loi avant l'entrée en vigueur des dispositions relatives au marché intérieur.

7 Elle fait valoir par ailleurs que la Cour ne s'est pas (encore) prononcée expressément sur la question de savoir si tel est également le cas depuis la création du marché intérieur. La juridiction de renvoi part du principe que le marché intérieur est considéré comme la fusion des marchés nationaux dans un marché unique et elle estime que les dispositions relatives au marché intérieur pourraient également avoir des effets à l'égard de systèmes de fixation du prix du livre purement nationaux. Selon elle, on ne saurait se limiter à assimiler le marché intérieur à un espace de libre circulation des marchandises; on pourrait également le considérer comme un marché unique dont les règles de fonctionnement s'imposent tant aux États qu'aux particuliers.

8 La juridiction de renvoi en conclut que, pour pouvoir répondre à la question de savoir si la loi est compatible avec le droit communautaire dans sa version actuelle, l'élément déterminant est le point de savoir si la situation juridique s'est modifiée du fait de l'entrée en vigueur des dispositions relatives au marché intérieur. Enfin, elle considère qu'elle est dans l'impossibilité d'attendre une modification expresse du droit communautaire quant au prix du livre, du fait de son obligation de rendre justice dans un délai raisonnable.

IV - La question préjudicielle

9 Par ces motifs, la juridiction saisie du litige au principal a déféré à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La législation française obligeant les éditeurs à imposer aux libraires un prix fixe de revente des livres, quel que soit leur contenu, tant aux consommateurs qu'aux acquéreurs à but professionnel, est-elle compatible avec le marché intérieur mis en place le 1er janvier 1993 et notamment avec les articles 3, sous c) et g), 3A, 5 et 7A, deuxième alinéa, 102A et 103, paragraphes 3 et 4, du traité instituant la Communauté économique européenne, tel que modifié par l'Acte unique européen et le traité sur l'Union européenne

V - Arguments des parties

10 La demanderesse soutient que le système français du prix fixe du livre a créé une zone de non-concurrence et qu'il est donc contraire au principe du marché marqué par la confrontation de l'offre et de la demande. Elle fait valoir que, en mettant en place le système du prix fixe du livre, le législateur français entendait protéger la création artistique et littéraire, mais que, ce faisant, il a omis de tenir compte du caractère général de ce système qui inclut donc également les livres techniques qui ne nécessitent cependant pas une telle protection. Elle constate que, même s'il convient de reconnaître que le livre fait partie du patrimoine culturel, il existe un lien avec l'économie, comme le montre, entre autres, la hausse générale des prix des livres provoquée, en France, par le système du prix fixe du livre.

11 La demanderesse relève que, même si la Cour a, jusqu'à présent, dans ses décisions relatives au système français du prix fixe du livre, jugé que le principe de la fixation du prix par l'éditeur était compatible avec le droit communautaire, elle l'a fait en se référant expressément à l'état du droit communautaire tel qu'il se présentait à l'époque, à savoir à une date à laquelle la notion de marché intérieur ne faisait pas encore partie du traité CE. Selon la demanderesse, l'introduction des dispositions relatives au marché intérieur risque cependant d'entraîner une incompatibilité entre les dispositions concernées du traité CE et les dispositions légales françaises en cause.

12 La demanderesse fait valoir par ailleurs que les dispositions françaises en matière de fixation du prix des livres constituent également une violation de l'article 30 du traité CE, étant donné qu'elles s'appliquent également lorsqu'un ressortissant d'un autre État membre achète des livres en France, en ce sens que celui-ci est lié par les prix fixés par l'éditeur français, ce qui constitue un obstacle à la libre circulation des marchandises.

13 Les gouvernements autrichien et français signalent tout d'abord que la question préjudicielle est irrecevable dans sa forme actuelle, étant donné qu'elle aboutirait à l'examen de la compatibilité d'une disposition nationale avec le droit communautaire. Ils proposent une reformulation de la question...

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