Adzo Domenyo Alokpa and Others v Ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Immigration.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:197
Docket NumberC-86/12
Celex Number62012CC0086
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date21 March 2013
62012CC0086

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 21 mars 2013 ( 1 )

Affaire C‑86/12

Adzo Domenyo Alokpa,

Jarel Moudoulou,

Eja Moudoulou

contre

Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour administrative (Luxembourg)]

«Citoyenneté de l’Union — Articles 20 TFUE et 21 TFUE — Directive 2004/38/CE — Droit de séjour — Enfants mineurs ayant la nationalité d’un État membre, à charge d’un ascendant ressortissant d’un État tiers — Refus d’un État membre d’octroyer le séjour, un titre de séjour et un permis de travail — Conséquences sur la jouissance effective des droits associés au statut de citoyen de l’Union»

I – Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour administrative (Luxembourg), porte sur l’interprétation de l’article 20 TFUE, conduite éventuellement à la lumière des droits fondamentaux, quoique son enjeu principal concerne la satisfaction des conditions prévues par la directive 2004/38/CE ( 2 ).

2.

La question préjudicielle dont la Cour de justice est saisie a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant Mme Alokpa, ressortissante togolaise, ainsi que ses deux enfants, nés au Luxembourg et ayant la nationalité française, au ministre luxembourgeois du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, au sujet de la décision de ce dernier refusant, d’une part, à Mme Alokpa un droit de séjour au Luxembourg, et, d’autre part, lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois.

3.

Plus précisément, après que sa demande de protection internationale a été rejetée par les autorités et juridictions luxembourgeoises, Mme Alokpa a sollicité l’octroi d’un statut de tolérance, lequel a, dans un premier temps, également été refusé. Toutefois, en raison de la naissance prématurée de ses jumeaux à Luxembourg (Luxembourg) en date du 17 août 2008, Mme Alokpa a obtenu ledit statut jusqu’au 31 décembre 2008. Quelques jours après leur naissance, les jumeaux ont été reconnus par M. Moudoulou, ressortissant français, et se sont vu délivrer un passeport et une carte nationale d’identité français les 15 mai et 4 juin 2009, respectivement.

4.

Afin de régulariser son statut, la requérante au principal a, le 6 mai 2010, introduit auprès des autorités luxembourgeoises une demande d’autorisation de séjour en tant que membre de la famille de citoyens de l’Union européenne. Après avoir recueilli auprès de Mme Alokpa un complément d’informations concernant les raisons qui l’empêchaient de s’établir avec ses enfants sur le territoire français où réside le père des enfants, ces autorités ont, par décision du 14 octobre 2010, rejeté ladite demande, soulignant que ni Mme Alokpa ni ses enfants ne rempliraient les conditions prévues par la loi luxembourgeoise transposant la directive 2004/38. Par ailleurs, ladite décision relevait que le suivi médical des enfants pouvait être parfaitement assuré en France.

5.

Après que le recours formé par Mme Alokpa en son nom propre et au nom de ses enfants, tendant à l’annulation des décisions susmentionnées, a été déclaré non fondé par le tribunal administratif par jugement en date du 21 septembre 2011, les requérants au principal ont interjeté appel de cette décision devant la Cour administrative.

6.

La juridiction de renvoi constate, premièrement, que Mme Alokpa et ses enfants ont mené une vie familiale commune dans un foyer d’accueil luxembourgeois et sont donc à charge de l’État, sans qu’aucun contact ait été entretenu avec le père. Elle relève toutefois que Mme Alokpa dispose d’une offre d’emploi à durée indéterminée au Luxembourg, laquelle serait uniquement tenue en échec par l’absence d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail.

7.

Deuxièmement, la juridiction de renvoi observe que la situation des deux enfants présente des traits communs avec l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Ruiz Zambrano ( 3 ), en relevant toutefois que les enfants de Mme Alokpa ne résident pas sur le territoire de l’État membre dont ils ont la nationalité.

8.

Dans ce contexte, la Cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 20 TFUE, au besoin ensemble [avec] les articles 20, 21, 24, 33 et 34 de la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la ‘Charte’], l’un ou plusieurs d’entre eux pris de manière séparée ou combinée, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre, d’une part, refuse à un ressortissant d’un État tiers, qui a à sa seule charge ses enfants en bas âge, citoyens de l’Union, le séjour dans l’État membre de résidence de ces derniers où ils vivent avec lui depuis leur naissance, sans qu’ils en aient la nationalité, et, d’autre part, refuse audit ressortissant d’un État tiers un titre de séjour voire, plus loin, un permis de travail?

De telles décisions sont-elles à considérer comme étant de nature à priver lesdits enfants, dans leur pays de résidence dans lequel ils ont vécu depuis leur naissance, de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union également dans la circonstance donnée où leur autre ascendant direct, avec lequel ils n’ont jamais eu aucune vie familiale commune, réside dans un autre État de l’Union, dont lui-même est un ressortissant?»

9.

Des observations écrites ont été déposées par Mme Alokpa, les gouvernements luxembourgeois, belge, tchèque, allemand, grec, lituanien, néerlandais et polonais ainsi que par la Commission européenne. Ces parties ont été entendues lors de l’audience qui s’est tenue le 17 janvier 2013, à l’exception des gouvernements belge, tchèque, grec, lituanien et polonais qui ne s’y sont pas fait représenter.

II – Analyse juridique

A – Observations liminaires

10.

La juridiction de renvoi nous demande, en substance, d’une part, si un ressortissant d’un pays tiers, ayant à sa seule charge ses enfants en bas âge, qui sont citoyens de l’Union nés dans un État membre autre que celui dont ils ont la nationalité et qui n’ont jamais exercé leur droit de libre circulation, peut tirer de ce dernier un droit dérivé de séjour au sens de l’article 20 TFUE et si, d’autre part, une décision refusant ce séjour et lui enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois serait de nature à priver lesdits enfants de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union.

11.

Afin de répondre utilement à la première branche de la question posée par la juridiction de renvoi, je suis d’avis qu’il s’impose d’emblée de rejeter l’affirmation de celle-ci, partagée par les gouvernements belge et allemand dans leurs observations écrites, selon laquelle la situation en question, à l’instar de celle à l’origine de l’arrêt Ruiz Zambrano, précité, serait «purement interne».

12.

En effet, il ressort dudit arrêt Ruiz Zambrano ainsi que des arrêts McCarthy et Dereci e.a. ( 4 ), que l’article 20 TFUE, visé dans la question préjudicielle, est à prendre en compte en l’absence d’un quelconque élément transfrontalier actuel, dans la situation de citoyens de l’Union qui résident dans l’État membre dont ils ont la nationalité et qui n’ont jamais exercé leur droit à la libre circulation.

13.

Or, dans l’affaire au principal, les enfants de Mme Alokpa, tous deux citoyens de l’Union, séjournent dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité.

14.

Un tel cas de figure peut donc être assimilé à celui à l’origine de l’arrêt Zhu et Chen ( 5 ), dans lequel la Cour a considéré que la situation d’un enfant en bas âge, citoyen de l’Union, qui résidait dans un État membre autre que celui dont il avait la nationalité et qui n’avait pas exercé son droit à la libre circulation, relevait néanmoins du champ d’application des dispositions du droit de l’Union en matière de libre circulation des personnes ( 6 ), en particulier de celles de la directive 90/364/CEE ( 7 ), laquelle a été remplacée et abrogée par la directive 2004/38.

15.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38 prévoit d’ailleurs que celle-ci s’applique notamment à tout citoyen de l’Union qui séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ce qui correspond à la situation des enfants de Mme Alokpa.

16.

Par conséquent, il y a lieu d’examiner, dans un premier temps, si, eu égard aux circonstances de l’affaire au principal, des enfants en bas âge, citoyens de l’Union, séjournant dans un État membre dont ils ne possèdent pas la nationalité, satisfont aux conditions posées par la directive 2004/38, en particulier celles de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette dernière. Dans un second temps, il s’agira de vérifier si leur mère, en tant qu’ascendant direct, ressortissante d’un État tiers, peut se prévaloir d’un droit de séjour dérivé ( 8 ).

17.

Comme la jurisprudence le permet afin de répondre utilement à la juridiction de renvoi, il importe donc de reformuler la première branche de la question préjudicielle en ce sens qu’elle vise l’interprétation de la directive 2004/38, mentionnée, du reste, dans la demande de décision préjudicielle et sur laquelle a porté l’essentiel des observations des gouvernements luxembourgeois, tchèque, grec, lituanien, néerlandais et polonais ainsi que de la Commission ( 9 ).

B – Sur la première branche de la question préjudicielle relative à la satisfaction des conditions de la directive 2004/38

18.

Pour répondre à la question telle que reformulée, il importe de rappeler que l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 prévoit que tout...

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