B. F. Cadman v Health & Safety Executive.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:333
Date18 May 2006
Celex Number62005CC0017
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-17/05

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 18 mai 2006 (1)

Affaire C-17/05

B. F. Cadman

contre

Health & Safety Executive

[demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal (England and Wales) (Civil Division) (Royaume‑Uni)]

«Égalité de rémunération entre travailleurs masculins et féminins ‑ Ancienneté utilisée comme critère déterminant pour la rémunération ‑ Discrimination indirecte»





1. La présente demande de décision préjudicielle est soumise par la Court of Appeal (England and Wales) (Civil Division) (Royaume‑Uni) et porte sur le développement de la jurisprudence communautaire relative à l’égalité de rémunération. Au cœur de la polémique se retrouve la question du maintien du principe posé par l’arrêt Danfoss (2), à savoir que l’ancienneté, utilisée comme critère déterminant pour la rémunération, n’a pas à être justifiée par un employeur, même si elle désavantage les travailleurs féminins, car «l’ancienneté va de pair avec l’expérience et […] celle‑ci met généralement le travailleur en mesure de mieux s’acquitter de ses prestations». La présente espèce ne remet pas directement en cause les systèmes de rémunération où l’ancienneté est utilisée comme critère déterminant, mais peut avoir une incidence indirecte sur eux. Ce qui est en jeu, c’est, tout d’abord, la répartition de la charge de la preuve entre l’employeur et le travailleur en vue de déterminer si peut se justifier une discrimination indirecte que fait naître un système de rémunération utilisant l’ancienneté comme critère déterminant et, ensuite, la question de la nature de la justification requise et la portée de la charge de la preuve. S’il doit être admis en général que l’ancienneté est un outil légitime pour récompenser l’expérience et l’efficacité, il sera alors impossible pour un travailleur de contester un système de rémunération reposant sur l’ancienneté, même si, dans les faits, il désavantage les travailleurs féminins. À l’inverse, s’il devait être conclu qu’un employeur doit justifier toute différence de traitement résultant de l’application du critère de l’ancienneté en tant qu’élément déterminant de la rémunération, il pourra s’avérer difficile pour celui‑ci d’apporter des éléments précis et détaillés démontrant que l’efficience et la productivité se bonifient avec l’ancienneté.

I – Cadre juridique

2. La présente espèce concerne l’égalité entre les hommes et les femmes, principe fondamental de droit communautaire en application des articles 2 CE et 3, paragraphe 2, CE qui fait partie des fondements de la Communauté (3). Le principe de l’égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur est inscrit à l’article 141 CE, qui dispose:

«1. Chaque État membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.

2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.

L’égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique:

a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d’une même unité de mesure;

b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail.»

3. L’article 141 CE est complété par plusieurs textes de droit dérivé. La directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (4), garantit que les caractéristiques et conditions de rémunération ne créent pas de discrimination entre les hommes et les femmes. L’article 1er de la directive 75/117 dispose expressément ceci:

«Le principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, qui figure à l’article [141 CE] et qui est ci‑après dénommé ‘principe de l’égalité des rémunérations’, implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, l’élimination, dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération, de toute discrimination fondée sur le sexe.

En particulier, lorsqu’un système de classification professionnelle est utilisé pour la détermination des rémunérations, ce système doit être basé sur des critères communs aux travailleurs masculins et féminins et établi de manière à exclure les discriminations fondées sur le sexe.»

4. Bien que l’article 141 CE ne le prévoie pas expressément, la notion de discrimination indirecte fondée sur le sexe a été développée par la jurisprudence (5), puis inscrite dans les textes. La directive 97/80/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (6), définit en son article 2, paragraphe 2, la discrimination indirecte fondée sur le sexe: «Aux fins du principe de l’égalité de traitement visé au paragraphe 1, une discrimination indirecte existe lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte une proportion nettement plus élevée de personnes d’un sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit approprié(e) et nécessaire et ne puisse être justifié(e) par des facteurs objectifs indépendants du sexe des intéressés».

5. Bien que les directives suivantes ne soient pas applicables en l’espèce, il importe de noter que la notion de la discrimination indirecte fait aujourd’hui l’objet d’une définition uniforme dans les directives 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (7), 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (8), et 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (9), modifiée par la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 (10). L’article 2 de la directive 76/207 modifiée dispose qu’il faut entendre par «‘discrimination indirecte’: la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires».

6. S’agissant de la répartition de la charge de la preuve dans des affaires d’égalité de traitement, la directive 97/80 dispose également, en son article 4, que, si la demanderesse établit «des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement» (11).

7. Le rapport entre l’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/80, définissant la notion de discrimination indirecte, et son article 4, relatif à la répartition de la charge de la preuve, sera essentiel pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi et déterminer si un système de rémunération dans lequel l’ancienneté est un facteur déterminant peut conduire à une discrimination indirecte.

II – Faits, procédures et questions préjudicielles

8. Mme B. F. Cadman est employée par le Health and Safety Executive (Bureau pour la santé et la sécurité, ci‑après le «HSE»), agence nationale compétente en matière de sécurité et de salubrité des conditions de travail en Grande‑Bretagne.

9. Mme Cadman est entrée au service du HSE en juin 1990 en qualité d’inspecteur du travail. Elle a été promue à l’issue de sa formation en juin 1993. En 1996, elle a été nommée responsable d’une unité de contrôle et a bénéficié d’une nouvelle promotion au grade d’inspecteur principal de la santé et de la sécurité de 2e classe. En février 2001, elle a été mutée à un poste opérationnel en qualité de responsable d’une unité de gestion de services extérieurs.

10. Durant la période où Mme Cadman a servi au HSE, le système de rémunération a été modifié à plusieurs reprises. Avant 1992, le système reposait sur des augmentations indiciaires, c’est‑à‑dire que chaque collaborateur bénéficiait d’une augmentation annuelle jusqu’à ce qu’il ou elle atteigne l’échelon le plus élevé de son grade. En 1992, le HSE a introduit un élément lié au rendement permettant d’ajuster l’augmentation annuelle pour refléter les performances individuelles de l’employé. Sous ce système, les employés les plus performants pouvaient atteindre plus rapidement l’échelon le plus élevé. En 1995, à la suite de l’entrée en vigueur d’un accord à long terme sur les rémunérations, les augmentations annuelles étaient fonction de l’attribution de points liés à la performance de l’employé, réduisant ainsi le rythme de réduction des écarts de rémunération entre employés du même grade ayant une grande ancienneté et ceux dont l’ancienneté est moins importante. Enfin, en 2000, les employés se situant aux niveaux les plus bas des échelons ont bénéficié d’augmentations annuelles plus importantes pour permettre une progression plus rapide au sein de l’échelon.

11. Au cours de l’exercice 2000/2001, la rémunération annuelle de Mme Cadman s’élevait à 35 129 GBP, tandis que celles de quatre de ses collègues masculins de même grade étaient respectivement de 39 125 GBP, 43 345 GBP, 43 119 GBP et 44 183 GBP. La...

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