Regina v Maurice Donald Henn and John Frederick Ernest Darby.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1979:246
Docket Number34/79
Celex Number61979CC0034
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date25 October 1979
61979C0034

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 25 OCTOBRE 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La présente affaire a pour particularité d'être la première à vous être déférée par une demande de décision préjudicielle formée par la «House of Lords». C'est aussi la première affaire dans laquelle la Cour est appelée à apprécier la portée de l'exception inscrite à l'article 36 du traité CEE en faveur des interdictions ou restrictions de la libre circulation des marchandises «justifiées par des raisons de moralité publique».

Les parties requérantes devant la House of Lords sont Maurice Donald Henn et John Frederick Ernest Darby. Il semble qu'ils dirigeaient en Angleterre un service de vente par correspondance de films et de littérature pornographiques. Le 14 juillet 1977, la «Crown Court» d'Ipswich les a jugés coupables d'un certain nombre d'infractions à la loi anglaise. M. Henn a été condamné à une peine d'emprisonnement totale de 18 mois et sommé de payer 20 livres sterling de frais d'aide judiciaire. M. Darby a été condamné à 30 mois de prison au total ainsi qu'à d'autres peines.

Seule l'une des infractions retenues à l'encontre de M. Henn et M. Darby est pertinente à l'égard du présent renvoi: il s'agit du fait d'avoir «sciemment violé l'interdiction d'importer des articles indécents ou obscènes, cela contrairement à la section 42 du “Customs Consolidation Act” de 1876 et à la section 304 du “Customs and Excise Act” de 1952».

La section 42 du «Customs Consolidation Act» de 1876 interdit l'importation d'objets «indécents ou obscènes» sur le territoire douanier du Royaume-Uni et prévoit que les objets importés en violation de cette interdiction seront saisis et qu'ils pourront être détruits ou qu'il pourra en être disposé autrement conformément aux instructions de l'administration des douanes. Aux termes de la section 304 du «Customs and Excise Act» de 1952, est constitutif d'un délit le fait pour quiconque de participer sciemment, de quelque façon que ce soit, à une violation frauduleuse ou à une tentative de violation de l'interdiction d'importation.

Les articles visés par le chef d'accusation en cause contre les requérantes faisaient partie d'un lot de films et de magazines introduits en Angleterre dans un camion arrivé le 14 octobre 1975 à Felixstowe par le ferry venant de Rotterdam. Le chef d'accusation faisait état de six films et sept magazines, tous d'origine danoise. L'exposé des faits accompagnant l'ordonnance de renvoi les décrit ainsi:

«Les films étaient tous du format 8 mm, qui est généralement utilisé plutôt pour les projections privées que pour les projections publiques. Chaque film avait une durée d'environ dix minutes. Ils dépeignent de manière détaillée et explicite des activités sexuelles entre des hommes et des femmes, entre des hommes seulement, entre des femmes et un chien et entre un homme et un porc. Ils comprennent un certain nombre de scènes de violence et de comportement sexuel contre nature, y compris d'urination et de défécation.

Les revues contiennent une part importante de photographies. Elles dépeignent, elles aussi, de manière détaillée et explicite des activités sexuelles entre des hommes et des femmes, entre des hommes seulement, entre des femmes seulement et entre des femmes et un chien et un poney. Deux magazines ne contiennent que des photographies de fillettes nues dont l'âge varie de 5 à 14 ans. Il y est fait un abondant étalage des organes sexuels; une des photos suggère une rupture récente de l'hymen, une autre montre des filles en train d'exciter et de masturber un homme.»

L'exposé des faits poursuit en mentionnant, parmi les actes délictueux représentés dans ces articles, le viol, le rapt d'une femme, la sodomie (impliquant des êtres humains et des animaux) l'attentat à la pudeur et l'acte grave d'indécence avec ou à l'égard d'enfants âgés de moins de 14 ans.

Les requérants ont interjeté appel de leur condamnation devant la «Court of Appeal» d'Angleterre et du pays de Galles. L'un des arguments invoqués par leur représentant devant cette Cour consistait à faire valoir que la section 42 du Customs Consolidation Act de 1876 ne pouvait leur être appliquée en raison de la prééminence des articles 9 et 30 du traité CEE.

La Court of Appeal a rejeté les appels par arrêt du 13 juillet 1978 (l'arrêt est publié au Weekly Law Reports 1978, I, p. 1031).

Le moyen tiré du traité CEE par les requérants a suscité deux remarques de la part de la Court of Appeal. En premier lieu, elle a émis l'avis selon lequel les termes «restrictions quantitatives», dans l'article 30, impliquaient des restrictions «portant sur une quantité» et n'étaient pas applicables à une interdiction totale d'importer telle que celle en cause dans le cas d'espèce. La Court of Appeal a ensuite estimé que, même si l'interdiction tombait sous le coup de l'article 30, elle trouvait sa sauvegarde à l'article 36. L'arrêt de la Court of Appeal porte à croire que l'argument particulier développé dans cette partie de la défense au nom des requérants a été le suivant: la jurisprudence de votre Cour a donné au terme «justifie» à l'article 36 la même valeur que «nécessaire» et, sur un point de cette nature, il incombait à la Court of Appeal non pas de se fier à sa propre appréciation, mais au contraire d'ordonner le renvoi à votre Cour. La Court of Appeal a refusé d'admettre que l'article 36 du traité pouvait être lu comme s'il contenait le terme «nécessaire» au lieu de «justifié», tout en exprimant en même temps son hésitation à croire que «le fait d'y inscrire» nécessaire «aurait entraîné une quelconque différence». La Court of Appeal a ajouté qu'elle aurait saisi votre Cour de cette question si elle avait éprouvé le moindre doute quant à sa solution, mais que tel n'était pas le cas. «Nous ne voyons pas», dit-elle, «comment une interdiction d'importer de la littérature obscène pourrait ne pas être une interdiction justifiée par des raisons de moralité publique et d'ordre public».

Nous estimons que cet arrêt appelle deux remarques.

En premier lieu, et avec tout le respect dû à la Court of Appeal, c'est une erreur totale de considérer que la référence à des «restrictions quantitatives», contenue à l'article 30 du traité, ne porte pas sur une interdiction totale. Il est à peine nécessaire de s'étendre sur ce point puisqu'aucune des parties intervenues au débat devant votre Cour n'a cherché à défendre la conception de la Court of Appeal sur ce point. Comme on l'a fait valoir dans ce débat, les arrêts de votre Cour fournissent une abondante jurisprudence dans le sens opposé: voir par exemple l'affaire 7/68, Commission/ République italienne (Recueil 1968, pp. 423 et 430); l'affaire 2/73, Geddo/ENR (Recueil 1973, II, p. 865); et l'affaire 74/76, Iannelli et Volpi/Meroni (Recueil 1977, I, p. 574). Qui plus est, comme on nous l'a également fait observer, ce point de vue est non seulement démenti par l'emploi, à l'article 36, des termes «interdictions ou restrictions», mais il est de surcroît inconciliable avec l'objectif même visé par le traité au titre premier de sa deuxième partie, qui fait de la libre circulation des marchandises l'un des «fondements de la Communauté». Comme le gouvernement du Royaume-Uni, se dissociant du point de vue de la Court of Appeal, le constate dans ses observations écrites «il est évident qu'une interdiction totale constitue une atteinte plus grande au principe fondamental de la libre circulation des marchandises qu'une restriction partielle à l'importation».

Notre seconde remarque est qu'en revanche la Court of Appeal avait, à notre avis, parfaitement raison de considérer que l'article 36 ne devrait pas être lu comme s'il comportait le terme «nécessaire» au lieu de «justifié». Votre Cour n'a jamais jugé qu'une telle substitution devait être faite; en fait elle n'a pas pouvoir de modifier les termes du traité. Votre Cour a seulement utilisé le terme «nécessaire» dans un certain nombre d'affaires pour expliquer ce qui pouvait être justifié au titre de l'article 36 en matière d'interdictions ou de restrictions des importations imposées par les États membres à des fins particulières: protection de l'indication d'origine (affaire 12/74, Commission/république fédérale d'Allemagne, Recueil 1975, I, pp. 181 et 199); protection du consommateur en général (affaire 13/78, Eggers/Freie Hansestadt Bremen, Recueil 1978, pp. 1935 et 1956); protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux et préservation des végétaux (affaire 29/72, Marimex/Administration italienne des finances, Recueil 1972, II, pp. 1309 et 1318; affaire 104/75, De Peijper's, Recueil 1976, I, p. 613; affaire 35/76, Simmenthal/Ministre des finances italien, Recueil 1976, II, p. 1871; affaire 46/76, Bauhuis/Pays-Bas, Recueil 1977, I, p. 5; affaire 5/77, Tedeschi/Denkavit, Recueil 1977, II, p. 1555 et affaire 153/78, Commission/république fédérale d'Allemagne du 12 juillet 1979, non encore publié).

Nous pensons qu'il ne faut pas perdre de vue que, malgré les indéniables possibilités de divergence d'opinion entre les experts sur ce qu'il est justifié d'imposer pour la protection de l'indication d'origine, des consommateurs en général et de la santé des personnes, des animaux et des végétaux, ce sont là des sujets susceptibles d'une appréciation objective à l'issue du débat. Ce sont en outre des domaines dans lesquels il est en général possible des prescrire une solution applicable uniformément dans tous les Etats membres. C'est en fait la raison pour laquelle les organes légiférants de la Communauté ont fourni un effort considérable — et le poursuivent — pour mettre en place des mesures communautaires «d'harmonisation» dans ces domaines, éliminant de ce fait la nécessité, pour les États membres, de recourir à des interdictions et restrictions d'origine nationale autorisées par l'article 36 mais peu favorables à la libre circulation des marchandises à...

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