Nural Ziebell v Land Baden-Württemberg.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:244
Docket NumberC-371/08
Celex Number62008CC0371
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date14 April 2011

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 14 avril 2011 (1)

Affaire C‑371/08

Nural Ziebell

contre

Land Baden-Württemberg

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg (Allemagne)]

«Accord d’association CEE-Turquie – Décision n° 1/80 du conseil d’association – Article 7, premier alinéa – Ressortissant turc ayant séjourné les dix années précédant la décision d’éloignement sur le territoire de l’État membre d’accueil – Condamnations pénales – Extension du champ d’application de l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38/CE – Éloignement uniquement pour des raisons impérieuses de sécurité publique»





1. La présente question préjudicielle porte sur le point de savoir si la protection renforcée contre l’éloignement mise en place par l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38/CE (2) en faveur des citoyens de l’Union peut être appliquée à un ressortissant turc qui bénéficie des droits que lui confère l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n° 1/80 du conseil d’association (3), du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (4), lorsqu’il a séjourné sur le territoire de l’État membre d’accueil les dix années précédant la décision d’éloignement prise contre lui par les autorités nationales compétentes.

2. En vertu de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n° 1/80, un membre de la famille d’un travailleur turc qui a été autorisé à rejoindre ce travailleur sur le territoire de l’État membre d’accueil et qui y réside depuis cinq années, au moins, bénéficie du libre accès, sur ce territoire, à toute activité salariée de son choix.

3. L’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 prévoit, quant à lui, qu’une décision d’éloignement peut être prise à l’encontre d’un citoyen de l’Union qui a séjourné les dix années précédant cette décision sur le territoire de l’État membre d’accueil, uniquement pour des raisons impérieuses de sécurité publique.

4. Dans les présentes conclusions, nous indiquerons les raisons pour lesquelles nous pensons qu’un ressortissant turc ne peut pas bénéficier d’une telle protection renforcée. Nous expliquerons, ensuite, que, selon nous, la jurisprudence constante de la Cour en la matière doit trouver, ici, son application normale.

5. Dès lors, nous proposerons à la Cour de dire pour droit que l’article 14, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prenne une mesure d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant turc qui bénéficie des droits que lui confère l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision n° 1/80, lorsqu’il a résidé les dix années précédant cette mesure sur le territoire de cet État, pour autant que son comportement constitue une menace actuelle, réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société, ce qu’il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. L’accord d’association

6. Afin de réglementer la libre circulation des travailleurs turcs sur le territoire de la Communauté économique européenne, un accord d’association a été conclu le 12 septembre 1963 entre cette dernière et la République de Turquie.

7. Selon le préambule de cet accord, ce dernier vise à améliorer les conditions de vie en Turquie et dans la Communauté par un progrès économique accéléré et par une expansion harmonieuse des échanges, ainsi qu’à réduire l’écart entre l’économie de la République de Turquie et celle des États membres de la Communauté.

8. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, dudit accord, son objet est de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties, en tenant pleinement compte de la nécessité d’assurer le développement accéléré de l’économie de la République de Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc.

9. Au chapitre 3 du titre II de l’accord d’association, intitulé «Autres dispositions de caractère économique», l’article 12 prévoit que les parties conviennent de s’inspirer des articles du traité CE pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles.

10. La réalisation progressive de la libre circulation des travailleurs turcs visée par cet accord doit se faire selon les modalités décidées par le conseil d’association, qui a pour tâche d’assurer l’application et le développement progressif du régime d’association (5).

2. La décision n° 1/80

11. La décision n° 1/80 a, notamment, pour vocation, selon le troisième considérant de celle-ci, d’améliorer le régime dont bénéficient les travailleurs et les membres de leur famille par rapport au régime institué par la décision n° 2/76 du conseil d’association, du 20 décembre 1976.

12. Ainsi, l’article 7 de la décision n° 1/80 est rédigé comme suit:

«Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

– ont le droit de répondre – sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté – à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

– y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.

Les enfants des travailleurs turcs ayant accompli une formation professionnelle dans le pays d’accueil pourront, indépendamment de leur durée de résidence dans cet État membre, à condition qu’un des parents ait légalement exercé un emploi dans l’État membre intéressé depuis trois ans au moins, répondre dans ledit État membre à toute offre d’emploi.»

13. L’article 14, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 prévoit que les dispositions du chapitre II, section 1, de celle‑ci, qui comprend l’article 7, «sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques».

3. La directive 2004/38

14. Alors que la directive 64/221/CEE (6) visait les ressortissants d’un État membre qui séjournaient ou se rendaient dans un autre État membre soit en vue d’y exercer une activité salariée ou non salariée, soit en qualité de destinataires de services (7), la directive 2004/38 dépasse cette approche sectorielle et introduit la notion de citoyen de l’Union en matière de circulation et de séjour sur le territoire des États membres.

15. La directive 2004/38 a vocation à simplifier et à rassembler les législations existantes en cette matière. Ainsi, elle supprime l’obligation pour les citoyens de l’Union d’obtenir une carte de résident, introduit un droit de séjour permanent en faveur de ces citoyens et circonscrit la possibilité pour les États membres de limiter le séjour sur leur territoire des ressortissants des autres États membres.

16. À cet égard, les citoyens de l’Union bénéficient d’une protection renforcée contre l’éloignement. En effet, ladite directive encadre strictement la possibilité pour les États membres de limiter le droit de circuler et de séjourner des citoyens de l’Union.

17. Ainsi, l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38, concernant la protection contre l’éloignement, est rédigé comme suit:

«3. Une décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre des citoyens de l’Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des raisons impérieuses de sécurité publique définies par les États membres, si ceux-ci:

a) ont séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes».

B – Le droit national

18. L’article 53 de la loi relative au séjour, au travail et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral (Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet), du 30 juillet 2004 (8), telle que modifiée en dernier lieu par l’article 1er de la loi opérant transposition des directives de l’Union européenne en matière de droit de séjour et d’asile (Gesetz zur Umsetzung aufenthalts- und asylrechtlicher Richtlinien der Europäischen Union), du 19 août 2007 (9), prévoit qu’un étranger fait l’objet d’une mesure d’expulsion lorsqu’il a été condamné pour un ou plusieurs délits commis intentionnellement à une peine privative de liberté ou à une peine pour délinquance juvénile d’au moins trois ans passée en force de chose jugée.

19. Cette disposition prévoit également qu’un étranger est expulsé lorsque, au cours d’une période de cinq ans, il a été condamné pour des délits commis intentionnellement à des peines privatives de liberté ou à des peines pour délinquance juvénile passées en force de chose jugée et totalisant au moins trois ans ou qu’un internement de sûreté a été ordonné lors de sa dernière condamnation définitive.

20. En outre, selon l’article 55 de l’Aufenthaltsgesetz, un étranger peut être expulsé lorsque son séjour porte atteinte à l’ordre public et à la sécurité publique ou à d’autres intérêts majeurs de la République fédérale d’Allemagne.

21. Toutefois, une protection spéciale contre l’expulsion est prévue. Ainsi, l’article 56, paragraphe 1, de l’Aufenthaltsgesetz indique qu’un étranger bénéficie d’une telle protection s’il possède une autorisation d’établissement et qu’il a légalement séjourné depuis au moins cinq ans sur le territoire fédéral. L’expulsion ne peut être fondée que sur des raisons graves d’ordre public et de sécurité publique. En règle...

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