Reisebüro Broede v Gerd Sandker.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1996:257
Docket NumberC-3/95
Celex Number61995CC0003
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date27 June 1996
61995C0003

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIAL FENNELLY

présentées le 27 juin 1996 ( *1 )

1.

Le présent renvoi préjudiciel soulève la question de la compatibilité avec la libre prestation de services garantie par le traité CE de certaines règles allemandes interdisant, notamment, la prestation de services judiciaires de recouvrement de créances en Allemagne, assurée à titre professionnel par des entreprises de recouvrement, sans l'assistance d'un avocat.

I — Faits et cadre juridique du litige

2.

Suivant l'article 828 du Zivilprozeßordnung (code de procédure civile, ci-après le « ZPO ») du 30 janvier 1877, dans sa version du 12 septembre 1950 ( 1 ), la délivrance d'une ordonnance ayant pour objet l'exécution forcée des créances (c'est-à-dire une ordonnance de saisie-arrêt) est une fonction judiciaire qui relève, en Allemagne, de la compétence de l'Amtsgericht. Suivant l'article 78 du ZPO, le recours au ministère d'un « Rechtsanwalt » (avocat) n'est obligatoire que devant les Landgerichte et toutes les juridictions de degré supérieur. L'article 79 du ZPO, qui s'applique à l'Amtsgericht, se réfère au « Parteiprozeß » et prévoit que:

« Dans tous les cas où le ministère d'avocat n'est pas exigé, les parties peuvent conduire la procédure par elles-mêmes ou par l'intermédiaire de toute personne capable d'ester en justice et qu'elles constituent leur mandataire ».

Les cas où le « ministère d'avocat n'est pas exigé » incluent les requêtes en vue d'obtenir « ein Pfändungs-und Überweisungsbeschluß » (une ordonnance de saisie et de transfert) au titre de l'article 828 ( 2 ).

3.

Le Rechtsberatungsgesetz (loi sur l'activité de conseil en matière juridique, ci-après le « RBerG ») du 17 décembre 1935 ( 3 ) prévoit à l'article 1er, paragraphe 1, premier alinéa:

« La prise en charge d'affaires juridiques pour autrui, y compris en donnant des conseils juridiques ou pour le recouvrement de créances d'autrui ou après cession, en vue du recouvrement, ne peut être assurée à titre professionnel — ... à titre onéreux ou gratuit —, que par des personnes auxquelles l'autorité compétente en a donné l'autorisation. L'autorisation est accordée chaque fois pour un domaine d'activités:

...

5.

entreprises de recouvrement, pour le recouvrement extrajudiciaire de créances (bureaux de recouvrement),

...

L'activité ne peut être exercée que sous la dénomination qui correspond à l'autorisation. »

L'article 1er, paragraphe 1, deuxième alinéa, du RBerG prévoit que l'autorisation ne peut être accordée que si le postulant possède l'honorabilité, les aptitudes personnelles et la compétence requises pour exercer la profession et si la demande n'est pas déjà satisfaite par un nombre suffisant de praticiens ( 4 ). En vertu de l'article 1er, paragraphe 3, les activités professionnelles des avocats, notamment, ne sont pas affectées par la loi.

4.

Il résulte de ces dispositions combinées que des entreprises peuvent être autorisées à exercer des activités de recouvrement extrajudiciaire de créances en Allemagne ( 5 ). Le recouvrement judiciaire de créances exige toutefois le ministère d'un avocat ( 6 ).

5.

Le 29 décembre 1992, le Reisebüro Broede (ci-après « Broede »), la créancière au principal, qui est une agence de voyage non constituée en société établie à Cologne, a obtenu un titre exécutoire contre le débiteur au principal, M. Gerd Sandker (ci-après le « débiteur »). Le 8 mai 1994, afin de poursuivre l'exécution forcée du titre en question, Broede a donné à la société INC Consulting SARL (ci-après l'« INC ») un pouvoir l'habilitant à engager toutes les mesures de recouvrement nécessaires jusqu'au paiement intégral de la créance. L'INC est une société dont le siège est situé à Verneuil-en-Halatte, France ( 7 ). Selon l'ordonnance de renvoi, l'activité de l'INC consiste dans le recouvrement de créances ainsi que dans le conseil d'entreprise et, du moins en l'espèce, elle a donné plein pouvoir à sa gérante, Mme Margarita Ramthun, aux fins de procéder, au nom de Broede, à l'exécution forcée ainsi qu'à toutes les mesures y afférentes. Mme Ramthun résidait à l'époque pertinente (et réside toujours) à Overa th, Allemagne. A l'audience, Mme Ramthun a informé la Cour que, bien que l'INC n'ait effectué des recouvrements en Allemagne que pour Broede, elle a procédé à des recouvrements en France ( 8 ) pour un certain nombre de clients tant français qu'étrangers.

6.

Le 6 juin 1994, Mme Ramthun a demandé à l'Amtsgericht Hagen de rendre une ordonnance de saisie-arrêt à l'encontre du débiteur. L'Amtsgericht a rejeté cette demande par ordonnance du 23 août 1994 au motif que Mme Ramthun ne disposait pas de la capacité de postulation nécessaire puisque, en droit allemand, il est interdit aux entreprises de recouvrement d'agir elles-mêmes en justice en tant que représentantes. Cette règle, a déclaré l'Amtsgericht, s'applique également aux entreprises de recouvrement étrangères. Le 31 août 1994, Mme Ramthun a fait opposition à cette décision devant la neuvième chambre civile du Landgericht Dortmund (ci-après la « juridiction nationale »).

7.

Suivant la juridiction nationale, le bien-fondé du recours formé devant elle dépend du point de savoir si l'article 1er, paragraphe 1, du RBerG est applicable à l'INC. Elle affirme que, selon cette disposition, des activités telles que celles exercées par l'INC à titre professionnel ne peuvent être accomplies que par les personnes « qui sont titulaires à cette fin d'une autorisation délivrée par l'autorité compétente, l'autorisation pour les entreprises de recouvrement n'englobant, conformément à l'article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, deuxième phrase, point 5, du Rechtsberatungsgesetz, que le recouvrement extrajudiciaire de créances ». La « question décisive » de droit communautaire identifiée par la juridiction nationale est celle de savoir si cette disposition comporte une discrimination illicite exercée en raison de la nationalité ou constitue une restriction à la libre prestation de services garantie par les articles 59 et 60 du traité. A son avis, il semble qu'il n'y ait pas lieu de retenir une discrimination illicite dans la présente affaire, car l'application de la disposition nationale attaquée aux entreprises de recouvrement étrangères « apparaît justifiée par des raisons impératives tenant à l'intérêt général (protection des créances et du débiteur ainsi que l'intérêt général d'une bonne administration de la justice), qu'en l'occurrence cet intérêt général n'a pas déjà été pris en considération par des dispositions de l'État d'établissement (c'est-à-dire la France) et que cet objectif ne peut pas non plus être atteint par des règles moins rigoureuses ». Toutefois, en tant que juridiction de dernier ressort dans le recours formé par Broede au titre de l'article 568, paragraphe 2, du ZPO, la juridiction nationale a décidé de déférer à la Cour les questions suivantes:

« L'article 59 du traité CEE s'oppose-t-il à une réglementation nationale qui interdit à une entreprise établie dans un autre État membre de procéder au recouvrement judiciaire de créances d'autrui en raison du fait que cette activité est réservée, selon cette réglementation nationale, aux personnes auxquelles a été délivrée à cet effet une autorisation administrative particulière?

Dans l'affirmative: cela vaut-il également lorsque la procédure de recouvrement est soumise exclusivement au droit national en raison du fait que les parties à la procédure d'exécution sont établies dans le pays en question et que le titre exécutoire a également été obtenu dans ce pays? »

II — Observations soumises à la Cour

8.

Des observations écrites ont été déposées au nom de Broede, ainsi que par le débiteur, la République fédérale d'Allemagne (ci-après l'« Allemagne ») et la Commission. Des observations orales ont été présentées par le débiteur, l'Allemagne et la Commission.

III — Examen des questions posées

9.

La première question posée par la juridiction nationale concerne essentiellement la compatibilité avec le droit communautaire du refus, en Allemagne, d'une capacité de postulation devant les juridictions allemandes aux entreprises de recouvrement dans les procédures judiciaires nécessaires pour assurer l'exécution forcée de créances au nom de leurs clients. La seconde question suppose une réponse affirmative à la première et demande si cette réponse reste affirmative lorsque les deux parties à la procédure d'exécution sont établies dans le même État membre et que le titre exécutoire qui fait l'objet de la procédure d'exécution forcée a été obtenu dans ce même État.

10.

Nous pensons qu'il convient, premièrement, d'examiner si le lien étroit qui existe manifestement en l'espèce entre Mme Ramthun et l'Allemagne exclut, aux fins de l'application du droit communautaire, l'existence d'un véritable élément interétatique. Deuxièmement, il est nécessaire d'examiner si la situation de fait du présent renvoi est régie par les règles du traité relatives à la liberté d'établissement plutôt que par celles relatives à la libre prestation de services. Ces deux questions ont été soulevées expressément par la Commission et par l'Allemagne. En troisième lieu, nous examinerons les questions de fond que cette affaire soulève.

A — L'applicabilité du droit communautaire

11.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'application des règles du traité relatives à la libre circulation des personnes requiert un lien suffisant entre les circonstances de fait et la disposition de droit communautaire invoquée, c'est-à-dire un élément interétatique. Ainsi, par exemple, dans l'arrêt Saunders, la Cour a déclaré, dans le cadre de la libre circulation des travailleurs, que les dispositions pertinentes du traité « ne...

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