Corsica Ferries France SA v Gruppo Antichi Ormeggiatori del porto di Genova Coop. arl, Gruppo Ormeggiatori del Golfo di La Spezia Coop. arl and Ministero dei Trasporti e della Navigazione.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1998:19
Date22 January 1998
Celex Number61996CC0266
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-266/96
EUR-Lex - 61996C0266 - FR 61996C0266

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 22 janvier 1998. - Corsica Ferries France SA contre Gruppo Antichi Ormeggiatori del porto di Genova Coop. arl, Gruppo Ormeggiatori del Golfo di La Spezia Coop. arl et Ministero dei Trasporti e della Navigazione. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Genova - Italie. - Libre prestation des services - Transports maritimes - Entreprises titulaires de droits exclusifs - Opérations d'amarrage des navires dans les ports - Respect des règles de concurrence - Tarification. - Affaire C-266/96.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-03949


Conclusions de l'avocat général

I - Introduction

1 En l'espèce, la Cour a de nouveau été invitée à apprécier la compatibilité de la législation portuaire italienne avec les règles du traité CE relatives, d'une part, à la libre circulation des marchandises et des services et, d'autre part, à la concurrence. La demande concerne des entreprises titulaires de droits exclusifs dans deux ports méditerranéens, qui comptent parmi les plus importants d'Italie, aux services de lamanage desquels les entreprises de transport maritime sont obligées de recourir. En particulier, les droits exigés ne seraient pas compatibles avec le droit communautaire.

II - Le contexte factuel et juridique

A - Les antécédents de fait et le litige devant la juridiction nationale

2 Corsica Ferries France SA (ci-après «Corsica Ferries» ou la «demanderesse») est une société de droit français qui a assuré depuis le 1er janvier 1994, en tant qu'entreprise de transport maritime, un service de ligne régulière pour le transport de marchandises et de passagers entre divers ports corses et, entre autres, les ports italiens de La Spezia et de Gênes. Elle a utilisé à cette fin quatre rouliers (1), affrétés à temps par une société établie à Jersey, et battant pavillon panaméen (2).

3 Au cours de la période du 1er janvier 1994 au 29 février 1996 (ci-après la «période pertinente»), Corsica Ferries a été obligée, en application de la réglementation maritime, de payer au Gruppo Antichi Ormeggiatori del Porto di Genova Coop. arl et au Gruppo Ormeggiatori del Golfo di La Spezia Coop. arl (3) des sommes de, respectivement, 669 838 425 LIT et 188 472 802 LIT à raison des opérations de lamanage que ces groupes ont exécutées pour elle à l'occasion des escales de ses ferries dans les ports de Gênes et de La Spezia. Comme la demanderesse estimait que le caractère obligatoire des services de lamanage était contraire au droit communautaire, elle a assorti ses paiements d'une réserve précisant qu'elle contestait la légalité de ces droits et qu'elle pourrait, à l'avenir, en poursuivre le remboursement.

4 Le 2 juillet 1996, Corsica Ferries a, sur le fondement des articles 633 et suivants du Codice di Procedura Civile (code de procédure civile, ci-après le «code»), saisi le Tribunale di Genova (ci-après la «juridiction de renvoi») d'une requête visant à ce qu'il enjoigne aux groupes de lamanage de rembourser les sommes précitées ainsi que, solidairement, au Ministero dei Trasporti e della Navigazione (ministère des Transports et de la Navigation) de rembourser l'ensemble des droits acquittés, lesdits montants devant être majorés d'intérêts. La demanderesse a fait valoir que ces paiements étaient indus, car elle n'avait pas demandé les services qui ont été fournis et parce que les droits imposés violaient les principes communautaires de la libre prestation des services et de la libre circulation des marchandises. Elle a fait valoir que, malgré l'absence de toute législation nationale contraignante, les tarifs étaient, en pratique, obligatoires. Elle a également affirmé que, en approuvant des tarifs convenus par les groupes de lamanage eux-mêmes, les autorités portuaires avaient facilité l'abus par ces groupes des droits exclusifs dont ils jouissent dans les ports concernés et, en conséquence, s'étaient rendues coupables de manquements aux articles 85 et 86 du traité.

5 La juridiction de renvoi a estimé que les éléments suivants étaient constants:

a) en vertu du règlement (CEE) n_ 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (4), tel qu'interprété par la Cour dans son arrêt Corsica Ferries (5), l'immatriculation ou le pavillon des navires exploités par l'entreprise de transport est sans pertinence;

b) dans l'ordre juridique communautaire, les droits, même s'ils sont la contrepartie de services imposés par la loi, doivent être proportionnés au coût du service effectivement rendu (6);

c) le fait que la réglementation d'un État membre oblige les entreprises à recourir aux services d'une entreprise locale titulaire d'une concession exclusive constitue une entrave aux importations (7);

d) un État membre enfreint les interdictions édictées par les règles communautaires de concurrence lorsqu'une entreprise est amenée, par le simple exercice des droits exclusifs qui lui ont été conférés, à abuser de sa position dominante, ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus (8);

e) dans l'ordre juridique communautaire, les États membres sont tenus de réparer les dommages découlant pour les particuliers des manquements au droit communautaire qui leur sont imputables (9).

6 La juridiction de renvoi a également considéré, en premier lieu, qu'une entreprise de transport maritime établie dans un État membre et exploitant un service de ligne régulière à destination d'un autre État membre offre des services «qui ont, en eux-mêmes, une nature transnationale», en second lieu, que, les groupes de lamanage ayant été investis par l'administration publique du droit exclusif d'assurer des services d'amarrage obligatoire dans les ports de Gênes et de La Spezia, ils sont des entreprises au sens de l'article 90, paragraphe 1, du traité et, enfin, que lesdits ports sont des «circonscriptions territoriales constituant une partie substantielle du marché commun».

B - L'arrêt de renvoi

i) Le cadre réglementaire national

7 La juridiction de renvoi décrit l'activité d'amarrage (l'attività di ormeggio) comme consistant à «immobiliser les navires arrivant au port aux postes d'accostage en usant de cordages et de câbles spécifiques» (10). Elle souligne que le Codice della Navigazione (code de la navigation italien) (11) ne comporte aucune disposition concernant cette activité si ce n'est son article 116, paragraphe 4, qui énonce que «les opérateurs chargés de l'amarrage font partie du personnel affecté aux services portuaires». Cependant, la juridiction de renvoi déclare que la réglementation relative aux services d'amarrage figure aux articles 208 à 214 du Regolamento di Esecuzione al Codice di Navigazione (règlement d'exécution du code de la navigation; ci-après le «règlement national»). Selon la juridiction de renvoi:

«Ce règlement, qui est, par nature, un acte administratif, définit les conditions techniques et professionnelles auxquelles doivent satisfaire les opérateurs chargés de l'amarrage inscrits sur des registres spéciaux, le pouvoir du commandant du port en ce qui concerne la réglementation de ce service et les modalités de prestation du service».

Estimant qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne confère un caractère obligatoire au service d'amarrage, la juridiction de renvoi déclare que «les tarifs sont, en vertu de l'article 212 du règlement précité, fixés par le commandant de la circonscription maritime» «et, donc, par l'autorité administrative» (12).

8 Les services de lamanage sont fournis par une seule entreprise tant dans le port de Gênes que dans celui de La Spezia. La juridiction de renvoi déclare que le groupe de lamanage génois a été constitué par le décret n_ 759 du président du Consorzio Autonomo del Porto di Genova (consortium autonome du port de Gênes; ci-après le «CAP»), du 1er juin 1953, approuvant la réglementation relative à l'amarrage et au démarrage des navires. Bien que l'article 13, premier alinéa, de l'ordonnance n_ 2 du président du CAP, du 1er mars 1972, dispose que «le recours aux prestations des opérateurs chargés de l'amarrage, lors des manoeuvres d'amarrage et de démarrage des navires, est facultatif», l'article 13, deuxième alinéa, dispose néanmoins que, «dans le cas où le navire ne sollicite pas les prestations des opérateurs chargés de l'amarrage, les opérations d'amarrage doivent être effectuées exclusivement par le personnel de bord» (13). Selon la juridiction de renvoi, cela rend, en fait, obligatoire le recours aux services du groupe de lamanage génois. En ce qui concerne le port de La Spezia, en revanche, elle souligne que, en vertu de l'article 2 du décret n_ 20 du Capo del Compartimento Marittimo di La Spezia (commandant de la circonscription maritime de La Spezia), du 16 juillet 1968, le recours aux services du groupe de lamanage de La Spezia est obligatoire pour les navires dont la jauge brute est supérieure à 500 tonneaux (14).

9 En ce qui concerne le rôle du «commandant de la circonscription maritime» et de «l'autorité administrative» dans la fixation des tarifs en application de l'article 212 du règlement national (voir le point 7 ci-dessus), la juridiction de renvoi déclare que, bien que «la loi ne détermine pas les critères auxquels l'autorité administrative doit se conformer pour fixer les tarifs», ils sont parfois «fixé[s] à la suite d'accords intervenus entre les entreprises du secteur et rendu[s] ensuite exécutoire[s] par un acte de l'administration publique...» (15).

ii) Les questions déférées

10 Étant donné la nature des droits exclusifs dont jouissent les groupes de lamanage, le caractère obligatoire du service qu'ils fournissent et les modalités de fixation et de perception des tarifs, la juridiction de renvoi a provisoirement...

To continue reading

Request your trial
2 practice notes
2 cases

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT