Régina v Pierre Bouchereau.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1977:141
Date28 September 1977
Celex Number61977CC0030
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket Number30-77
61977C0030

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 28 SEPTEMBRE 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans cette affaire, la Cour est appelée, une fois de plus, à interpréter, sur des points précis, les dispositions de droit communautaire habilitant les États membres à apporter «pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique», des exceptions aux principes généraux, énoncés dans le traité CEE, de non-discrimination entre ressortissants des États membres et, plus particulièrement, de libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté. Dans les affaires 41-74 (Van Duyn/Home Office, Recueil 1974, p. 1337), 67-74 (Bonsignore/Stadt Köln, Recueil 1975, p. 297), 36-75 (Rutili/Ministre de l'intérieur, Recueil 1975, p. 1219), 48-75 (Royer, Recueil 1976, p. 497), 118-75 (Watson et Belmann, Recueil 1976, p. 1185) et, plus récemment, dans l'affaire 8-77 (Sagulo, Brenca et Bakhouche, arrêt du 14 juillet 1977), qui n'a pas encore été publié jusqu'à présent, la Cour a déjà défini, jusqu'à un certain point, dans quelle mesure de telles exceptions étaient tolérables.

La présente affaire a été portée devant la Cour par une demande de décision à titre préjudiciel formée par un Metropolitan Stipendiary Magistrale (juge unique), siégeant à la Marlborough Street Magistrates's Court de Londres. Ce tribunal est saisi d'une instance pénale contre un certain Pierre Roger André Bouchereau, ressortissant français, âgé aujourd'hui de 21 ans. Mise à part une brève période de chômage à l'époque de son arrestation en mars 1976, le prévenu était employé au Royaume-Uni comme mécanicien depuis mai 1975.

Il existe dans ce pays une loi, la loi de 1971, sur l'abus de stupéfiants — Misuse of Drugs Act 1971 — qui, comme son intitulé détaillé l'indique, arrête des dispositions «relatives aux drogues dangereuses ou autrement nocives et à tout ce qui s'y rapporte ainsi qu'aux usages auxquels elles sont destinées». Elle remplace la législation relative à l'abus de stupéfiants précédemment en vigueur au Royaume-Uni. L'article 5 de cette loi rend illicite, sauf certaines exceptions dont aucune n'est en cause ici, la détention, par une personne, de certains types de stupéfiants. A deux reprises, devant des Magistrates' Courts de Londres, M. Pierre Bouchereau a reconnu s'être livré à des infractions tombant sous le coup de cet article. La première fois, le 7 janvier 1976, devant le Marlborough Magistrates' Court, il a reconnu avoir détenu illégalement, le 10 décembre 1975, de petites quantités de méthyle d'amphétamine et de cannabis. Pour cette infraction, il a bénéficié d'un acquittement conditionnel assorti d'une probation de 12 mois et a été condamné à cinq livres au titre des dépens. En bref, en droit anglais, une ordonnance d'acquittement conditionnel a pour effet d'éviter que l'intéressé ne soit puni en raison de l'infraction, à moins qu'il n'en commette une nouvelle durant la période mentionnée dans l'ordonnance. Si tel est le cas, il est passible d'une condamnation et pour la première et pour la nouvelle infraction (voir l'article 7 de la loi sur les pouvoirs des juridictions pénales — Powers of Criminal Courts Act 1973 —, qui remplace la précédente législation datant de 1948). Le 10 mars 1976, M. Bouchereau a, de nouveau, été trouvé en possession illégale de stupéfiants, à savoir 28 tablettes de LSD et trois paquets contenant du sel d'amphétamine. Devant le Marlborough Street Magistrates' Court, le 9 juin 1976, il a reconnu avoir commis cette infraction. Il n'a toujours pas été condamné pour ces infractions, pas même pour la première. Il semble que le juge ait sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait pris la décision de proposer ou non l'expulsion de M. Bouchereau.

C'est la loi de 1971 sur l'immigration — Immigration Act 1971 — qui donne pouvoir à un tribunal du Royaume-Uni de proposer l'expulsion d'un étranger. Il s'agit, là aussi, d'une loi remplaçant une législation antérieure, remontant à 1914. Auparavant, le contrôle de la circulation des étrangers au Royaume-Uni, entrait dans le cadre des prérogatives royales. En d'autres termes, cette question ressortissait à la Common Law.

La loi de 1971 contient deux dispositions distinctes fixant les circonstances dans lesquelles un individu peut être «passible d'expulsion hors du Royaume-Uni». Il s'agit, en premier lieu, de l'article 3, paragraphe 5, aux termes duquel une personne qui n'est pas «patrial» (c'est-à-dire, qui n'est pas un sujet britannique, disposant du droit de demeurer au Royaume-Uni) peut être passible d'une telle mesure:

«(a)

si, ne disposant que d'une autorisation limitée d'entrer et de séjourner, elle n'observe pas une condition attachée à l'autorisation ou séjourne au-delà du temps imparti par cette autorisation, ou encore

(b)

si le ministre estime que son expulsion est nécessaire au bien public, ou encore

(c)

si un arrêté d'expulsion est ou a été pris contre une autre personne de sa famille.»

Manifestement, la lecture de cette disposition doit être considérablement modifiée quand il s'agit d'un ressortissant d'un autre État membre de la Communauté. Toutefois, il n'est pas nécessaire que nous poursuivions, ici, en détail, l'examen de cette question, l'article 3, paragraphe 5, de la loi sur l'immigration ne s'appliquant pas au cas de l'espèce.

Quant à la seconde disposition en cause ici, il s'agit de l'article 3, paragraphe 6, dont le libellé est le suivant:

«Sans préjudice de l'application de l'alinéa 5 ci-dessus, une personne qui n'est pas “patrial” peut également être passible d'une expulsion du Royaume -Uni si, après avoir atteint l'âge de 17 ans, elle est reconnue coupable d'une infraction pour laquelle elle encourt une peine d'emprisonnement et si, sur la base de sa condamnation, elle fait l'objet d'une proposition d'expulsion présentée par un tribunal habilité à cet effet en vertu de la présente loi.»

L'article 6, paragraphe 1, détermine les tribunaux autorisés par cette loi à proposer l'expulsion. En bref, il s'agit des tribunaux habilités à condamner la personne concernée pour l'infraction en question.

Le pouvoir de prendre effectivement un arrêté d'expulsion est visé à l'article 5, paragraphe 1, de cette loi. Il est de la compétence du ministre et s'applique «si, aux termes de l'article 3, paragraphes 5 et 6, ci-dessus, une personne est passible d'expulsion».

Le régime des recours diffère selon qu'il s'agit d'un cas d'application du paragraphe 5 ou du paragraphe 6 de l'article 3.

Si c'est l'article 3, paragraphe 5, qui s'applique, la loi dispose qu'avant que puisse être pris le moindre arrêté d'expulsion, il faut au préalable que le ministre ait pris «une décision» de procéder à cette expulsion. D'après la loi, cette décision est susceptible d'appel devant un «Adjudicator», dont la décision peut elle-même faire l'objet d'un recours devant l'«Immigration Appeal Tribunal». Dans certaines hypothèses, il existe un recours direct devant ce tribunal. Un arrêté d'expulsion ne peut pas être pris tant que toutes les possibilités de recours n'ont pas été épuisées. Saisis sur recours, l'Adjudicator et le tribunal peuvent procéder au contrôle de tous les aspects de l'affaire, y compris le bien-fondé de prendre un arrêté d'expulsion (voir les articles 12 et 15 de la loi et la récente décision de la Queen's Bench Divisional Court dans l'affaire Regina/Immigration Appeal Tribunal, Ex parte Ekrem Mehmet, 1977, 1 WLR, p. 795). L'article 15, paragraphe 3, de la loi prévoit une exception si la décision de prendre l'arrêté d'expulsion a pour motif le fait que l'expulsion de l'étranger concerné, «ayant lieu dans l'intérêt de la sécurité nationale ou des relations existant entre le Royaume-Uni et tout autre pays, ou pour toute autre raison de nature politique, contribue à assurer le bien public». Dans cette hypothèse, il n'y a pas possibilité de recours devant l'Adjudicator ou l'Immigration Appeal Tribunal. A la place, une procédure extra-légale s'applique par renvoi de l'affaire devant une commission chargée de conseiller le secrétaire d'État. (Voir à ce sujet Regina/Secretary of State for Home Affaire, Ex parte Hosenball, 1977, 1 WLR, p. 766). Bien entendu, les décisions des Adjudicators, de l'Immigration Appeal Tribunal et du ministre lui-même sont (comme l'illustrent les affaires que nous avons rapportées, Ex parte Ekrem Mehmet et Ex parte Hosenball) susceptibles, à tous les stades, d'un contrôle juridictionnel de la High Court, en particulier par la procédure de certiorari. Une ordonnance de certiorari peut casser une décision d'une cour ou d'un tribunal inférieurs, ou de toute autorité publique, pour erreur de droit apparente, pour excès ou pour abus de compétence, ou encore quand elle a été obtenue d'une manière contraire aux règles de la «justice naturelle».

Quand l'article 3, paragraphe 6, s'applique, le système de recours que nous venons de décrire ne joue pas. Un recours contre une proposition d'expulsion adoptée par un tribunal est soumis à la hiérarchie normale des juridictions pénales, la proposition étant traitée à cette fin comme s'il s'agissait d'un jugement (voir l'article 6, paragraphe 5, de la loi), et les tribunaux saisis du recours étant libres de réviser la proposition au fond (voir Regina/Akan, 1973, 1 QB, p. 491). Toutefois, dans ce cas également aucune ordonnance d'expulsion effective ne peut être prise, tant qu'une procédure de recours est en cours (voir l'article 6, paragraphe 6). Mais la proposition permet de maintenir l'étranger concerné en détention «durant la période nécessaire pour prendre l'arrêté d'expulsion, suite à une proposition», à moins que le tribunal ou le ministre n'en décide autrement (voir l'article 5, paragraphe 5, de la loi et le paragraphe 2 de son annexe 3). Nous devrions peut-être souligner le fait qu'il s'agit des seules hypothèses dans lesquelles une proposition...

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