Conclusiones de la Abogado General Sra. J. Kokott, presentadas el 16 de enero de 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:8
Celex Number62018CC0456
Date16 January 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 16 janvier 2020 (1)

Affaire C456/18 P

Hongrie

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Aides d’État – Décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUERèglement (CE) no 659/1999 – Article 11, paragraphe 1 – Injonction de suspension – Possibilité de contester l’injonction de suspension – Intérêt à agir malgré la caducité – Usage par la Commission de sa marge d’appréciation lors de l’adoption d’une injonction de suspension – Proportionnalité – Obligation de motivation »






I. Introduction

1. Le présent pourvoi dirigé contre l’arrêt attaqué du Tribunal (2) donne à la Cour la possibilité de se pencher sur le droit de recours séparé contre une injonction de suspension provisoire dans le cadre d’une procédure d’aide d’État. C’est par une telle injonction que la Hongrie s’est vu interdire expressément la poursuite de la mise à exécution de deux mesures d’aide jusqu’à la clôture de la procédure d’examen.

2. Si l’article 108, paragraphe 3, TFUE prévoit déjà que l’ouverture d’une procédure d’examen entraîne l’interdiction pour les États membres de mettre à exécution la mesure d’aide concernée, une injonction de suspension provisoire de la Commission permet toutefois l’introduction d’un recours en manquement simplifié dans l’hypothèse où un État membre procèderait néanmoins à cette exécution. La Commission nourrissant manifestement des soupçons à l’égard de la Hongrie, elle a ordonné la suspension provisoire en même temps qu’elle a ouvert la procédure d’examen. La Commission a cependant essentiellement motivé son injonction par l’existence et l’étendue de l’aide uniquement.

3. Il y a lieu de souligner à cet égard que l’examen de la Commission porte sur deux lois fiscales (au sens large) dont le caractère d’aide d’État est tiré en premier lieu du barème progressif. La question de savoir si cela peut effectivement être considéré comme une aide au sens de l’article 107 TFUE est encore incertaine et controversée (3). Néanmoins, la Hongrie n’a, par la suite, pas contesté la décision finale de la Commission au fond (concernant le caractère d’aide des deux lois), mais a introduit un recours séparé dirigé contre les injonctions provisoires seulement. La Hongrie estime que celles‑ci sont entachées d’une erreur d’appréciation et qu’elles sont insuffisamment motivées.

4. Saisi en première instance, le Tribunal a toutefois adopté une autre position à cet égard, ce qui amène la Cour à devoir se prononcer en pourvoi sur la question de savoir si le Tribunal a eu raison de ne pas censurer les injonctions de suspension provisoires qui sont, entre‑temps, devenues caduques.

II. Le cadre juridique

5. La procédure en matière d’aides illégales est régie au chapitre III du règlement (CE) nº 659/1999 portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (4) (ci‑après le « règlement nº 659/1999 »).

6. Son article 11 (5) est rédigé en ces termes :

« 1. La Commission peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, arrêter une décision enjoignant à l’État membre de suspendre le versement de toute aide illégale, jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché commun (ci‑après dénommée “injonction de suspension”).

2. La Commission peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, arrêter une décision enjoignant à l’État membre de récupérer provisoirement toute aide versée illégalement, jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché commun (ci‑après dénommée “injonction de récupération”), à condition que les critères ci‑après soient remplis :

– selon une pratique établie, le caractère d’aide de la mesure concernée ne fait pas de doute et

– il y a urgence à agir et

– il existe un risque sérieux de préjudice substantiel et irréparable pour un concurrent.

[...] »

7. L’article 12 du règlement nº 659/1999 permet à la Commission, en cas de non‑respect des injonctions de suspension, d’introduire sans procédure préalable un recours en manquement au sens de l’article 258 TFUE :

« Dans le cas où l’État membre omet de se conformer à une injonction de suspension ou de récupération, la Commission est habilitée, tout en examinant le fond de l’affaire sur la base des informations disponibles, à saisir directement la Cour de justice des Communautés européennes afin qu’elle déclare que ce non‑respect constitue une violation du traité. »

8. La Commission clôture la procédure formelle d’examen concernant les aides non notifiées par une décision au titre de l’article 13, paragraphe 1, en combinaison avec l’article 7, du règlement nº 659/1999. L’article 7, paragraphe 5, prévoit l’interdiction des aides, appelée « décision négative » :

« Lorsque la Commission constate que l’aide notifiée est incompatible avec le marché commun, elle décide que ladite aide ne peut être mise à exécution […] »

III. Contexte du litige

9. En 2014, d’une part, la Hongrie a adopté la loi n° XCIV sur la contribution santé des entreprises du secteur du tabac. D’autre part, la Hongrie a modifié la loi n° XLVI de 2008 sur la chaîne alimentaire et le contrôle officiel de celle‑ci.

10. Par ces deux mesures, la Hongrie a instauré pour les entreprises concernées des régimes de redevances progressives entrés en vigueur début 2015.

11. La Hongrie n’a pas communiqué ces mesures à la Commission. La Commission a alors informé la Hongrie que, selon elle, les dispositions des lois n° XLVI et n° XCIV pouvaient être regardées comme constituant des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur. Dans ces deux lettres, la Commission a menacé d’adopter des injonctions de suspension au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999 et a invité la Hongrie à présenter ses observations à cet égard. La Hongrie n’a pas donné suite à cette invitation.

12. Le 15 juillet 2015, la Commission a ouvert deux procédures formelles d’examen en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (6).

13. La Commission a adopté concomitamment des injonctions de suspension dans les deux procédures au motif que, en premier lieu, la Hongrie n’avait pas présenté d’observations sur la menace d’injonctions de suspension et était d’avis que les mesures ne constituaient pas des aides. En deuxième lieu, la Hongrie accorderait toujours les aides illégales. En troisième lieu, le caractère fortement progressif des redevances basées sur le chiffre d’affaires serait susceptible d’avoir une incidence significative sur l’état de la concurrence sur le marché (7).

14. La Hongrie a formé, dans le délai imparti, un recours dirigé contre les injonctions de suspension.

15. Le 4 juillet 2016, la Commission a décidé conformément à l’article 13, paragraphe 1, en combinaison avec l’article 7, paragraphe 5, du règlement nº 659/1999 que les mesures litigieuses constituaient des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui avaient été exécutées en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (8). Les deux décisions négatives sont devenues définitives.

16. Par l’arrêt attaqué du 25 avril 2018, le Tribunal a rejeté les recours de la Hongrie dirigés contre les injonctions de suspension. L’arrêt a été notifié à la Hongrie le 2 mai 2018.

IV. La procédure devant la Cour

17. La Hongrie a formé le présent pourvoi contre l’arrêt du Tribunal le 12 juillet 2018. La Hongrie conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– annuler l’arrêt attaqué ;

– annuler la décision C(2015) 4805 final, dans la mesure où ladite décision comporte une injonction de suspension ;

– annuler la décision C(2015) 4808 final, dans la mesure où ladite décision comporte une injonction de suspension ;

– condamner la Commission aux dépens.

18. Par décision du 15 octobre 2018, le président de la Cour a admis l’intervention de la République de Pologne au soutien de la Hongrie (9).

19. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– rejeter le pourvoi en tant qu’irrecevable et/ou non fondé ; et

– condamner la Hongrie aux dépens.

20. La Hongrie, la République de Pologne et la Commission ont présenté devant la Cour des observations écrites sur le pourvoi ainsi que des observations orales à l’audience du 26 septembre 2019.

V. Sur le pourvoi

A. Sur la recevabilité du pourvoi

21. La Commission estime que le pourvoi est irrecevable car la requête en pourvoi ne serait pas claire. En particulier, il ne ressortirait pas clairement de la requête quels sont les points de l’arrêt que la Hongrie conteste. En outre, la Hongrie répèterait pour l’essentiel les moyens et les arguments déjà présentés en première instance et ses critiques cibleraient à plusieurs reprises les décisions litigieuses de la Commission et non l’arrêt attaqué.

22. Selon une jurisprudence constante, un pourvoi ne répond pas aux exigences de motivation résultant de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour s’il se limite à répéter les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal. Toutefois, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faites par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi (10).

23. En l’occurrence, contrairement à ce que fait valoir la Commission, le pourvoi ne constitue pas simplement la répétition des arguments déjà invoqués en première instance. C’est bien la motivation de l’arrêt attaqué que critique la Hongrie en ce qui concerne, en particulier, la marge d’appréciation dont dispose la Commission quand elle adopte des injonctions de suspension et l’obligation de cette dernière de les motiver Cela suffit pour considérer que le pourvoi est recevable.

B. Sur le bien-fondé du pourvoi

24. Dans le cadre d’un pourvoi, la Cour examine d’office la recevabilité des...

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