Conclusiones del Abogado General Sr. P. Pikamäe, presentadas el 4 de marzo de 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:155
Celex Number62019CC0402
Date04 March 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 4 mars 2020 (1)

Affaire C402/19

LM

contre

Centre public d’action sociale de Seraing

[demande de décision préjudicielle formée par la cour du travail de Liège (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Parent d’un enfant mineur atteint d’une grave maladie devenu majeur au cours de la procédure d’appel relative au rejet de la demande d’autorisation de séjour – Ordre de quitter le territoire – Directive 2008/115 – Article 13 – Recours juridictionnel avec effet suspensif – Article 14 – Garanties dans l’attente du retour – Besoins de base – Octroi d’une aide sociale au parent – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 7, 24 et 47 – Relation de dépendance entre le parent et l’enfant gravement malade »






1. La prise en charge des besoins de base d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier gravement malade, durant la période de suspension de l’éloignement faisant suite à l’exercice d’un recours contre la décision de retour, doit-elle être étendue au profit de son père, ressortissant d’un pays tiers dont la présence aux côtés de son enfant a été jugée indispensable pour des raisons médicales ?

2. Telle est, en substance, la question adressée à la Cour qui sera amenée à interpréter les dispositions de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (2), concernant l’effectivité du recours dirigé contre une décision de retour et les garanties dans l’attente du retour, lues à la lumière, notamment, de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »).

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. Le considérant 12 de la directive 2008/115 est ainsi rédigé :

« Il convient de régler la situation des ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier, mais qui ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. Leurs besoins de base devraient être définis conformément à la législation nationale. [...] »

4. L’article 3, points 3 à 5, de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3) “retour” : le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer – que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – dans :

– son pays d’origine, ou

– un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou

– un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis ;

4) “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

5) “éloignement” : l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre »

5. L’article 5 de ladite directive précise :

« Lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, les États membres tiennent dûment compte :

a) de l’intérêt supérieur de l’enfant,

b) de la vie familiale,

[...] »

6. L’article 9 de la même directive prévoit à son paragraphe 1 que les États membres reportent l’éloignement :

« [...]

b) tant que dure l’effet suspensif accordé conformément à l’article 13, paragraphe 2. »

7. L’article 13 de la directive 2008/115 énonce à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance.

2. L’autorité ou l’instance visée au paragraphe 1 est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, et peut notamment en suspendre temporairement l’exécution, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale. »

8. L’article 14, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Sauf dans la situation visée aux articles 16 et 17, les États membres veillent à ce que les principes ci‑après soient pris en compte dans la mesure du possible en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers au cours du délai de départ volontaire accordé conformément à l’article 7 et au cours des périodes pendant lesquelles l’éloignement a été reporté conformément à l’article 9 :

a) l’unité familiale avec les membres de la famille présents sur le territoire est maintenue ;

b) les soins médicaux d’urgence et le traitement indispensable des maladies sont assurés ;

c) les mineurs ont accès au système éducatif de base en fonction de la durée de leur séjour ;

d) les besoins particuliers des personnes vulnérables sont pris en compte. »

B. Le droit belge

9. L’article 57, paragraphe 2, de la loi organique du 8 juillet 1976 des centres publics d’action sociale (Moniteur belge du 5 août 1976, p. 9876) prévoit :

« Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d’action sociale se limite à :

1° l’octroi de l’aide médicale urgente, à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume ;

[...] »

II. Le litige au principal et la question préjudicielle

10. Le 20 août 2012, LM a présenté, pour son compte et pour celui de R, sa fille alors mineure, des demandes d’autorisation de séjour pour raisons médicales, motivées par le fait que celle‑ci souffre de plusieurs maladies graves.

11. Cette demande a été déclarée recevable le 6 mars 2013 et LM a, de ce fait, bénéficié de l’aide sociale à la charge du centre public d’action sociale de Seraing (ci‑après le « CPAS »).

12. Trois décisions rejetant les demandes d’autorisation de séjour introduites par LM ont ensuite été adoptées puis retirées par l’autorité compétente. Le 8 février 2016, une quatrième décision de rejet de ces demandes a été adoptée. En outre, cette décision était assortie d’un ordre de quitter le territoire belge.

13. LM a introduit, le 25 mars 2016, un recours en annulation et en suspension contre la dernière décision de rejet et l’ordre de quitter le territoire devant le conseil du contentieux des étrangers (Belgique).

14. Le CPAS a retiré à LM le bénéfice de l’aide sociale à compter du 26 mars 2016, date d’expiration du délai de départ volontaire qui lui avait été octroyé, l’intéressé n’étant éligible, compte tenu du caractère irrégulier du séjour sur le territoire belge, qu’à l’aide médicale urgente, laquelle lui a été accordée à partir du 22 mars 2016.

15. À la suite de l’introduction d’un recours en référé devant le tribunal du travail de Liège (Belgique) contre la décision retirant à LM le bénéfice de l’aide sociale, le versement de celle‑ci a été rétablie.

16. Par deux décisions du 16 mai 2017, le CPAS a, de nouveau, retiré le bénéfice de l’aide sociale à LM à compter du 11 avril 2017, au motif que sa fille était devenue majeure à cette date. Depuis le 11 avril 2017, la fille du requérant au principal perçoit une aide sociale équivalente au taux isolé du revenu d’intégration majorée des prestations familiales du fait de son handicap.

17. LM a introduit un recours contre les décisions du CPAS du 16 mai 2017 devant le tribunal du travail de Liège. Par un jugement du 16 avril 2018, cette juridiction a considéré que le retrait de l’aide sociale était légalement fondé à compter de la date à laquelle R était devenue majeure, le demandeur n’étant pas lui‑même dans un état de santé justifiant d’écarter la loi belge.

18. Le 22 mai 2018, LM a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

19. Cette juridiction souligne qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH ») que les relations entre parents et enfants adultes peuvent être protégées par le droit à la vie familiale lorsqu’est démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance entre eux. Elle constate que la dégradation prévisible de l’état de santé de R en cas de retour vers son pays d’origine paraît correspondre en tous points au seuil de gravité exigé pour considérer que son éloignement l’exposerait à des traitements inhumains ou dégradants. En outre, elle relève que, au regard de cet état de santé, la présence de son père à ses côtés reste tout aussi indispensable que lorsqu’elle était mineure.

20. Dans ce contexte, elle estime que, si le refus d’octroyer une aide sociale à LM ne saurait constituer, en tant que tel, une atteinte à ce droit, il n’en demeure pas moins que ce refus est de nature à priver LM des moyens nécessaires pour maintenir son soutien et sa présence physique aux côtés de R.

21. Dans ces conditions, la cour du travail de Liège (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 57, [paragraphe] 2, premier alinéa, 1°, de la loi organique belge du 8 juillet 1976 des centres publics d’action sociale, est-il contraire aux articles 5 et 13 de la directive [2008/115], lus à la lumière de l’articles 19, [paragraphe] 2, et de l’article 47 de la [Charte], ainsi que de l’article 14, [paragraphe] 1, [sous] b), de cette directive et des articles 7 et 12 de la [Charte] tels qu’interprétés par l’arrêt [du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453)] :

– primo, en ce qu’il conduit à priver un étranger ressortissant d’un État tiers en séjour illégal sur le territoire d’un État membre de la prise en charge, dans la mesure du possible, de ses besoins de base pendant l’exercice du recours en annulation et suspension qu’il a introduit, en son nom personnel et de représentant de son enfant alors encore mineur...

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