Opinion of Advocate General Kokott delivered on 14 November 2019.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date14 November 2019

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 14 novembre 2019 (1)

Affaire C616/18

Cofidis SA

contre

YU,

ZT

(demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal d’instance d’Épinal [France])

Affaire C679/18

OPR-Finance s.r.o.

contre

GK

(demande de décision préjudicielle formée par le Okresní soud v Ostravě [tribunal de district d’Ostrava, République tchèque])


« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 2008/48 – Contrats de crédit aux consommateurs – Vérification précontractuelle par le prêteur de la solvabilité du consommateur – Obligations d’information du prêteur lors de la conclusion du contrat – Sanctions en cas de non‑respect – Application d’office – Dispositions nationales interdisant aux juridictions nationales après l’expiration du délai de prescription ou de forclusion de relever et de sanctionner, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, d’éventuelles violations des obligations »






I. Introduction

1. Les affaires Cofidis (C‑616/18) et OPR-Finance (C‑679/18) trouvent leur origine dans deux demandes de décision préjudicielle, respectivement française et tchèque, et concernent à chaque fois l’interprétation de la directive sur les contrats de crédit aux consommateurs (2). Elles touchent en substance à la question de savoir dans quelle mesure des délais nationaux de forclusion et de prescription s’opposent à l’examen d’office par une juridiction nationale de violations des articles 8 et 10 de cette directive et si les tribunaux peuvent sanctionner d’office les violations constatées.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

2. L’article 8, paragraphe 1, de la directive sur les contrats de crédit aux consommateurs est libellé comme suit :

« Les États membres veillent à ce que, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur évalue la solvabilité du consommateur, à partir d’un nombre suffisant d’informations, fournies, le cas échéant, par ce dernier et, si nécessaire, en consultant la base de données appropriée. Les États membres dont la législation prévoit l’évaluation obligatoire par le prêteur de la solvabilité du consommateur sur la base d’une consultation de la base de données appropriée peuvent maintenir cette obligation. »

3. L’article 10, paragraphe 2, énumère les indications qui doivent obligatoirement être mentionnées « de façon claire et concise » dans le contrat de crédit ; en font en particulier partie le taux annuel effectif global et le montant total dû par le consommateur (sous g) ainsi que des informations sur certains droits du consommateur.

4. L’article 23 de la directive sur les contrats de crédit aux consommateurs oblige les États membres à « [définir] le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et [à prendre] toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. »

B. Le droit national

1. Le droit français (affaire Cofidis)

5. La France a transposé en droit national les règles de la directive sur les contrats de crédit aux consommateurs par modification des dispositifs du code de la consommation sur le fondement de la loi nº 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation (3).

6. Les dispositions du code de la consommation, dans la version applicable aux faits, pertinentes pour la solution du litige dans la procédure préjudicielle se trouvent d’une part à l’article L.311-9 (4), qui prévoit qu’avant de conclure le contrat, le prêteur vérifie la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur. D’autre part, l’article L 311-18, paragraphe 2 (5), autorise à fixer par décret les indications qui doivent obligatoirement figurer au contrat. Sur la base de cette autorisation, le décret nº 2011-136 du 1er février 2011 a été adopté et codifié à l’article R 311-5 du code de la consommation (6). Son paragraphe 1 prévoit : « Le contrat de crédit prévu à l’article L. 311-18 est rédigé en caractères dont la hauteur ne peut être inférieure à celle du corps huit. Il comporte de manière claire et lisible » une série d’indications essentielles.

7. L’article L.311-48 du code de la consommation régit les conséquences s’appliquant en cas de non‑respect par le prêteur de ses obligations. La violation de l’obligation d’information au titre de l’article L.311-18 est sanctionnée en vertu de l’article L.311-48, paragraphe 1, par la déchéance du droit aux intérêts. Cette sanction s’applique en vertu de l’article L.311-48, paragraphe 2, également en cas de violation de l’obligation de vérifier la solvabilité au titre de l’article L.311-9, le juge pouvant dans ce cas limiter la sanction à une partie du droit aux intérêts.

8. Les litiges découlant de l’application des dispositions du code de la consommation relatives aux crédits aux consommateurs sont soumis à différents délais de forclusion et de prescription. Les actions en paiement faisant suite à un retard de paiement doivent être engagées en vertu de l’article L.311-52 du code de la consommation dans un délai de forclusion de deux ans à compter de l’évènement déclenchant le litige. L’article L.110-4, paragraphe 1, du code de commerce s’applique aux actions du consommateur ; en vertu de ce texte, les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non‑commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. L’article 2224 du code civil dispose en outre de manière générale que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

2. Le droit tchèque (affaire OPR-Finance)

9. La République tchèque a transposé la directive sur les contrats de crédit aux consommateurs dans le droit national, avec effet au 1er décembre 2016, par le Zákon č. 257/2016 Sb., o spotřebitelském úvěru (loi nº 257/2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs, ci‑après la « loi sur les contrats de crédit aux consommateurs »).

10. L’article 86 de la loi sur les contrats de crédit aux consommateurs règle l’évaluation de la solvabilité du consommateur comme suit :

« Avant de conclure le contrat de crédit aux consommateurs ou de procéder à une modification des engagements découlant d’un tel contrat et consistant en une augmentation substantielle du montant global du crédit aux consommateurs, le prêteur évalue la solvabilité du consommateur, à partir d’informations nécessaires, fiables, suffisantes et proportionnelles, fournies par le consommateur et, si nécessaire, en consultant une base de données permettant d’apprécier la solvabilité du consommateur, ou à partir d’autres sources. Le prêteur n’octroie le crédit que si l’évaluation de la solvabilité du consommateur fait apparaître qu’il n’existe pas de doutes légitimes quant à la capacité du consommateur à rembourser le crédit. […] ».

11. L’article 87 de la loi sur les contrats de crédit aux consommateurs règle la conséquence de la violation de l’obligation d’évaluer la solvabilité :

« Si le prêteur octroie au consommateur le crédit à la consommation en violation de l’article 86, paragraphe 1, deuxième phrase, le contrat est nul. Le consommateur peut faire valoir la nullité dans un délai de prescription de trois ans à dater de la conclusion du contrat. Le consommateur est tenu de restituer le principal du crédit à la consommation dans un délai proportionné à ses possibilités. »

12. L’article 586 du Zákon č. 89/2012 Sb., občanský zákoník (loi nº 89/2012, code civil) règle de manière générale la nullité dite relative telle que prévue notamment par l’article 87, paragraphe 1, de la loi sur les contrats de crédit aux consommateurs.

« (1) Si la nullité d’un acte juridique est prévue aux fins de la protection des intérêts d’une personne déterminée, seule cette personne peut exciper de cette nullité.

(2) Si la personne habilitée n’excipe pas de la nullité de l’acte juridique, ce dernier est réputé valable ».

III. Les faits, la procédure au principal et la demande de décision préjudicielle dans l’affaire Cofidis

A. Les faits et la procédure au principal

13. Cofidis, la partie demanderesse au principal, a conclu avec les défendeurs au principal en tant que consommateurs le 5 mai 2013 un contrat de regroupement de crédits portant sur un montant de 20 600 euros (7). Le 20 décembre 2017, Cofidis a prononcé la déchéance du terme du contrat et a exigé des défendeurs le 29 mars 2018 le remboursement des traites restantes.

14. Par acte notifié le 9 mai 2018, Cofidis a assigné les défendeurs aux fins de les voir condamner solidairement au paiement et déclarer l’arrêt provisoirement exécutable. Lors de l’audience du 21 juin 2018, le président du tribunal a soulevé d’office le moyen tiré d’une éventuelle violation de l’obligation de soumettre une offre de contrat en utilisant des indications claires et lisibles, le moyen tiré d’une éventuelle violation de vérifier la solvabilité de l’emprunteur ainsi que les sanctions qui y sont associées (nullité, déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts) et il a invité les parties à présenter leurs observations à ce sujet. Cofidis y a opposé que les moyens de défense invoqués d’office sont prescrits dans la mesure où ils n’auraient été soulevés qu’au-delà du délai de cinq ans après la conclusion du contrat.

B. Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour

15. Par ordonnance du 20 septembre 2018, parvenue le 1er octobre 2018, le tribunal d’instance d’Épinal a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante :

La protection que la directive sur les contrats de crédit assure aux consommateurs s’oppose-t-elle à une disposition...

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