Eco Swiss China Time Ltd contra Benetton International NV.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1999:97
Date25 February 1999
Celex Number61997CC0126
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-126/97
EUR-Lex - 61997C0126 - FR 61997C0126

Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 25 février 1999. - Eco Swiss China Time Ltd contre Benetton International NV. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas. - Concurrence - Application d'office par un tribunal arbitral de l'article 81 CE (ex-article 85) - Pouvoir du juge national d'annuler les sentences arbitrales. - Affaire C-126/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-03055


Conclusions de l'avocat général

1. Par ordonnance du 21 mars 1997, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) a adressé à titre préjudiciel cinq questions à la Cour concernant l'interprétation de l'article 85 du traité CE. Ces questions portent, d'une part, sur l'existence d'une obligation pour les arbitres d'appliquer d'office l'article précité; d'autre part, sur les pouvoirs attribués aux juridictions nationales lors de la mise en cause de sentences arbitrales présumées contraires aux dispositions du droit communautaire de la concurrence. Le délicat problème des rapports entre le droit communautaire et les règles nationales en matière de procédure se trouve par conséquent porté une nouvelle fois à l'attention de la Cour.

Le cadre législatif national

2. L'article 1054, paragraphe 1, du code de procédure civile néerlandais (Wetboek van Burgerlijke Rechtsvordering) dispose que les tribunaux arbitraux statuent conformément aux règles de droit. Selon l'article 1064 dudit code, un recours judiciaire en annulation contre les décisions non susceptibles d'appel arbitral ou rendues en appel arbitral peut être porté devant le Rechtbank dans les trois mois après la date du dépôt de l'original de la sentence au greffe dudit tribunal.

L'article 1065, paragraphe 1, indique pour quels motifs l'annulation des sentences arbitrales peut être demandée. Les vices indiqués sous a), c) et e) de la disposition précitée sont pertinents dans la présente affaire. Ils visent respectivement les hypothèses dans lesquelles la sentence arbitrale est entachée de nullité, celles dans lesquelles le tribunal arbitral ne s'est pas tenu aux limites de son mandat [sous c)] et enfin, celles dans lesquelles le contenu de la sentence arbitrale ou la manière dont elle a été rendue est contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs [sous e)].

Le paragraphe 4 précise ensuite que le vice en cause au point c) de l'article 1 ne peut aboutir à l'annulation de la sentence arbitrale si la partie qui le présente a participé à la procédure sans l'avoir invoqué encore qu'elle ait été au courant que le tribunal arbitral dépassait le cadre de la mission qui lui avait été confiée.

3. Il y a lieu d'ajouter que, conformément à l'article 1066, paragraphes 1 et 2, du code de procédure civile néerlandais, la mise en cause d'une sentence arbitrale ne suspend pas son exécution à moins que le juge appelé à se prononcer n'en décide autrement sur la base d'une évaluation sommaire du bien-fondé du recours.

Les faits et les questions préjudicielles

4. Le litige devant la juridiction de renvoi trouve son origine dans l'inexécution alléguée des obligations résultant d'un contrat de licence de marques. Cet accord, d'une durée de huit ans avait été conclu, en date du 1er juillet 1986, entre la société Benetton International NV (ci-après «Benetton»), la société Eco Swiss China Time Ltd. (ci-après «Eco Swiss») dont le siège est à Hong Kong, et la Bulova Watch Company dont le siège est à New York (ci-après «Bulova»). Conformément à ce contrat, Benetton et Bulova ont octroyé à Eco Swiss le droit de fabriquer et de mettre dans le commerce des montres et des horloges portant la mention «Benetton by Bulova».

L'accord de licence comportait, en son article 26 A, une clause compromissoire en vertu de laquelle tout litige ou différend entre les parties devait être réglé par arbitrage, en application des règles du Nederlandse Arbitrage Instituut (Institut néerlandais d'arbitrage). La loi néerlandaise y était indiquée comme étant la loi applicable.

5. Par lettre du 24 juin 1991, trois ans avant le terme initialement prévu, Benetton a communiqué aux autres parties son intention de résilier unilatéralement le contrat à compter du 24 septembre 1991. Par conséquent, sur l'initiative d'Eco Swiss et de Bulova une procédure arbitrale a été engagée qui avait pour objet la licéité ou non du comportement de Benetton en ce qui concerne les obligations prévues au contrat. Au cours de la procédure, ni les parties ni les arbitres n'ont soulevé la question de la conformité de l'accord au droit communautaire de la concurrence, et notamment à l'article 85 du traité.

Le 4 février 1993, les arbitres ont rendu une sentence partielle (Partial Final Award, ci-après le «PFA»), déposée ce même jour au greffe du Rechtbank te 's Gravenhage, dans laquelle ils ont enjoint à Benetton d'indemniser Eco Swiss et Bulova pour le préjudice que ces sociétés ont subi en raison de la résiliation de l'accord de licence par Benetton en considérant ledit accord comme «applicable et en vigueur» et en laissant aux parties le soin de trouver un accord sur le montant de la somme à verser à titre d'indemnisation du préjudice subi. S'agissant du PFA, Benetton n'a pas introduit d'appel dans les délais prévus par la loi (trois mois à partir de la date à laquelle la sentence a été déposée).

Les parties n'ayant pu se mettre d'accord, Eco Swiss s'est à nouveau adressée aux arbitres pour qu'ils se prononcent sur le montant des sommes dues à titre d'indemnisation du préjudice subi. Par sentence du 23 juin 1995, dénommée Final Arbitral Award (ci-après le «FAA»), les arbitres ont enjoint à Benetton de verser à Eco Swiss une somme de 23 750 000 USD, ainsi que le remboursement des sommes engagées lors des deux phases de la procédure arbitrale. Le FAA a été déposé au greffe du Rechtbank te 's Gravenhage, le 26 juin 1995; le 17 juillet, le président dudit tribunal a autorisé l'exécution de la sentence.

6. Par acte du 14 juillet 1995, Benetton a assigné Eco Swiss et Bulova devant le Rechtbank te 's Gravenhage en vue d'obtenir l'annulation des sentences arbitrales. Benetton faisait valoir, pour ce qui est pertinent dans la présente affaire, que les sentences arbitrales étaient contraires à l'ordre public en raison de l'incompatibilité du contrat de licence avec l'article 85 du traité. Le Rechtbank a rejeté ce recours par jugement du 2 octobre 1996 dont Benetton a interjeté appel devant le Gerechtshof lequel l'affaire est toujours pendante.

Benetton a introduit ensuite devant la même juridiction une demande de suspension de l'exécution du FAA jusqu'à la décision définitive sur la demande d'annulation de la sentence arbitrale. Le Rechtbank ayant rejeté la demande en cause, Benetton a interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof qui a fait droit à sa demande par ordonnance du 28 mars 1996. Le Gerechtshof a motivé ses décisions en se fondant sur les arguments suivants: les juges néerlandais ont noté en premier lieu que l'article 85 du traité relève de la notion d'«ordre public» au sens de l'article 1065, paragraphe 1, sous e), du code de procédure civile néerlandaise. En second lieu, s'il est vrai que Benetton a introduit une demande d'annulation du PFA en dehors du délai fixé par la loi, motif pour lequel il convient de déclarer cette demande irrecevable, il n'est pas exclu que l'on puisse procéder à une évaluation en ce qui concerne la compatibilité du contrat avec les règles de concurrence dans le cadre du recours relatif au FAA; cela, dans la mesure où la sentence précitée, en fixant la somme à verser à Eco Swiss à titre d'indemnisation du préjudice, a en tout état de cause mis à exécution une clause contractuelle contraire à l'article 85 du traité. Sur le fond, le Gerechtshof a considéré que l'accord conclu entre Benetton et Bulova était, à première vue, contraire à l'article 85 du traité dans la mesure où il comportait un cloisonnement du marché commun sur une base territoriale. Puisqu'il était ainsi probable pour les motifs ci-dessus exposés que la juridiction compétente se prononce favorablement sur la demande d'annulation du PFA, le Gerechtshof avait fait droit à la demande de suspension de la seconde sentence arbitrale.

7. Eco Swiss s'est pourvue en cassation contre la décision du Gerechtshof que nous venons de rappeler. Par ordonnance du 21 mars 1997, le Hoge Raad a suspendu la procédure pour soumettre à la Cour de justice cinq questions à titre préjudiciel. Dans les motivations de l'ordonnance de renvoi, le Hoge Raad a précisé qu'en droit néerlandais il n'est loisible à des particuliers de demander l'annulation d'une sentence arbitrale pour violation des règles de droit que s'il y a violation de l'ordre public. Le Hoge Raad ajoute qu'une sentence arbitrale n'est contraire à l'ordre public que si son contenu ou son exécution sont contraires à un norme contraignante d'un caractère tellement fondamental qu'aucune restriction de nature procédurale ne peut faire obstacle à son respect. Selon le Hoge Raad, la simple circonstance que le contenu ou l'exécution de la sentence arbitrale écarte l'application d'une interdiction édictée par le droit national de la concurrence ne suscite pas de problèmes de contrariété à l'ordre public.

Le Hoge Raad se pose toutefois la question de savoir si l'on peut aboutir à la même conclusion dès lors qu'il s'agit comme en l'espèce de règles impératives du droit communautaire; selon lui, il résulterait de l'arrêt du 14 décembre 1995, Van Schijndel et Van Veen (C-430/93 et C-431/93, Rec. p. I-4705) que l'article 85 du traité ne doit pas être considéré comme une règle de droit d'ordre public au sens ci-dessus exposé.

8. Le Hoge Raad a relevé, en outre, que, puisqu'aucune des parties n'avait soulevé la question de la nullité de l'accord de licence au cours de la procédure, les arbitres auraient dépassé les limites de leur mandat s'ils avaient examiné et tranché cette question d'office; la...

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