Conclusiones del Abogado General Sr. M. Bobek, presentadas el 28 de mayo de 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:400
Celex Number62019CC0367
Date28 May 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 28 mai 2020 (1)

Affaire C367/19

Tax-Fin-Lex d.o.o.

contre

Ministrstvo za notranje zadeve,

en présence de

LEXPERA d.o.o.

[demande de décision préjudicielle formée par la Državna revizijska komisija za revizijo postopkov oddaje javnih naročil (Commission nationale de contrôle des procédures de passation des marchés publics, Slovénie)]

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics de services – Directive 2014/24/UE – Article 2, paragraphe 1, point 5 – Qualification de “marché public” – Notion de “contrat à titre onéreux” – Offre d’un soumissionnaire d’un montant de zéro euro – Appréciation du caractère onéreux de l’opération – Absence de contrepartie pécuniaire à la charge du pouvoir adjudicateur – Rejet de l’offre – Base juridique – Article 69 – Offre anormalement basse »






I. Introduction

1. Zéro est-il (un nombre) anormalement bas ?

2. Laissant de côté les débats passionnants que la nature du nombre zéro a pu susciter dans le champ des mathématiques (2), il est probable qu’une telle question posée sous l’angle juridique à un profane pousse celui‑ci à jeter aux juristes ces regards pleins de stupéfaction auxquels ces derniers sont si habitués lorsqu’ils tentent d’expliquer leur métier. Le profane leur fera même alors peut-être remarquer, non sans sarcasme, que seuls les juristes sont capables de disserter de rien (littéralement) sur des pages et des pages.

3. Il n’en demeure pas moins que, en matière de marchés publics comme en mathématiques, zéro semble être un nombre singulier, difficile à placer dans les grilles d’analyse existantes. Un soumissionnaire proposant des biens ou des services au prix nominal de zéro euro fait-il une offre anormalement basse ? Ou bien ce soumissionnaire s’exclut-il automatiquement du champ du droit des marchés publics en inscrivant le chiffre magique « 0 » dans son offre plutôt qu’une autre somme nominale fortement inférieure aux coûts réels du marché (tels que, par exemple, 1,5 ou 101 euros), le raisonnement étant que, à la différence de tous les autres nombres naturels, « 0 » ne peut pas figurer dans un contrat de marché public ?

4. Tel est, en bref, le problème qui se pose dans la présente affaire. Dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public de services engagée par le Ministrstvo za notranje zadeve (ministère de l’Intérieur, Slovénie), l’entreprise Tax-Fin-Lex d.o.o. a formulé une offre d’un montant de zéro euro aux fins de la prestation de l’un des services visés. Le ministère de l’Intérieur a rejeté cette offre au motif que celle‑ci ne permettait pas de conclure un « contrat à titre onéreux » au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24/UE (3) ni de relever, par conséquent, des règles de passation des marchés publics. En revanche, Tax-Fin-Lex d.o.o. soutient que l’opération par laquelle elle s’engage à prester le service pour un montant de zéro euro serait effectuée « à titre onéreux » au sens de cette disposition. En effet, selon elle, l’exécution du marché lui permettrait de bénéficier d’un avantage économique, en raison des références dont elle pourrait se prévaloir par la suite aux fins de l’attribution de nouveaux marchés publics.

II. Le cadre juridique

5. La directive 2014/24 établit des règles permettant de coordonner les procédures nationales de passation des marchés publics supérieurs à un certain montant afin que celles‑ci soient conformes aux principes de la libre circulation des marchandises, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, ainsi qu’aux principes qui en découlent, comme l’égalité de traitement, la non‑discrimination, la proportionnalité et la transparence. Elle vise également à garantir une mise en concurrence effective de la passation de marchés publics.

6. En particulier, les considérants 4 et 103 de la directive 2014/24 énoncent :

« (4) Les formes de plus en plus diverses que prend l’action publique ont rendu nécessaire de définir plus clairement la notion même de marché public. Cette clarification ne devrait toutefois pas élargir le champ d’application de la présente directive par rapport à celui de la directive 2004/18/CE [(4)]. Les règles de l’Union relatives à la passation des marchés publics ne sont pas destinées à couvrir toutes les formes de dépenses de fonds publics, mais uniquement celles qui visent l’acquisition de travaux, de fournitures ou de services à titre onéreux au moyen d’un marché public. Il convient de préciser que ces acquisitions de travaux, de fournitures ou de services devraient relever de la présente directive, qu’elles soient réalisées au moyen d’un achat, d’un crédit-bail ou d’autres formes contractuelles.

La notion d’acquisition devrait être entendue au sens large, en tant qu’obtention de la jouissance des travaux, fournitures ou services en question [...]

[...]

(103) Les offres qui paraissent anormalement basses par rapport aux travaux, fournitures ou services concernés pourraient reposer sur des hypothèses ou des pratiques techniquement, économiquement ou juridiquement contestables. Si le soumissionnaire ne peut pas fournir d’explication satisfaisante, le pouvoir adjudicateur devrait être autorisé à rejeter son offre. Ce rejet devrait être obligatoire dans les cas où le pouvoir adjudicateur constate que ce prix ou ces coûts anormalement bas sont dus à des manquements aux obligations découlant du droit de l’Union ou du droit national compatible avec celle‑ci en matière de droit social et du travail ou de droit environnemental, ou de dispositions internationales en matière de droit du travail. »

7. Dans le cadre du titre I de la directive 2014/24, intitulé « Champ d’application, définitions et principes généraux », l’article 1er, paragraphes 1 et 2, dispose :

« 1. La présente directive établit les règles applicables aux procédures de passation de marchés par des pouvoirs adjudicateurs en ce qui concerne les marchés publics, ainsi que les concours, dont la valeur estimée atteint ou dépasse les seuils établis à l’article 4.

2. Au sens de la présente directive, la passation d’un marché est l’acquisition, au moyen d’un marché public [...] de services par un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs auprès d’opérateurs économiques choisis par lesdits pouvoirs, que ces [...] services aient ou non une finalité publique. »

8. L’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24 définit les « marchés publics » comme « des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services ».

9. L’article 18 de cette directive détermine les « [p]rincipes de la passation de marchés ». Il précise ce qui suit :

« 1. Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques.

2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour veiller à ce que, dans l’exécution des marchés publics, les opérateurs économiques se conforment aux obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail établies par le droit de l’Union, le droit national, les conventions collectives ou par les dispositions internationales en matière de droit environnemental, social et du travail énumérées à l’annexe X. »

10. L’article 69 de la directive 2014/24 est, quant à lui, consacré aux « [o]ffres anormalement basses ». Il est inséré dans le titre II, chapitre III, section 3, de cette directive, laquelle est intitulée « Choix des participants et attribution des marchés ». Cet article dispose :

« 1. Les pouvoirs adjudicateurs exigent que les opérateurs économiques expliquent le prix ou les coûts proposés dans l’offre lorsque celle‑ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services.

2. Les explications visées au paragraphe 1 peuvent concerner notamment :

a) l’économie du procédé de fabrication des produits, de la prestation des services ou du procédé de construction ;

b) les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ;

c) l’originalité des travaux, des fournitures ou des services proposés par le soumissionnaire ;

d) le respect des obligations visées à l’article 18, paragraphe 2 ;

e) le respect des obligations visées à l’article 71 ;

f) l’obtention éventuelle d’une aide d’État par le soumissionnaire.

3. Le pouvoir adjudicateur évalue les informations fournies en consultant le soumissionnaire. Il ne peut rejeter l’offre que si les éléments de preuve fournis n’expliquent pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés, compte tenu des éléments visés au paragraphe 2.

Les pouvoirs adjudicateurs rejettent l’offre s’ils établissent que celle‑ci est anormalement basse parce qu’elle contrevient aux obligations applicables visées à l’article 18, paragraphe 2.

[...] »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

11. Le 7 juin 2018, le ministère de l’Intérieur (le pouvoir adjudicateur) a engagé une procédure de passation d’un marché public de services portant sur l’accès à un système d’information juridique pour une période de 24 mois. Ce marché est composé de deux lots. Le ministère de l’Intérieur a estimé la valeur de ce marché à 39 959,01 euros.

12. Concernant le premier lot, portant sur l’accès à un système d’information juridique, seuls deux...

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