IN y JM contra Belgische Staat.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:597
Celex Number62018CC0469
Docket NumberC-469/18
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date11 July 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 11 juillet 2019 (1)

Affaires jointes C469/18 et C470/18

IN (C‑469/18)

JM (C‑470/18)

contre

Belgische Staat

[demande de décision préjudicielle formée par le Hof von Cassatie (Cour de cassation, Belgique)]

« Demande de décision préjudicielle – Imposition – Droit à un recours effectif – Contrôle juridictionnel d’un avis d‘imposition – Compétence de la Cour dans le cadre du calcul de l’impôt sur le revenu – Exploitation d’une preuve prétendument acquise en violation du droit au respect de la vie privée et familiale par l’administration fiscale – Obligation du juge d’ignorer cette preuve »






I. Introduction

1. Un État membre met-il en œuvre le droit de l’Union lorsque ses autorités fiscales utilisent, pour établir un avis d’imposition sur le revenu, une preuve que les organismes d’enquête ont obtenue à la suite de la découverte d’une fraude à la TVA de type carrousel ? Exprimé en d’autres termes : une violation des droits fondamentaux de l’Union européenne lors de la collecte des preuves conduit elle à une interdiction d’exploiter lesdites preuves dans le cadre du calcul de l’impôt sur le revenu ? Voilà en substance les questions dont la Cour est saisie à l’occasion de deux demandes de décision préjudicielles présentées par la Cour de cassation belge.

2. Ces affaires ont pour contexte des enquêtes pénales dans le cadre desquelles le Luxembourg a transmis à la Belgique un élément de preuve en violation d’une compétence du juge prévue par un accord de droit international public. Cette preuve a en tout cas été utilisée pour les avis d’imposition sur le revenu. Les parties requérantes en cassation dans les procédures au principal (ci‑après les « requérants en cassation ») ne visent que ces avis.

3. Les affaires mettent en cause l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») — en l’espèce l’article 47 de la Charte – dans le cadre du calcul de l’impôt sur le revenu. Cette question va au-delà de l’arrêt Åkerberg Fransson de 2013 (2) qui a fait l’objet de nombreux débats (3). La Cour y a jugé qu’une procédure pénale pour fraude à la TVA est une « mise en œuvre du droit de l’Union » au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Il convient désormais de vérifier si le calcul de l’impôt sur le revenu constitue également une mise en œuvre du droit de l’Union lorsqu’une preuve, qui a été obtenue dans le cadre d’une procédure d’enquête pénale déclenchée par un soupçon de fraude à la TVA, est utilisée.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international public

4. Il existe entre le Royaume de Belgique, le Grand-duché de Luxembourg et le Royaume des Pays‑Bas un traité d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale signé à Bruxelles le 27 juin 1962 (ci‑après le « traité Benelux »).

5. Aux termes de l’article 20, paragraphes 1 et 2, du traité Benelux :

« 1. À la demande de la Partie requérante, la Partie requise saisira, dans la mesure permise par sa législation, et remettra les objets

a) qui peuvent servir de pièces à conviction ;

b) qui, provenant de l’infraction, auraient été trouvés avant ou après la remise de la personne arrêtée.

2. La remise est subordonnée à l’accord de la Chambre du Conseil du tribunal du lieu où les perquisitions et saisies ont été opérées qui décide s’il convient ou non de transmettre en tout ou partie, à la Partie requérante, les objets saisis. Elle peut ordonner la restitution des objets qui ne se rattachent pas directement au fait imputé au prévenu et statue, le cas échéant, sur la réclamation des tiers détenteurs ou autres ayants droit. »

6. L’article 24, paragraphe 2, du traité Benelux prévoit ce qui suit :

« Toutefois, [les commissions rogatoires] qui tendent à faire opérer une saisie ou une perquisition ne seront exécutées que pour l’un des faits pouvant justifier l’extradition en vertu du présent Traité et sous la réserve exprimée au paragraphe 2 de l’article 20 ».

B. Le droit belge

7. Le droit fiscal belge ne prévoit pas d’interdiction absolue d’exploiter les preuves acquises illégalement. La Cour de cassation a cependant développé une jurisprudence dite « Antigoon » en matière fiscale. En vertu de cette jurisprudence, l’exploitation dans les affaires fiscales de preuves acquises illégalement n’est inadmissible que si les pièces à conviction ont été obtenues d’une manière en vertu de laquelle l’utilisation doit être considérée comme inadmissible en toutes circonstances ou lorsque l’utilisation viole le droit de l’assujetti à une procédure équitable. Cette question doit être appréciée par le juge dans le cadre d’une appréciation d’ensemble.

III. Les faits et la procédure au principal

8. Les requérants en cassation sont directeurs d’entreprises de commerce et de distribution d’ordinateurs et de pièces d’ordinateur en Belgique.

9. La Bijzondere Belastinginspectie (inspection spéciale des impôts belge) a engagé en 1995 à l’encontre des entreprises des requérants en cassation des enquêtes en lien avec une fraude à la TVA de type carrousel. À la suite d’une plainte de l’inspection spéciale des impôts belge, des enquêtes pénales ont en outre été engagées en 1996 contre ces mêmes entreprises. Il ne ressort pas clairement des demandes de décision préjudicielle si ces enquêtes concernaient des fraudes à la TVA ou à l’impôt sur le revenu.

10. Dans le cadre des enquêtes pénales, les autorités pénales belges ont adressé au Grand-duché de Luxembourg une demande d’entraide judiciaire qui a conduit à la saisie, le 15 juillet 1998, de documents bancaires auprès d’une banque luxembourgeoise. Lors de la saisie, un juge belge était présent aux côtés du juge d’instruction luxembourgeois.

11. Les autorités luxembourgeoises ont transmis aux autorités pénales belges les documents ainsi obtenus sans que l’autorisation d’un tribunal luxembourgeois n’ait été demandée, et encore moins accordée, comme le prévoit pourtant l’article 20, paragraphe 2, du traité Benelux.

12. Les autorités pénales belges ont autorisé les autorités fiscales de ce même État à consulter le dossier pénal. Sur la base des informations ainsi recueillies, les autorités fiscales belges ont adressé aux requérants en cassation en 1999 et 2000 des avis de rectification de la déclaration à l’impôt des personnes physiques pour les exercices d’imposition 1997 et 1998. Les autorités ont imposé les montants qui avaient été virés sur un compte luxembourgeois des requérants en cassation en tant que bénéfices bruts d’activités industrielles et commerciales.

13. À la suite des recours formés contre ces avis, le tribunal des finances belge de première instance a accordé aux requérants en cassation le dégrèvement de la plus grande partie des impositions supplémentaires des personnes physiques.

14. Sur appel du défendeur en cassation dans les procédures au principal, le tribunal d’appel a annulé l’arrêt de première instance pour autant que celui‑ci avait accordé un dégrèvement de l’imposition des personnes physiques. Selon lui, les conditions d’une interdiction d’exploitation des preuves d’après la jurisprudence « Antigoon » belge ne seraient pas réunies. Les requérants ont formé recours en cassation contre cet arrêt auprès de la Cour de cassation.

IV. Les demandes de décision préjudicielle et les procédures devant la Cour

15. Par ordonnances du 28 juin 2018, la Cour de cassation a soumis à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit-il être interprété en ce sens que, dans les affaires concernant la taxe sur la valeur ajoutée, il s’oppose en toutes circonstances à l’utilisation d’éléments de preuve obtenus en méconnaissance du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la Charte ou en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règlementation nationale dans le cadre de laquelle la juridiction qui doit apprécier si un tel élément de preuve peut être utilisé comme fondement pour une perception de la TVA est tenue de procéder à un examen tel que précisé, plus haut, au point 4 du présent arrêt [voir point 7 ci‑dessus] ».

16. Par décision du 6 septembre 2018, le président de la Cour a ordonné la jonction des affaires C‑469/18 et C‑470/18 aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

17. Dans la procédure préjudicielle devant la Cour, les requérants en cassation, le Royaume de Belgique, la République italienne, le Royaume des Pays‑Bas ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites.

V. Recevabilité de la question préjudicielle

18. Il convient de trancher tout d’abord la question de la recevabilité de la question préjudicielle. La Cour de cassation demande en effet expressément si certains éléments de preuve peuvent être utilisés pour une « perception de la TVA ». Le litige dans les procédures au principal ne porte cependant pas sur les avis d’imposition à la TVA, mais sur les avis d’imposition sur le revenu. En ce sens, la question préjudicielle n’aurait aucun lien avec l’objet de la procédure au principal, serait de nature hypothétique et donc irrecevable (4).

19. En vertu de la jurisprudence constante de la Cour, il appartient à cette dernière, dans le cadre de la procédure de coopération avec les juridictions nationales prévue à l’article 267 TFUE, de fournir au juge de renvoi une réponse utile lui permettant de trancher le litige dont il est saisi. La Cour doit à cette fin, le cas échéant, reformuler la question préjudicielle qui lui est soumise (5).

20. La Cour de cassation ne peut pas avoir visé dans sa question préjudicielle l’utilisation de preuves pour un calcul de la TVA car il n’est pas question, dans les demandes de décision préjudicielle, d’avis d’imposition à la TVA, mais exclusivement d’avis d’imposition sur le revenu. L’emploi de la notion de « perception de la TVA » semble être une erreur de plume. Cette notion doit donc être remplacée par...

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