Opinion of Advocate General Kokott delivered on 16 July 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:591
Date16 July 2020
Celex Number62019CC0160
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 16 juillet 2020 (1)

Affaire C160/19 P

Comune di Milano

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Aides d’État – Aide sous forme d’augmentations du capital effectuées par la société mère – Services d’assistance en escale aux aéroports de Milan-Linate et de Milan-Malpensa – Preuve de l’imputabilité de ressources d’État – Appréciation des indices – Mesures consécutives considérées comme une seule mesure – Étendue du contrôle des décisions de la Commission en matière d’aides d’État par les juridictions de l’Union – Critère de l’investisseur privé en économie de marché – Répartition de la charge de la preuve – Informations pertinentes »






I. Introduction

1. Les augmentations de capital destinées à couvrir les pertes d’une filiale peuvent constituer des aides d’État en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE si la société mère qui y procède est détenue par l’État. Toutefois, une aide est exclue si un investisseur privé fictif opérant dans une économie de marché aurait également pris la mesure en cause.

2. Dans la présente affaire, l’État membre n’a pas présenté à la Commission, dans le cadre de la procédure administrative, suffisamment de documents relatifs à la prise de décision de la société mère datant de la période précédant les augmentations de capital en faveur de sa filiale. Pour cette raison, le Tribunal considère que le critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché n’est pas rempli. La question de savoir si le Tribunal a appliqué à cet égard les bons standards de preuve, et en particulier, s’il a correctement réparti la charge de la preuve, fait notamment l’objet du pourvoi du Comune di Milano (commune de Milan, Italie).

II. Le cadre juridique

3. Le Tribunal ne se fonde pas seulement sur l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais également sur la directive 2006/111/CE relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises (2). L’article 2, sous b), deuxième alinéa, de cette directive établit la règle de présomption suivante pour les entreprises publiques :

« Aux fin de la présente directive, on entend par : […]

b) “entreprise publique”, toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent.

L’influence dominante des pouvoirs publics sur l’entreprise est présumée lorsque, directement ou indirectement, ceux‑ci :

[…]

ii) disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par l’entreprise […] ».

III. Les faits et la procédure

A. Le contexte du litige

4. SEA SpA (ci‑après « SEA ») est la société gestionnaire des aéroports de Milan-Linate et Milan-Malpensa (Italie). Entre 2002 et 2010, son capital était détenu presque exclusivement par des autorités publiques, à savoir à raison de 84,56 % par le requérant au pourvoi, le Comune di Milano, à raison de 14,56 % par la Provincia di Milano (la province de Milan, Italie), et à raison de 0,88 % par d’autres actionnaires publics et privés.

5. Jusqu’au 1er juin 2002, SEA a elle‑même fourni les services d’assistance en escale aux aéroports de Milan-Linate et de Milan‑Malpensa. En raison de nouvelles prescriptions du droit de l’Union, SEA a ensuite créé SEA Handling SpA (ci‑après « SEA Handling »), une société entièrement contrôlée par elle, qui fournit des services d’assistance en escale aux aéroports de Milan-Linate et de Milan-Malpensa depuis le 1er juin 2002.

6. Le 26 mars 2002, le Comune di Milano, SEA et divers syndicats ont conclu un accord (ci‑après « l’accord syndical de 2002 »), dans lequel le Comune di Milano confirmait notamment que SEA continuerait de détenir une participation majoritaire dans SEA Handling pendant au moins cinq ans et que SEA maintiendrait l’équilibre coûts/bénéfices de sa filiale en « préservant [s]es capacités de gestion et en améliorant sensiblement [s]es possibilités d’opérer sur les marchés nationaux et internationaux ».

7. Dans la période comprise entre 2002 et 2010, SEA a procédé en faveur de SEA Handling à des augmentations de capital au montant total de 359 644 000 euros. Pendant la même période, SEA Handling a enregistré des pertes s’élevant à 339 784 000 euros au total.

B. Décision litigieuse

8. Après avoir examiné les augmentations de capital à la suite d’une plainte, la Commission a adopté, le 19 décembre 2012, la décision 2015/1225 concernant les augmentations de capital effectuées par SEA en faveur de SEA Handling, notifiée sous le numéro C(2012) 9448 (3) (ci‑après la « décision litigieuse »).

9. Dans le dispositif de la décision litigieuse, la Commission a constaté, notamment, que les augmentations de capital effectuées par SEA en faveur de SEA Handling pendant la période 2002 à 2010 constituaient des aides d’État au sens de l’article 107 TFUE, qui étaient incompatibles avec le marché intérieur et devaient par conséquent être récupérées.

C. La procédure devant le Tribunal

10. Par un recours en annulation introduit le 18 mars 2013, le requérant au pourvoi a attaqué la décision litigieuse en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Le requérant au pourvoi a d’abord présenté une demande de mesures provisoires qu’il a ensuite retirée.

11. Par arrêt du 13 décembre 2018, Comune di Milano/Commission (T‑167/13, EU:T:2018:940) (ci‑après « l’arrêt attaqué »), le Tribunal a confirmé la décision de la Commission et, par conséquent, rejeté le recours et condamné le Comune di Milano aux dépens.

D. La procédure de pourvoi devant la Cour

12. Le Comune di Milano conteste/attaque l’arrêt du Tribunal par le présent pourvoi du 22 février 2019.

13. Le Comune di Milano conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– annuler l’arrêt du Tribunal rendu le 13 décembre 2018 dans l’affaire T‑167/13, Comune di Milano/Commission ;

– annuler la décision de la Commission européenne (UE) 2015/1225, du 19 décembre 2012, relative aux augmentations de capital effectuées par SEA SpA en faveur de SEA Handling SpA [affaire SA.21420 (C14/10) (ex NN25/10)] ;

– condamner la Commission aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure de référé T‑167/13 R.

14. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– rejeter le pourvoi dans son intégralité comme étant manifestement irrecevable et/ou dénué de fondement ;

– condamner Comune di Milano aux dépens de la présente procédure et à ceux de la procédure en première instance, ainsi qu’aux dépens de la procédure de référé.

15. Les parties ont présenté par écrit leurs arguments au sujet du pourvoi et ont été entendues lors de l’audience qui s’est tenue le 4 juin 2020.

IV. Appréciation juridique

16. Le Comune di Milano avance quatre moyens à l’appui de son pourvoi, tous tirés de la violation, par le Tribunal, de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, car il n’y aurait pas d’aides d’État en l’espèce.

17. L’existence d’une aide d’État est présumée en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE lorsque quatre conditions cumulatives sont remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État ; deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres ; troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire ; quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence.

18. Les trois premiers moyens concernent le critère des ressources d’État et l’imputabilité des ressources à l’État (voir, à cet égard, les parties A, B et C). Le quatrième moyen est relatif au critère de l’investisseur privé opérant dans une économie de marché, critère pertinent pour déterminer si un avantage est accordé au bénéficiaire de l’aide litigieuse (voir, à cet égard, la partie D).

A. Premier moyen – Ressources d’État

19. Une aide est, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, accordée par l’État ou au moyen de ressources d’État si, d’une part, l’avantage accordé l’a été au moyen de ressources d’État et si, d’autre part, la décision à l’origine de l’avantage est imputable à l’État (4).

20. Par son premier moyen, le requérant au pourvoi conteste que des ressources d’État aient été utilisées (première branche du premier moyen) et critique la méthode retenue par le Tribunal pour déterminer si les mesures en cause sont imputables au requérant (deuxième branche du premier moyen).

1. La première branche du premier moyen

a) La recevabilité de la première branche du premier moyen

21. La Commission doute de la recevabilité de l’argumentation du requérant au pourvoi en ce qui concerne la première branche du premier moyen, car le Comune di Milano contesterait pour la première fois dans sa requête en pourvoi la nature étatique des ressources utilisées. En statuant néanmoins sur ce point dans l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait statué ultra petita, ce qui ne saurait à son tour permettre au requérant de contester pour la première fois, au stade du pourvoi, l’existence des conditions d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

22. Conformément à l’article 170, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal (5). Considérée isolément, la première branche du premier moyen pourrait ainsi être irrecevable parce qu’elle remet expressément en cause, pour la première fois, la lecture de la jurisprudence existante sur la notion de ressources d’État telle que défendue par la Commission et confirmée par le Tribunal.

23. Cependant, la Commission méconnaît l’argumentation du requérant au pourvoi devant le Tribunal.

24. Il est vrai que le requérant au pourvoi n’a pas, déjà à ce stade de la procédure, avancé d’argument visant spécifiquement le caractère étatique des ressources, mais qu’il a avant tout fait valoir que la Commission avait...

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