Opinion of Advocate General Ćapeta delivered on 3 February 2022.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62020CC0500
ECLIECLI:EU:C:2022:79
Date03 February 2022
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 3 février 2022 (1)

Affaire C500/20

ÖBB-Infrastruktur Aktiengesellschaft

contre

Lokomotion Gesellschaft für Schienentraktion mbH

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Accords internationaux – Transport ferroviaire – Convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) – Règles uniformes concernant le contrat d’utilisation de l’infrastructure en trafic international ferroviaire (CUI) – Compétence de la Cour – Coûts supportés par le transporteur pour la location de locomotives de remplacement après que ses propres locomotives ont été endommagées – Extension de leur responsabilité par les parties contractantes par référence au droit national »






I. Introduction

1. Au mois de juillet 2015, un train composé de six locomotives a déraillé en gare de Kufstein (Autriche), avec pour conséquence que deux des locomotives de la requérante ont été endommagées. La réparation des locomotives a duré 6 et 8 mois respectivement et, durant ce laps de temps, le transporteur a loué des locomotives de remplacement. C’est le fondement et l’étendue de la responsabilité pour les coûts de location ainsi entrainés qui est au cœur du présent litige.

2. La demande de décision préjudicielle introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) porte sur l’interprétation de la partie qui concerne la responsabilité du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire de la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) du 9 mai 1980, telle que modifiée par le protocole de Vilnius du 3 juin 1999. À titre de question préliminaire, la juridiction de renvoi demande si la Cour est compétente pour interpréter les dispositions de la COTIF, conclues tant par l’Union européenne que par les États membres dans le domaine des transports, dans lequel l’Union et les États membres ont une compétence partagée. Ce n’est pas la première fois que la Cour est invitée à se prononcer sur sa propre compétence à l’égard d’accords mixtes (2). Et, compte tenu de la complexité qui accompagne la mixité en matière d’action extérieure (3), il est hautement probable que ce ne soit pas la dernière.

3. S’il devait être conclu à la compétence de la Cour, cette dernière est également invitée, en ce qui concerne la responsabilité des gestionnaires de l’infrastructure ferroviaire, à interpréter les règles uniformes concernant le contrat d’utilisation de l’infrastructure en trafic international ferroviaire (ci-après les « Règles uniformes CUI ») (4) ainsi que les éventuelles dérogations à ces règles. La Cour n’a pas eu, jusqu’à présent, l’opportunité d’interpréter les Règles uniformes CUI.

II. Le cadre juridique

4. L’ensemble des États membres de l’Union européenne, à l’exception de la République de Chypre et de la République de Malte, sont parties à la COTIF, établissant l’Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OTIF). L’Union européenne a ratifié la COTIF avec effet au 1er juillet 2011 (5).

A. Les Règles uniformes CUI

5. Les Règles uniformes CUI (6) s’appliquent à tout contrat d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire aux fins du transport international, tel que le contrat conclu entre les parties à l’affaire au principal.

6. L’article 4 des Règles uniformes CUI, intitulé « Droit contraignant », est libellé comme suit :

« Sauf clause contraire dans les présentes Règles uniformes, est nulle et de nul effet toute stipulation qui, directement ou indirectement, dérogerait à ces Règles uniformes. La nullité de telles stipulations n’entraine pas la nullité des autres dispositions du contrat. Nonobstant cela, les parties au contrat peuvent assumer une responsabilité et des obligations plus lourdes que celles qui sont prévues par les présentes Règles uniformes ou fixer un montant maximal d’indemnité pour les dommages matériels »

7. L’article 8 des Règles uniformes CUI, intitulé « Responsabilité du gestionnaire », dispose, à ses paragraphes 1 et 4, ce qui suit :

« § 1 Le gestionnaire est responsable :

a) des dommages corporels (mort, blessures ou toute autre atteinte à l’intégrité physique ou psychique),

b) des dommages matériels (destruction ou avarie des biens mobiliers et immobiliers)

c) des dommages pécuniaires résultant des dommages-intérêts dus par le transporteur en vertu des Règles uniformes CIV et des Règles uniformes CIM,

causés au transporteur ou à ses auxiliaires durant l’utilisation de l’infrastructure et ayant leur origine dans l’infrastructure.

[…]

§ 4 Les parties au contrat peuvent convenir si, et dans quelle mesure, le gestionnaire est responsable des dommages causés au transporteur par un retard ou par une perturbation dans l’exploitation. »

8. L’article 8 des Règles uniformes CUI, intitulé « Autres actions », dispose, à son paragraphe 1, ce qui suit :

« Dans tous les cas où les présentes Règles uniformes s’appliquent, toute action en responsabilité, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée contre le gestionnaire ou contre le transporteur que dans les conditions et limitations de ces Règles uniformes. »

B. L’accord d’adhésion

9. L’accord d’adhésion (7) fixe, notamment, la relation entre les obligations découlant du droit de l’Union et celles qui découlent de la COTIF et de ses appendices. Son article 2 dispose plus précisément :

« Sans préjudice de l’objet et de la finalité de la convention, à savoir promouvoir, améliorer et faciliter le trafic international ferroviaire, et sans préjudice de sa pleine application à l’égard d’autres parties à la convention, dans leurs relations mutuelles, les parties à la convention qui sont des États membres de l’Union appliquent les règles de l’Union et n’appliquent donc les règles découlant de ladite convention que dans la mesure où il n’existe pas de règle de l’Union régissant le sujet particulier concerné. »

10. L’article 7 de l’accord d’adhésion prévoit par ailleurs la méthode permettant de déterminer l’étendue de la compétence de l’Union :

« L’étendue de la compétence transférée à l’Union est décrite en termes généraux dans une déclaration écrite faite par l’Union au moment de la conclusion du présent accord. Cette déclaration peut être modifiée en tant que de besoin, moyennant notification faite par l’Union à l’OTIF. Elle ne remplace ni ne limite en aucune manière les matières qui peuvent faire l’objet de notifications de compétence de l’Union préalables à la prise de décisions, au sein de l’OTIF, par vote formel ou par une autre procédure. »

C. La décision 2013/103/UE (8)

11. Aux termes du considérant 2 de la décision 2013/103 :

« L’Union dispose d’une compétence exclusive ou d’une compétence partagée avec ses États membres dans les domaines couverts par la convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) du 9 mai 1980, telle que modifiée par le protocole de Vilnius du 3 juin 1999 [...] ».

12. L’annexe I à la décision 2013/103 contient en outre la déclaration de l’Union européenne concernant l’exercice des compétences (ci-après la « Déclaration ») visée à l’article 7 de l’accord d’adhésion. La Déclaration contient un appendice fournissant la liste des instruments par lesquels, à cette date, l’Union a exercé sa compétence.

D. Le droit autrichien

13. Selon la juridiction de renvoi, les articles 1293 et suivants de l’Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch (code civil autrichien, ci-après l’« ABGB ») établissent un régime de responsabilité pour les dommages dus à la faute de l’auteur. Dans les relations contractuelles, c’est au débiteur qu’il incombe de prouver que l’inexécution de ses obligations contractuelles ne relève pas de sa faute (article 1298 de l’ABGB). Le débiteur doit répondre de la faute de ses agents (article 1313a de l’ABGB). Si une faute devait être imputable à la défenderesse, les coûts de location réclamés pour les locomotives de remplacement devraient être remboursés en vertu du droit national.

III. Les antécédents du litige et les questions préjudicielles

14. Au mois de décembre 2014, Lokomotion Gesellschaft für Schienentraktion mbH, une société ferroviaire privée dont le siège social est situé en Allemagne (ci-après « Lokomotion ») et ÖBB-Infrastruktur Aktiengesellschaft, une entreprise d’infrastructure ferroviaire autrichienne (ci-après « ÖBB-Infrastruktur ») ont conclu un contrat relatif à l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire pour le trafic international, moyennant une contrepartie payée par Lokomotion.

15. Ce contrat comporte une référence aux conditions générales du contrat d’utilisation de l’infrastructure d’ÖBB-Infrastruktur (ci-après, les « CG »).

16. Les CG prévoient que la responsabilité des parties au contrat est régie par l’ABGB, l’Unternehmensgesetzbuch code des sociétés), l’Eisenbahn - und Kraftfahrzeughaftpflichtgesetz (loi sur la responsabilité civile des chemins de fer et véhicules automobiles) et les règles uniformes CUI, sauf disposition contraire desdites conditions générales.

17. À la suite du déraillement de 6 locomotives de Lokomotion, le 15 juillet 2015, 2 locomotives endommagées n’ont plus pu être utilisées pendant la durée des réparations. Lokomotion a loué 2 locomotives de remplacement, dont elle a supporté les coûts.

18. Lokomotion réclame à ÖBB-Infrastruktur 629 110 euros (majoré des intérêts et frais) au titre des frais de location des locomotives de remplacement qui ont été louées en raison de l’accident. Elle fait valoir que l’accident serait dû à une défectuosité de l’infrastructure ferroviaire mise à disposition par ÖBB-Infrastruktur. Cette dernière, selon Lokomotion, aurait enfreint de manière illicite et fautive ses obligations de construction, de contrôle, d’entretien, de remise en état et de réparation correctes des voies, telles qu’elles sont prévues par la réglementation en matière ferroviaire. Les frais de location des locomotives de...

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