Procedimento penal entablado contra Ivan Gavanozov.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:312
Date11 April 2019
Celex Number62017CC0324
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-324/17

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 11 avril 2019 (1)

Affaire C324/17

Procédure pénale

contre

Ivan Gavanozov

[demande de décision préjudicielle formée par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2014/41/UE – Décision judiciaire d’enquête européenne – Procédures et garanties dans l’État membre d’émission – Motifs de fond à l’origine de l’émission de la décision d’enquête européenne – Absence de voies de recours dans l’État membre d’émission – Autonomie procédurale – Principes d’équivalence et d’effectivité – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Article 14 de la directive 2014/41 – Notion de “personne concernée” – Personne visée par une accusation pénale et mesures de collecte de preuve appliquées vis-à-vis d’une personne tierce »






I. Introduction

1. L’ouverture des frontières au sein de l’Union européenne a inévitablement eu pour effet de faciliter la dimension transfrontière de la criminalité, voire de créer de nouvelles possibilités de criminalité. Un tel phénomène nécessite que le cadre légal dans lequel s’effectuent les enquêtes et, en particulier, les pouvoirs d’investigation dont disposent les autorités judiciaires des États membres puissent s’affranchir des frontières nationales.

2. Ainsi, les États membres se sont efforcés de mettre en place une coopération judiciaire notamment en matière de preuves (2).

3. Si la judiciarisation croissante des procédures d’entraide entre les autorités des États membres a permis d’accroître l’efficacité de la coopération en matière d’obtention de preuves, il n’en demeure pas moins que, comme l’a souligné le législateur de l’Union, le cadre juridique européen était devenu, du fait, notamment, de l’accumulation d’instruments spécifiques, tout à la fois trop fragmenté et trop complexe (3). Destinée à remplacer les instruments de coopération en matière de preuve, la directive 2014/41 vise tant à simplifier le cadre légal d’obtention des preuves dans les procédures d’enquête qu’à améliorer l’effectivité de ces dernières.

4. La directive 2014/41 a un champ d’application générique et particulièrement large au regard des textes qu’elle vise à remplacer. Ainsi, il résulte de l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive que la décision d’enquête européenne est une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre (ci-après l’« État d’émission ») afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre (ci‑après l’« État d’exécution ») en vue d’obtenir des preuves conformément à ladite directive.

5. En outre, les autorités des États membres sont, en principe, tenues d’exécuter les décisions d’enquête européenne sur la base du principe de reconnaissance mutuelle, et ce conformément au cadre établi par la directive 2014/41 (4).

6. Dès lors que les mesures d’enquête ordonnées par les autorités compétentes aux fins d’obtention de preuves en matière pénale peuvent s’avérer particulièrement intrusives en ce qu’elles sont susceptibles de porter atteinte au droit au respect de la vie privée des personnes visées, la législation de l’Union doit impérativement trouver un équilibre entre l’efficacité et la célérité des procédures d’enquête, d’une part, et la protection des droits des personnes concernées par ces mesures d’enquête, d’autre part.

7. Si la présente affaire invite la Cour à interpréter pour la première fois la directive 2014/41, elle lui offre surtout la possibilité de prendre position sur cet équilibre délicat, mais primordial.

8. Ainsi, les questions préjudicielles portent, en substance, sur l’article 14 de cette directive et sur les recours permettant de contester les motifs de fond des mesures d’enquête indiquées dans la décision judiciaire portant émission d’une décision d’enquête européenne.

9. Nous exposerons, dans les présentes conclusions, les raisons pour lesquelles, premièrement, nous estimons que l’article 14 de la directive 2014/41 s’oppose à la législation d’un État membre qui ne permet pas à un témoin visé par des mesures d’enquête, telles qu’une perquisition, une saisie et une audition, d’introduire un recours afin de contester les motifs de fond à l’origine de ces mesures d’enquête, ou d’obtenir réparation. Dans ces circonstances, nous considérons également que cette disposition, lue à la lumière des droits fondamentaux, s’oppose à ce qu’une autorité nationale émette une décision d’enquête européenne.

10. Deuxièmement, nous sommes d’avis que, en l’absence de voies de recours prévues par le droit national dans le cadre des procédures nationales similaires, l’article 14 de la directive 2014/41 ne peut être invoqué par un particulier devant une juridiction nationale afin de contester les motifs de fond à l’origine de l’émission d’une décision d’enquête européenne.

11. Troisièmement, nous pensons que la notion de « personne concernée » au sens de la directive 2014/41 inclut, d’une part, un témoin concerné par des mesures d’enquête demandées dans une décision d’enquête européenne, dès lors que le domicile de celui-ci ferait l’objet d’une perquisition et d’une saisie et que ce témoin ferait l’objet d’une audition, et, d’autre part, la personne visée par une accusation pénale, lorsque la mesure de collecte de preuves décidée dans la procédure dont elle est l’objet vise un tiers.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

12. L’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (5) est rédigé de la manière suivante :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. »

13. Conformément à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, « [l]e respect des droits de la défense est garanti à tout accusé ».

14. L’article 52, paragraphe 3, de la Charte prévoit ce qui suit :

« Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [c]onvention [...] de sauvegarde des droits de l’[h]omme et des libertés fondamentales[ (6)], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. »

2. La directive 2014/41

15. Les considérants 2, 11, 12, 18, 19, 22 et 39 de la directive 2014/41 précisent :

« (2) En vertu de l’article 82, paragraphe 1, [TFUE], la coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union doit être fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, communément considéré comme la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union depuis le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999.

[...]

(11) Une décision d’enquête européenne devrait être choisie lorsque l’exécution d’une mesure d’enquête semble proportionnée, adéquate et applicable au cas en question. L’autorité d’émission devrait par conséquent vérifier si la preuve recherchée est nécessaire et proportionnée aux fins de la procédure, si la mesure d’enquête choisie est nécessaire et proportionnée aux fins de l’obtention de la preuve concernée, et si une décision d’enquête européenne devrait être émise aux fins d’associer un autre État membre à l’obtention de cette preuve. [...]

(12) Lorsqu’elle émet une décision d’enquête européenne, l’autorité d’émission devrait accorder une attention particulière au plein respect des droits consacrés par l’article 48 de la [Charte]. La présomption d’innocence et les droits de la défense dans une procédure pénale sont des pierres angulaires des droits fondamentaux reconnus par la [C]harte dans le domaine de la justice pénale. Toute limitation de l’exercice de ces droits par une mesure d’enquête ordonnée conformément à la présente directive devrait pleinement respecter les exigences établies à l’article 52 de la [C]harte en ce qui concerne son caractère nécessaire et proportionné et les objectifs auxquels elle devrait répondre, notamment le besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

[...]

(18) Comme dans d’autres instruments de reconnaissance mutuelle, la présente directive n’a pas pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits et principes juridiques fondamentaux consacrés par l’article 6 [TUE] et par la [C]harte. Afin de bien préciser ce point, une disposition spécifique est insérée dans le texte.

(19) La création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union est fondée sur la confiance mutuelle et la présomption que les autres États membres respectent le droit de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux. Cette présomption est toutefois réfragable. Par conséquent, s’il existe des motifs sérieux de croire que l’exécution d’une mesure d’enquête indiquée dans la décision d’enquête européenne porterait atteinte à un droit fondamental de la personne concernée et que l’État d’exécution méconnaîtrait ses obligations concernant la protection des droits fondamentaux reconnus dans la [C]harte, l’exécution de la décision d’enquête européenne devrait être refusée.

[...]

(22) Les voies de recours permettant de contester une décision d’enquête européenne devraient être au moins égales à celles qui sont prévues dans le cadre d’une procédure nationale à l’encontre de la mesure d’enquête concernée. Conformément à leur droit national, les États membres devraient veiller à ce que ces voies de recours soient applicables, notamment en informant en temps utile toute partie intéressée des possibilités de recours. Dans les cas où des objections à l’encontre de la décision d’enquête européenne sont soulevées par une partie intéressée dans l’État...

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