Conclusiones del Abogado General Sr. M. Szpunar, presentadas el 30 de abril de 2020.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62020CC0036
ECLIECLI:EU:C:2020:331
Date30 April 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 30 avril 2020 (1)

Affaire C36/20 PPU

Procédure pénale

contre

VL

en présence de

Ministerio Fiscal

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de Instrucción nº 3 de San Bartolomé de Tirajana (tribunal d’instruction nº 3 de San Bartolomé de Tirajana, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédure d’octroi de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 6 – Accès à la procédure – Autres autorités susceptibles de recevoir des demandes de protection internationale mais n’étant pas compétentes pour les enregistrer – Notion d’“autres autorités” – Normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale – Directive 2013/33/UE – Article 8 – Placement en rétention du demandeur – Principe de non‑refoulement »






I. Introduction

1. « L’humanisme est certes nécessaire à la sauvegarde des droits des réfugiés. Il traduit le souci d’autrui, du vivre en commun [...]. Mais l’humanisme n’est pas suffisant. Il ne traduit que la face positive de la réponse à l’inhumain, dont la face négative n’est que trop prompte à se révéler derrière les masques, lorsque la civilité cède devant la nécessité. Les droits sont la face positive des obligations. Ces engagements reposent sur des socles d’airain. Il est toujours possible de les abolir, mais il y faut une décision collective » (2).

2. C’est dans cet esprit que j’analyserai cette demande de décision préjudicielle.

3. Les questions posées par le Juzgado de Instrucción n° 3 de San Bartolomé de Tirajana (tribunal d’instruction nº 3 de San Bartolomé de Tirajana, Espagne) portent, en substance, sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 26 de la directive 2013/32/UE (3) ainsi que de l’article 17, paragraphes 1 et 2, et de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2013/33/UE (4).

4. La présente affaire s’inscrit dans le contexte d’une décision de refoulement prise, notamment, contre un ressortissant de nationalité malienne qui a présenté une demande de protection internationale auprès de la juridiction de renvoi après que l’embarcation dans laquelle il se trouvait a été interceptée par les autorités d’un État membre près de ses côtes.

5. Le présent renvoi préjudiciel conduira la Cour à se pencher, tout d’abord, pour la première fois, sur la question de savoir si une autorité judiciaire, telle qu’un juge d’instruction, compétente en vertu du droit national pour se prononcer sur le placement de ressortissants d’un État tiers dans un centre de rétention, peut être considérée comme une « autre autorité » susceptible de recevoir des demandes de protection internationale au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2013/32. Si une réponse affirmative est donnée à cette question, la Cour sera, ensuite, amenée à déterminer si cette autorité doit fournir au demandeur de la protection internationale les informations pertinentes lui permettant de connaitre les modalités d’introduction de la demande. Enfin, la Cour aura l’occasion de se prononcer sur le moment auquel les personnes concernées acquièrent le statut de demandeur de la protection internationale et sur les conséquences à tirer de l’acquisition de ce statut sur les conditions de placement en rétention.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

6. La convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 (5), à laquelle tous les États membres sont parties contractantes (6), est entrée en vigueur le 22 avril 1954 (ci-après la « convention de Genève ») et a été complétée et amendée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, lui-même entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci-après le « Protocole »).

7. Le préambule de cette convention prend acte de ce que le Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a pour tâche de surveiller l’application des conventions internationales qui assurent la protection des réfugiés. Son article 35 prévoit que les États « s’engagent à coopérer avec le HCR [...] dans l’exercice de ses fonctions et en particulier à faciliter sa tâche de surveillance de l’application des dispositions de cette convention ».

8. L’article 1er, section A, de ladite convention définit le terme « réfugié » en se référant notamment à toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

9. Aux termes de l’article 3 de la même convention, « [l]es États Contractants appliqueront les dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ».

10. Selon l’article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève, « [a]ucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politique ».

B. Le droit de l’Union

1. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

11. Aux termes de l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), intitulé « Droit d’asile »:

« Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la [convention de Genève] et du [Protocole] et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après dénommés “les traités”). »

12. Sous l’intitulé « Protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition », l’article 19 de la Charte dispose :

« 1. Les expulsions collectives sont interdites.

2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

2. La directive 2013/32

13. L’article 4 de la directive 2013/32, intitulé « Autorités responsables », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. Les États membres veillent à ce que cette autorité dispose des moyens appropriés, y compris un personnel compétent en nombre suffisant, pour accomplir ses tâches conformément à la présente directive. »

14. L’article 6 de cette directive, intitulé « Accès à la procédure », énonce :

« 1. Lorsqu’une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l’enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande.

Si la demande de protection internationale est présentée à d’autres autorités qui sont susceptibles de recevoir de telles demandes, mais qui ne sont pas, en vertu du droit national, compétentes pour les enregistrer, les États membres veillent à ce que l’enregistrement ait lieu au plus tard six jours ouvrables après la présentation de la demande.

Les États membres veillent à ce que ces autres autorités qui sont susceptibles de recevoir des demandes de protection internationale, par exemple les services de police, des gardes-frontières, les autorités chargées de l’immigration et les agents des centres de rétention, disposent des informations pertinentes et à ce que leur personnel reçoive le niveau de formation nécessaire à l’accomplissement de leurs tâches et responsabilités, ainsi que des instructions, pour qu’ils puissent fournir aux demandeurs des informations permettant de savoir où et comment la demande de protection internationale peut être introduite.

2. Les États membres veillent à ce que les personnes qui ont présenté une demande de protection internationale aient la possibilité concrète de l’introduire dans les meilleurs délais. Si les demandeurs n’introduisent pas leur demande, les États membres peuvent appliquer l’article 28 en conséquence.

3. Sans préjudice du paragraphe 2, les États membres peuvent exiger que les demandes de protection internationale soient introduites en personne et/ou en un lieu désigné.

4. Nonobstant le paragraphe 3, une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire est présenté par le demandeur ou, si le droit national le prévoit, un rapport officiel est parvenu aux autorités compétentes de l’État membre concerné.

5. Lorsque, en raison du nombre élevé de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides qui demandent simultanément une protection internationale, il est dans la pratique très difficile de respecter le délai prévu au paragraphe 1, les États membres peuvent prévoir de porter ce délai à dix jours ouvrables. »

15. L’article 8 de ladite directive, intitulé « Information et conseil dans les centres de rétention et aux points de passage frontaliers », prévoit :

« 1. S’il existe des éléments donnant à penser que des ressortissants de pays tiers ou des apatrides placés en rétention dans des centres de rétention ou présents à des points de passage frontaliers, y compris les zones de transit aux frontières extérieures, peuvent souhaiter présenter une demande de protection internationale, les États membres leur fournissent des informations sur la possibilité de le faire. Dans ces centres de rétention et points de passage, les États membres prennent des dispositions...

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