Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 9 décembre 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:1009
Date09 December 2020
Celex Number62020CC0414
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 9 décembre 2020 (1)

Affaire C414/20 PPU

MM

Procédure pénale

en présence de

Spetsializirana prokuratura

[demande de décision préjudicielle formée par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 6, paragraphe 1, et article 8, paragraphe 1, sous c) – Procédures de remise entre États membres – Mandat d’arrêt européen émis sur la base d’un acte national de mise en examen – Notion de “mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force” – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Protection juridictionnelle effective »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (2), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (3), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale à l’occasion de laquelle est mise en cause la validité du mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de MM à l’appui d’une demande de réexamen de la mesure de détention provisoire dont il a fait l’objet.

3. Les questions posées par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie) sont relatives, en substance, à la notion de « mandat d’arrêt national » en tant que fondement légal d’un mandat d’arrêt européen ainsi qu’aux modalités et à la portée de la protection juridictionnelle effective qui doit être garantie, dans l’État membre d’émission, à une personne ayant fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen, après que la remise de cette personne a été effectuée.

II. Le cadre juridique

A. La décision-cadre 2002/584

4. L’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la décision-cadre 2002/584 dispose :

« 1. Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

[...]

3. La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

5. L’article 6, paragraphes 1 et 3, de la décision-cadre 2002/584 prévoit :

« 1. L’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.

[...]

3. Chaque État membre informe le secrétariat général du Conseil de l’autorité judiciaire compétente selon son droit interne. »

6. L’article 8 de cette décision-cadre, intitulé « Contenu et forme du mandat d’arrêt européen », dispose, à son paragraphe 1, sous c) :

« Le mandat d’arrêt européen contient les informations suivantes, présentées conformément au formulaire figurant en annexe :

[...]

c) l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2. »

7. Ladite décision-cadre prévoit, en annexe, un formulaire spécifique que les autorités judiciaires d’émission doivent remplir en indiquant les informations spécifiquement requises (4). Le point b), 1, de ce formulaire fait référence à la décision sur laquelle se fonde le mandat d’arrêt, à savoir un « [m]andat d’arrêt ou [une] décision judiciaire ayant la même force ».

B. Le droit bulgare

8. La décision-cadre 2002/584 a été transposée en droit bulgare par le zakon za ekstraditsiata i evropeiskata zapoved za arest (loi relative à l’extradition et au mandat d’arrêt européen, ci-après le « ZEEZA ») (5), dont l’article 37 énonce les dispositions relatives à la délivrance d’un mandat d’arrêt européen dans des termes presque identiques à ceux de l’article 8 de cette décision-cadre.

9. En vertu de l’article 56, paragraphe 1, point 1, du ZEEZA, le procureur est compétent, dans la phase préalable au procès, pour émettre un mandat d’arrêt européen à l’encontre de la personne poursuivie. Durant cette phase de la procédure pénale, la législation bulgare ne prévoit pas la possibilité pour une juridiction de participer à l’émission du mandat d’arrêt européen, ni avant ni après la délivrance de celui-ci (6). En particulier, cette législation ne paraît pas offrir de possibilité d’introduire un recours devant une juridiction contre la décision prise par le procureur d’émettre un mandat d’arrêt européen. En vertu de l’article 200 du nakazatelno protsesualen kodeks (code de procédure pénale, ci-après le « NPK »), lu en combinaison avec l’article 66 du ZEEZA, le mandat d’arrêt européen n’est susceptible de recours que devant l’instance supérieure du parquet.

10. Le mandat d’amener, qui vise à conduire une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction devant les organes d’enquête de la police, est régi par l’article 71 du NPK. Ce mandat d’amener n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours devant une juridiction. Il ne peut faire l’objet d’un recours que devant le procureur.

11. La mise en examen d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction est régie notamment par l’article 219 du NPK.

12. L’article 219, paragraphe 1, du NPK énonce que, « [l]orsque sont réunis suffisamment d’éléments de preuve de la culpabilité d’une personne déterminée [...], l’organe d’enquête fait un rapport au procureur et met la personne en examen en établissant un arrêté à cet effet ». Il s’agit d’un acte émis par l’organe d’enquête sous le contrôle du procureur. Cet arrêté vise à notifier à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction sa mise en examen et à lui donner la possibilité de se défendre (article 219, paragraphes 4 à 8, et article 221 du NPK) (7). Ledit arrêté n’a pas pour effet juridique le placement en détention de la personne poursuivie. À cette fin, il est possible de prononcer d’autres catégories de décisions : la décision de présentation devant la juridiction compétente au titre de l’article 64, paragraphe 2, du NPK et le mandat d’amener devant les organes d’enquête de la police au titre de l’article 71 du NPK.

13. L’arrêté de mise en examen de l’organe d’enquête n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours devant une juridiction. Il ne peut faire l’objet d’un recours que devant le procureur. L’article 200 du NPK dispose en effet que « [l]’arrêté de l’organe d’enquête fait l’objet d’un recours devant le procureur. La décision du procureur, qui n’est pas soumise au contrôle judiciaire, fait l’objet d’un recours devant le parquet de l’instance supérieure dont la décision est définitive ».

14. Le placement en détention provisoire d’une personne faisant l’objet de poursuites pénales est régi, lors de la phase préalable au procès pénal, par l’article 64 du NPK.

15. En vertu de l’article 64, paragraphe 1, du NPK, « [l]a mesure de placement en détention provisoire est adoptée pendant la procédure préliminaire par le tribunal de première instance compétent à la demande du procureur ».

16. En vue d’introduire une telle demande, le procureur doit apprécier si les conditions requises par l’article 63, paragraphe 1, du NPK (8) sont réunies pour réclamer à ce tribunal qu’il impose à la personne poursuivie, après sa mise en examen, la mesure la plus sévère de placement en détention provisoire dans le cadre de la procédure préliminaire.

17. Conformément à l’article 64, paragraphe 2, du NPK, le procureur peut adopter une mesure ordonnant la détention de la personne poursuivie pour une durée maximale de 72 heures en vue de permettre la comparution de cette personne devant la juridiction qui est compétente pour adopter, le cas échéant, une mesure de détention provisoire.

18. L’article 64, paragraphe 3, du NPK dispose que « le tribunal examine immédiatement l’affaire [...] avec la participation de la personne poursuivie » (9).

19. Conformément à l’article 64, paragraphe 4, du NPK, le tribunal est l’autorité compétente pour examiner la demande de mise en détention provisoire et apprécier s’il y a lieu d’imposer cette mesure, de choisir d’imposer une mesure plus légère ou de refuser de manière générale d’imposer une mesure procédurale contraignante à l’encontre de la personne poursuivie.

20. Aux termes de l’article 270 du NPK, intitulé « Décisions sur la mesure coercitive et les autres mesures de contrôle judiciaire durant la procédure contentieuse » :

« 1. La question de la commutation de la mesure coercitive peut être évoquée à tout moment de la procédure contentieuse. En cas de changement de circonstances, une nouvelle demande relative à la mesure coercitive peut être introduite devant la juridiction compétente.

2. Le tribunal se prononce par ordonnance en audience publique.

[...]

4. L’ordonnance visée aux paragraphes 2 et 3 peut faire l’objet d’un appel [...] »

III. Le litige au principal et les questions préjudicielles

21. Une procédure pénale a été engagée en Bulgarie contre quarante‑et-une personnes poursuivies pour avoir participé à une organisation criminelle de trafic de stupéfiants. Seize de ces personnes, dont MM, ont pris la fuite.

22. Par arrêté du 8 août 2019, constituant un mandat d’amener émis conformément à l’article 71 du NPK (10), l’organe d’enquête a lancé un avis de recherche à l’encontre de MM afin qu’il soit amené d’office auprès des services...

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