Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 3 mars 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:164
Celex Number62019CC0741
Date03 March 2021
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 3 mars 2021 (1)

Affaire C741/19

République de Moldavie

contre

Société Komstroy, venant aux droits de la société Energoalians

[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Paris (France)]

« Renvoi préjudiciel – Traité sur la Charte de l’énergie – Notion d’“investissement” – Différends entre un investisseur et une partie contractante – Situation purement externe à l’ordre juridique de l’Union – Compétence de la Cour »






I. Introduction

1. Les dispositions du traité sur la Charte de l’énergie (2) (ci‑après le « TCE ») n’ont, depuis sa signature par l’Union européenne il y a près de 30 ans, fait l’objet de questions préjudicielles qu’à deux reprises, en ce compris la présente affaire (3). Cette affaire présente donc un caractère singulier, tout d’abord, en offrant à la Cour une opportunité bienvenue de se prononcer sur le sens de dispositions n’ayant, à ce jour, pas été interprétées.

2. Ensuite, le litige dans le cadre duquel s’inscrivent les présentes questions préjudicielles n’implique ni l’Union ni les États membres : il oppose la République de Moldavie à une société ukrainienne et semble donc, à première vue, étranger à l’Union.

3. Enfin, la présente affaire devrait, selon mon analyse, conduire la Cour à se prononcer sur une problématique d’importance, à savoir la compatibilité du mécanisme de règlement des différends institué par le TCE avec le droit de l’Union, dans le sillage tracé par la Cour dans l’arrêt Achmea (4).

II. Le cadre juridique

A. Le TCE

4. Le TCE a été signé par l’Union le 17 décembre 1994, et approuvé au nom de l’Union par la décision 98/181. Les États membres sont également tous, à l’exception de la République italienne, parties au TCE, de même que 28 pays tiers.

5. Selon le préambule du TCE :

« Les parties contractantes au présent traité,

[...]

considérant la Charte européenne de l’énergie adoptée par le moyen du document de clôture de la Conférence de La Haye sur la Charte européenne de l’énergie, signé à La Haye le 17 décembre 1991 ;

[...]

souhaitant mettre en œuvre le concept de base de l’initiative de la Charte européenne de l’énergie, qui est de catalyser la croissance économique par des mesures destinées à libéraliser les investissements et les échanges en matière d’énergie ;

[...] »

6. Le TCE se compose d’un préambule et de huit parties. Les parties I, II, III et V sont intitulées, respectivement, « Définitions et objet », « Commerce », « Promotion et protection des investissements » et « Règlement des différends ».

7. L’article 1er du TCE, intitulé « Définitions », prévoit :

« Tels qu’ils sont employés dans le présent traité, les termes qui suivent ont la signification indiquée ci‑après :

[...]

6) “Investissement” désigne tout type d’avoir détenu ou contrôlé directement ou indirectement par un investisseur et comprenant :

[...]

c) les créances liquides ou les droits à prestations au titre d’un contrat à valeur économique et associé à un investissement ;

[...]

f) tout droit conféré [...] par contrat [...] pour l’exercice d’une activité économique dans le secteur de l’énergie.

[...]

Le terme “investissement” vise tout investissement associé à une activité économique dans le secteur de l’énergie et tout investissement ou toute catégorie d’investissements réalisés dans sa zone par une partie contractante, désignés par elle comme des “projets d’efficacité de la Charte [européenne de l’énergie]”, et notifiées en tant que tels au Secrétariat.

7) “Investisseur” désigne :

a) en ce qui concerne une partie contractante :

i) toute personne physique jouissant de la citoyenneté ou de la nationalité de cette partie contractante, ou résidant en permanence sur son territoire conformément à sa législation applicable ;

ii) toute entreprise ou autre organisation organisée conformément à la législation applicable sur le territoire de cette partie contractante ;

b) en ce qui concerne un “État tiers”, toute personne physique, entreprise ou organisation qui remplit, mutatis mutandis, les conditions énoncées au point a) pour une partie contractante.

8) “Investir” ou “réaliser des investissements” désigne le fait de réaliser de nouveaux investissements, en acquérant tout ou partie des investissements existants ou en se tournant vers d’autres domaines d’activités d’investissement.

[...]

10) “Zone” désigne, par rapport à un État qui est partie contractante :

a) le territoire qui relève de sa souveraineté, étant entendu que ce territoire inclut les terres, les eaux intérieures et les eaux territoriales

et

b) sous réserve du droit international de la mer et en conformité avec celui‑ci : la mer, les fonds marins et leur sous-sol sur lesquels cette partie contractante exerce des droits souverains et sa juridiction.

En ce qui concerne les organisations d’intégration économique régionale qui sont parties contractantes, on entend par “zone” la zone des États membres de cette organisation conformément aux dispositions contenues dans l’acte constitutif de cette organisation.

[...] »

8. L’article 26 du TCE, intitulé « Règlement des différends entre un investisseur et une partie contractante », énonce :

« 1. Les différends qui opposent une partie contractante et un investisseur d’une autre partie contractante au sujet d’un investissement réalisé par ce dernier dans la zone de la première et qui portent sur un manquement allégué à une obligation de la première partie contractante au titre de la partie III sont, dans la mesure du possible, réglés à l’amiable.

2. Si un différend de ce type n’a pu être réglé conformément aux dispositions du paragraphe 1 dans un délai de trois mois à compter du moment où l’une des parties au différend a sollicité un règlement à l’amiable, l’investisseur partie au différend peut choisir de le soumettre, en vue de son règlement :

a) aux juridictions judiciaires ou administratives de la partie contractante qui est partie au différend ;

ou

b) conformément à toute procédure de règlement des différends applicable préalablement convenue ;

ou

c) conformément aux paragraphes suivants du présent article.

[...]

6. Un tribunal constitué selon les dispositions du paragraphe 4 statue sur les questions litigieuses conformément au présent traité et aux règles et principes applicables de droit international.

[...] »

B. Le droit français

9. Selon l’article 1520 du code de procédure civile français, le recours en annulation à l’encontre d’une sentence arbitrale rendue en France n’est ouvert que, notamment, si le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.

III. Les faits à l’origine du litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

10. En exécution de deux contrats conclus les 1er et 24 février 1999, la société Ukrenergo, producteur d’électricité ukrainien, vendait de l’électricité à la société Energoalians, distributeur d’électricité ukrainien, qui la revendait ensuite à Derimen Properties Limited (ci‑après « Derimen »), société immatriculée aux Îles Vierges britanniques, laquelle la revendait à son tour à la société Moldtranselectro, entreprise publique moldave. Les volumes d’électricité à fournir étaient définis chaque mois directement entre Moldtranselectro et Ukrenergo, qui fournissait cette électricité dans les conditions « DAF Incoterms 1990 », c’est-à-dire jusqu’à la frontière entre l’Ukraine et la Moldavie, côté Ukraine.

11. L’électricité a été fournie au cours des années 1999 et 2000, sauf de mai à juillet 1999. Pour chaque mois de fourniture, Energoalians devait être payée par Derimen, qui elle‑même devait percevoir le paiement de Moldtranselectro. Les prix applicables aux paiements étaient fixés par des avenants au contrat du 24 février 1999, aux termes desquels le prix payé à Derimen par Moldtranselectro était environ deux fois supérieur à celui payé à Energoalians par Derimen.

12. Derimen a payé à Energoalians le prix de toute l’électricité achetée, alors que Moldtranselectro n’a réglé que partiellement Derimen.

13. Par un contrat du 30 mai 2000, Derimen a cédé à Energoalians la créance qu’elle détenait à l’égard de Moldtranselectro.

14. Moldtranselectro a partiellement réglé sa dette en cédant à Energoalians plusieurs créances qu’elle détenait. Energoalians a alors tenté, en vain, d’obtenir le paiement du restant de sa créance en saisissant les juridictions moldaves puis ukrainiennes.

15. Estimant que certains agissements de la République de Moldavie constituaient des violations caractérisées des engagements pris au titre du TCE, Energoalians a engagé la procédure d’arbitrage prévue à l’article 26 de ce traité.

16. Par une sentence rendue à Paris le 25 octobre 2013 à la majorité, le tribunal arbitral ad hoc s’est reconnu compétent et, estimant que la République de Moldavie avait méconnu ses engagements découlant du TCE, l’a condamnée à payer une certaine somme à Energoalians sur le fondement de ce traité. Le président du tribunal arbitral ad hoc a, quant à lui, exprimé une opinion dissidente quant à la compétence du tribunal arbitral.

17. La République de Moldavie a formé un recours en annulation de cette sentence, invoquant une violation d’une disposition d’ordre public, à savoir celle concernant la compétence du tribunal arbitral ad hoc, conformément à l’article 1520 du code de procédure civile français.

18. Par arrêt du 12 avril 2016, la cour d’appel de Paris (France) a annulé la sentence au motif que le tribunal arbitral s’était déclaré à tort compétent. Elle a jugé que le différend entre Energoalians et la République de Moldavie portait sur une créance, cédée par Derimen, ayant pour seul objet la vente d’électricité. Or, en l’absence de tout apport, une telle créance ne pouvait, selon elle, être considérée comme étant un investissement au sens du TCE et, par conséquent, ne pouvait fonder la compétence du tribunal arbitral.

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