Conclusiones del Abogado General Sr. M. Szpunar, presentadas el 7 de abril de 2022.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:286
Date07 April 2022
Celex Number62021CC0163
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 7 avril 2022 (1)

Affaire C163/21

AD e.a.

contre

PACCAR Inc,

DAF TRUCKS NV,

DAF Trucks Deutschland GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil nº 7 de Barcelona (tribunal de commerce nº 7 de Barcelone, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne – Arrangements collusoires sur la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts des camions dans l’Espace économique européen – Création ex novo des preuves pertinentes permettant de quantifier l’augmentation artificielle des prix et les dommages subis »






I. Introduction

1. La directive 2014/104/UE (2) vise à harmoniser, notamment, les règles en matière de production de preuves dans le contexte de la mise en œuvre, à l’initiative de la sphère privée (« private enforcement »), des règles de concurrence de l’Union européenne. Dans ce contexte, la capacité des parties à des procédures relatives à une action en dommages et intérêts d’exercer effectivement leurs droits peut dépendre de la possibilité d’accéder à des éléments de preuve pertinents. Or, il arrive que la partie qui supporte la charge de la preuve ne soit pas en possession de ces éléments ou n’y ait pas facilement accès (3).

2. Il peut s’avérer également que la partie adverse ne soit pas non plus en possession des éléments de preuve pertinents en raison du fait que de tels éléments n’étaient pas préexistants. Pour pouvoir satisfaire une demande de production de tels éléments de preuve, cette partie devrait les créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession.

3. C’est dans ce contexte que s’inscrit le présent renvoi préjudiciel, qui offre l’occasion à la Cour de clarifier le point de savoir si, à la lumière de la directive 2014/104, une partie à la procédure peut demander à ce qu’il soit enjoint à la partie adverse de produire des éléments de preuve que celle-ci doit créer ex novo.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 prévoit ce qui suit :

« Les États membres veillent à ce que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l’Union à la requête d’un demandeur qui a présenté une justification motivée contenant des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d’enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession, sous réserve des conditions énoncées au présent chapitre. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes.

[...] »

B. Le droit espagnol

5. La directive 2014/104 a été transposée en droit espagnol par le Real Decreto-ley 9/2017, por el que se transponen directivas de la Unión Europea en los ámbitos financiero, mercantil y sanitario, y sobre el desplazamiento de trabajadores (décret-loi royal 9/2017, portant transposition de directives de l’Union européenne dans les domaines financier, du commerce et sanitaire ainsi que sur le déplacement des travailleurs), du 26 mai 2017 (BOE nº 126, du 27 mai 2017).

III. Les faits et la procédure au principal

6. Le 19 juillet 2016, la Commission européenne a adopté la décision C(2016) 4673 final relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (Affaire AT.39824 – Camions) (JO 2017, C 108, p. 6, ci-après la « décision du 19 juillet 2016 »). Les défenderesses au principal, les sociétés PACCAR Inc, DAF TRUCKS NV et DAF Trucks Deutschland GmbH figuraient parmi les destinataires de cette décision.

7. Par cette décision, la Commission a déclaré l’existence d’une entente à laquelle ont participé quinze constructeurs internationaux de camions, en ce qui concerne deux catégories de produits, à savoir les camions pesant entre 6 et 16 tonnes et ceux pesant plus de 16 tonnes, qu’il s’agisse de porteurs ou de tracteurs.

8. Sans que la juridiction de renvoi le précise, il résulte de la décision du 19 juillet 2016 que, s’agissant des défenderesses au principal, l’infraction à l’article 101 TFUE a été établie pour la période allant du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011.

9. Le 25 mars 2019, les demanderesses au principal, AD e.a., ayant acheté des camions susceptibles de relever du champ d’application de l’infraction faisant l’objet de la décision du 19 juillet 2016, ont demandé, en vertu de l’article 283 bis de la Ley de Enjuiciamiento Civil (code de procédure civile), l’accès aux éléments de preuve détenus par les défenderesses au principal. À cet égard, elles ont fait valoir le besoin d’obtenir certains moyens de preuve afin de quantifier l’augmentation artificielle des prix, notamment pour effectuer la comparaison des prix recommandés avant, pendant et après la période de l’entente. Leur demande porte plus précisément sur l’accès, premièrement, à la liste des modèles fabriqués au cours de la période allant du 1er janvier 1990 au 30 juin 2018, classés par année et selon certaines caractéristiques, deuxièmement, au prix départ-usine (prix bruts) pour chaque modèle figurant sur cette liste et, troisièmement, au « total delivery cost » pour ces modèles.

10. Les défenderesses au principal ont contesté cette demande en faisant valoir, notamment, que certains des documents demandés requéraient une élaboration ad hoc.

11. Entendues sur l’opportunité de saisir la Cour d’une question préjudicielle, les défenderesses au principal ont indiqué que les demandes de production visées à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 ne peuvent pas être étendues aux preuves non préexistantes. En conséquence, l’élaboration de preuves ne saurait être demandée en vertu de cette disposition, eu égard au fait que, conformément aux principes de nécessité, de proportionnalité et de moindre coût, cela pourrait faire peser sur la partie défenderesse une charge excessive, allant au-delà de celle que peut supposer la simple production de documents. Les demanderesses au principal, quant à elles, défendent une interprétation contraire de cette disposition.

IV. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

12. C’est dans ces circonstances que le Juzgado de lo Mercantil nº 7 de Barcelona (tribunal de commerce no 7 de Barcelone, Espagne), par décision du 21 février 2020, parvenue à la Cour le 11 mars 2021, a décidé de surseoir à statuer et de soumettre la question suivante à l’appréciation de la Cour :

« L’article 5, paragraphe 1, de la [directive 2014/104] doit-il être interprété en ce sens que la production de preuves pertinentes se réfère uniquement aux documents en possession de la partie défenderesse ou d’un tiers qui existent déjà ou, au contraire, cette disposition inclut-elle également la possibilité de production de documents que la partie à laquelle la demande d’informations est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession ? »

13. Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal, par les gouvernements espagnol et néerlandais ainsi que par la Commission. Il n’a pas été tenu d’audience.

V. Analyse

14. Par sa question préjudicielle unique, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la production de preuves pertinentes se réfère uniquement aux documents en possession de la partie défenderesse ou d’un tiers qui existent déjà ou si, au contraire, cette disposition inclut également la possibilité de production de documents que la partie à laquelle la demande d’informations est adressée devrait créer ex novo, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession.

15. Avant de procéder à l’examen de cette question, il convient d’examiner, tout d’abord, la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle et, ensuite, l’applicabilité de la directive 2014/104 à la procédure au principal.

A. Sur la recevabilité

16. Les demanderesses au principal considèrent que la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme étant irrecevable. En effet, selon elles, cette demande concerne le cas de figure hypothétique où l’auteur de l’infraction doit procéder à l’élaboration de documents ex novo. Or, en l’espèce, une telle élaboration ne serait pas nécessaire pour satisfaire la demande de production de preuves en cause au principal.

17. Sans remettre en question la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle, les défenderesses au principal indiquent que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE (4) permet d’ordonner la production de preuves qui se trouvent sous le contrôle de la partie adverse. Elles rappellent que, selon la Commission, cette disposition pourrait faire obligation à une partie d’effectuer une recherche des éléments de preuve au sein de son organisation, y compris auprès des entités juridiques distinctes qui sont sous son contrôle (5). Selon les défenderesses au principal, il en va de même en ce qui concerne la directive 2014/104. Toutefois, elles font valoir que, pour satisfaire leur demande introduite devant la juridiction de renvoi, elles devraient non pas créer une preuve documentaire qui n’existe pas, mais créer des informations ex novo.

18. Il me faut observer, en ce qui concerne ces deux arguments, qu’il est vrai que la juridiction de renvoi se borne à déclarer que la demande de production des preuves en...

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