Conclusiones del Abogado General Sr. J. Richard de la Tour, presentadas el 14 de julio de 2022.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2022:573
Date14 July 2022
Celex Number62021CC0158
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 14 juillet 2022 (1)

Affaire C158/21

Ministerio Fiscal,

Abogacía del Estado,

Partido político VOX

contre

Lluís Puig Gordi,

Carles Puigdemont Casamajó,

Antoni Comín Oliveres,

Clara Ponsatí Obiols,

Meritxell Serret Aleu,

Marta Rovira Vergés,

Anna Gabriel Sabaté

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision‑cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Article 6, paragraphe 1 – Procédures de remise entre États membres – Conditions d’exécution – Compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour émettre un mandat d’arrêt européen – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47, deuxième alinéa – Droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi – Examen en deux étapes – Obligation de l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier, lors de la première étape, l’existence d’un risque réel de violation de ce droit fondamental, en raison de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission – Possibilité d’émettre un nouveau mandat d’arrêt européen visant la même personne et devant être exécuté dans le même État membre »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de plusieurs dispositions de la décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (2), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (3).

2. La juridiction de renvoi pose à la Cour une série de questions visant, pour l’essentiel, à déterminer si une autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en raison de l’incompétence alléguée de l’autorité judiciaire d’émission pour délivrer ce mandat ainsi que de la juridiction appelée à juger la personne poursuivie, et si la décision‑cadre 2002/584 s’oppose à l’émission d’un nouveau mandat d’arrêt européen après que l’exécution d’un premier mandat d’arrêt européen a été refusée.

3. Ces questions sont soulevées dans le cadre de poursuites diligentées contre d’anciens dirigeants catalans après la tenue, le 1er octobre 2017, d’un référendum d’autodétermination de la communauté autonome de Catalogne (Espagne). Certains des prévenus, ayant quitté l’Espagne à partir de la fin de l’année 2017, ont fait l’objet de mandats d’arrêt européens. L’absence d’exécution de ces derniers résulte à la fois de l’élection au Parlement européen de certains de ces prévenus et de l’existence de controverses quant à la procédure pénale en cause. Ces controverses portent, en ce qui concerne l’affaire sous examen, sur les règles déterminant la compétence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) pour juger les prévenus, lesquelles reposent notamment sur le lieu de commission des infractions ainsi que sur la connexité des infractions reprochées aux prévenus.

4. La présente demande de décision préjudicielle trouve, plus précisément, son origine dans le refus opposé par les juridictions belges de donner suite au mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de M. Lluís Puig Gordi. La juridiction d’appel qui s’est prononcée de manière définitive a fondé ce refus sur l’existence d’un risque de violation du droit à être jugé par un tribunal établi par la loi, tiré de l’appréciation selon laquelle la compétence du Tribunal Supremo (Cour suprême) pour juger M. Puig Gordi ne reposait pas sur une base juridique expresse. Elle a, en outre, précisé que le risque de violation de la présomption d’innocence devait également être pris très au sérieux. Bien que ledit refus ne concerne directement que M. Puig Gordi, la demande de la juridiction de renvoi est présentée par celle-ci comme visant à déterminer les décisions devant être prises à l’égard de l’ensemble des prévenus.

5. La problématique qui est soumise à la Cour invite, comme souvent, cette dernière à trouver le juste équilibre entre l’efficacité du système de remise entre États membres mis en place par la décision‑cadre 2002/584 et le respect des droits fondamentaux des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen.

6. Dans son arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (4), la Cour a défini la méthode qui doit être suivie par l’autorité judiciaire d’exécution devant laquelle la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen invoque l’existence d’un risque de traitement inhumain ou dégradant, prohibé par l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (5), en raison des conditions de détention dans l’État membre d’émission. Cette méthode réside, en substance, dans l’accomplissement par cette autorité de deux étapes dans son contrôle, à savoir, dans une première étape, le constat qu’il existe un risque réel de violation du droit fondamental en cause en raison de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit certains centres de détention, dans l’État membre d’émission et, dans une seconde étape, le constat qu’il existe un risque concret et individualisé de violation de ce droit pour la personne concernée.

7. Dans son arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (6), la Cour a étendu cette méthode d’un examen en deux étapes à l’hypothèse d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Elle a confirmé cette jurisprudence dans son arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (7), puis dans son arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (8).

8. Dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts était alléguée, dans le cadre de la première étape, l’existence de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission.

9. L’enjeu principal de la présente affaire consiste à déterminer si, lorsque de telles défaillances affectant le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission ne sont pas invoquées, l’autorité judiciaire d’exécution peut, malgré tout, refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en se fondant sur l’existence d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, dans cet État membre.

10. Ainsi, s’agissant de ce droit fondamental, les deux étapes du contrôle devant être mené par l’autorité judiciaire d’exécution sont-elles cumulatives ? En d’autres termes, si la première étape ne permet pas de constater l’existence de défaillances systémiques ou généralisées affectant le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, cette autorité est-elle autorisée à refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen en cause ?

11. La Cour rappelle régulièrement que le principe de reconnaissance mutuelle constitue, selon le considérant 6 de la décision‑cadre 2002/584, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, et trouve son expression à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision‑cadre, qui consacre la règle selon laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base de ce principe et conformément aux dispositions de ladite décision‑cadre (9).

12. Il importe, à mon avis, de veiller à ce que, en acceptant trop largement des exceptions au principe de reconnaissance mutuelle au titre du respect des droits fondamentaux, cette « pierre angulaire », qui constitue le socle de la coopération judiciaire en matière pénale, ne se fissure et que l’édifice patiemment construit ne vienne à vaciller, voire à s’écrouler, faute de fondations solides.

13. Il convient également de veiller à ne pas mettre en péril la réalisation de l’objectif de la décision‑cadre 2002/584 et la confiance réciproque entre les États membres qui sous-tend le mécanisme du mandat d’arrêt européen mis en place par cette décision‑cadre.

14. C’est pourquoi je défendrai l’idée selon laquelle la Cour doit continuer à affirmer qu’un refus de remise justifié par l’allégation relative à un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen doit revêtir un caractère véritablement exceptionnel. À défaut d’avoir démontré l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait être fondée à refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen sur la base de la seule allégation d’un risque individuel de violation de ce droit fondamental.

II. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

15. À la suite de l’adoption des lois portant sur l’indépendance de la communauté autonome de Catalogne (Espagne) et sur la tenue d’un référendum à cette fin, une procédure pénale a été engagée devant le Tribunal Supremo (Cour suprême) à l’encontre de plusieurs personnes auxquelles il est reproché d’avoir commis notamment les infractions de sédition et de détournement de fonds publics.

16. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, dans le cadre de cette procédure, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a émis, le 14 octobre 2019, un mandat d’arrêt européen à l’encontre de M. Carles Puigdemont Casamajó et, le 4 novembre 2019, des mandats d’arrêt européens à l’encontre de MM. Antoni Comín Oliveres, Puig Gordi ainsi que de Mme...

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