Insinööritoimisto InsTiimi Oy.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2012:26
Docket NumberC-615/10
Celex Number62010CC0615
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date19 January 2012
62010CC0615

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 19 janvier 2012 ( 1 )

Affaire C-615/10

Insinööritoimisto InsTiimi Oy

contre

Puolustusvoimat

[demande de décision préjudicielleformée par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande)]

«Marchés publics de fournitures — Article 10 de la directive 2004/18/CEArticle 296 CE — Préservation des intérêts de sécurité essentiels d’un État membre — Commerce de matériel militaire — Biens acquis par un pouvoir adjudicateur à des fins spécifiquement militaires, pour lesquels il existe cependant une possibilité d’application civile largement similaire — Système de plateforme tournante destiné à effectuer des mesures électromagnétiques»

I – Introduction

1.

Les conditions dans lesquelles les États membres sont autorisés à déroger aux règles du droit de l’Union pour les besoins de leur défense et de leurs forces armées continuent de donner matière à des contentieux ( 2 ).

2.

En l’occurrence, la Cour est invitée à indiquer à quelles conditions les forces armées d’un État membre ont le droit de se procurer des biens destinés à un usage militaire en dérogation aux règles du droit européen des marchés publics de fournitures.

3.

Les forces de défense finlandaises ont lancé en 2008 un appel d’offres relatif à la fourniture d’un système de plateforme tournante ( 3 ) destiné à effectuer des mesures électromagnétiques qui, dans le cadre de la «guerre électronique», doit servir à la simulation de situations de combat et à l’exercice y afférent. À cette occasion, la procédure de marché prescrite par la directive 2004/18/CE ( 4 ) n’a pas été totalement respectée.

4.

Une juridiction finlandaise soulève ici la question de l’interprétation de la réglementation dérogatoire applicable aux marchés publics du secteur de la défense qui résulte des dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et de l’article 296 CE (devenu article 346 TFUE). La Cour devra, en partant de sa décision dans l’affaire Agusta ( 5 ), indiquer notamment si les marchandises peuvent être considérées comme «destinées à des fins spécifiquement militaires», lorsque, à côté de leur usage militaire, il existe aussi une possibilité d’application civile largement similaire.

5.

À la différence des hélicoptères de l’affaire Agusta, le pouvoir adjudicateur a acquis le système de plateforme tournante à des fins purement militaires. Il ne s’agit donc pas d’un «bien à double usage» au sens strict. Il est cependant tout à fait envisageable, selon les constatations de la décision de renvoi, que des organismes ou des entreprises privés aient, eux aussi, l’usage d’une telle plateforme.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

6.

Le cadre juridique de la présente affaire est fourni par les dispositions combinées de l’article 10 de la directive 2004/18 et de l’article 296 CE.

7.

Sous le titre «Marchés dans le domaine de la défense», l’article 10 de la directive 2004/18, dans sa version initiale ( 6 ), indique ce qui suit quant au champ d’application des règles des marchés publics:

«La présente directive s’applique aux marchés publics passés par des pouvoirs adjudicateurs dans le domaine de la défense, sous réserve de l’article 296 du traité.»

8.

L’article 296 CE (ancien article 223 CEE) se lisait ainsi jusqu’à ce qu’il fût remplacé par l’article 346 TFUE à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ( 7 ):

«1. Les dispositions du présent traité ne font pas obstacle aux règles ci-après:

[…]

b)

tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires.

2. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut apporter des modifications à la liste, qu’il a fixée le 15 avril 1958, des produits auxquels les dispositions du paragraphe 1, point b), s’appliquent.»

9.

La décision no 255/58 du Conseil, du 15 avril 1958, établissant la liste visée à l’article 296, paragraphe 2, CE se lit ainsi (extrait) ( 8 ):

«Les dispositions de l’article [296], paragraphe 1, sous b), du traité [CE] s’appliquent aux armes, munitions et matériel de guerre énumérés ci-dessous, y compris les armes conçues pour utiliser l’énergie nucléaire:

[…]

5. Matériel de conduite du tir à usage militaire:

[…]

a)

calculateurs de tir et appareils de pointage en infrarouges et autre matériel de pointage de nuit;

b)

télémètres, indicateurs de position, altimètres;

c)

dispositifs d’observation électroniques, gyroscopiques, optiques et acoustiques;

d)

viseurs de bombardement et hausses de canons, périscopes pour les articles repris dans la présente liste.

[…]

11. Matériel électronique pour l’usage militaire.

[…]

14. Parties et pièces spécialisées du matériel repris dans la présente liste pour autant qu’elles ont un caractère militaire.

15. Machines, équipement et outillage exclusivement conçus pour l’étude, la fabrication, l’essai et le contrôle des armes, munitions et engins à usage uniquement militaire repris dans la présente liste.»

10.

Il convient, à titre complémentaire, d’attirer l’attention sur le point 10 des considérants de la directive 2009/81, selon lequel «[p]ar ‘équipements militaires’, au sens de la présente directive, il faudrait entendre notamment les types de produits visés par la liste d’armes, de munitions et de matériel de guerre adoptée par la décision no 255/58 du Conseil du 15 avril 1958 […], et les États membres peuvent se limiter à utiliser cette seule liste pour la transposition de la présente directive. Cette liste ne comprend que les équipements qui sont conçus, développés et produits à des fins spécifiquement militaires. Néanmoins, la liste est générique et est à interpréter au sens large à la lumière du caractère évolutif des technologies, des politiques d’acquisition et des besoins militaires conduisant au développement de nouveaux types d’équipements, par exemple sur la base de la Liste commune des équipements militaires de l’Union. Au sens de la présente directive, le terme ‘équipement militaire’ devrait couvrir également les produits qui, bien qu’initialement conçus pour une utilisation civile, ont ensuite été adaptés à des fins militaires pour pouvoir être utilisés comme armes, munitions ou matériel de guerre.»

B – Le droit national

11.

La directive 2004/18 a été transposée en Finlande par la loi no 348/2007 sur les marchés publics ( 9 ), dont le champ d’application est ainsi délimité à l’article 7, paragraphe 1:

«La présente loi ne s’applique pas aux marchés:

1)

qui doivent être tenus secrets ou dont la réalisation exige des mesures de protection spéciales prévues par la loi, ou si les intérêts essentiels de la sécurité de l’État l’imposent;

2)

qui portent sur du matériel destiné à des fins essentiellement militaires.»

12.

De plus, il ressort d’une instruction administrative du 28 mai 2008 édictée par le ministère de la Défense que, dans les marchés publics portant sur l’acquisition d’équipements destinés à la défense, il convient, jusqu’à nouvel ordre, de suivre, entre autres, l’arrêté no 76/1995 du ministère de la Défense, du 17 mars 1995.

13.

À l’article 1er dudit arrêté no 76/1995 est défini ce qu’il convient d’entendre par «bien ou service destiné à des fins essentiellement militaires, auquel la loi sur les marchés publics ne s’applique pas». Il s’agit essentiellement de l’«équipement spécial destiné à une activité militaire, à la formation ou à des exercices de simulations de situations militaires et [des] composants, accessoires et appareils conçus spécialement à ces fins», ainsi qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 1er et de la lettre M de l’annexe de l’arrêté no 76/1995.

III – Les faits et la procédure au principal

14.

En 2008, l’office d’études techniques des forces de défense finlandaises ( 10 ) a lancé un appel d’offres portant sur un système de plateforme tournante destiné à effectuer des mesures électromagnétiques, d’un montant de 1650000 euros. Le 5 février 2008, elle a invité quatre opérateurs, dont le bureau d’ingénierie Insinööritoimisto InsTiimi Oy (ci-après «InsTiimi»), à lui soumettre des propositions en ce sens.

15.

L’adjudication du marché s’est faite selon une «procédure négociée» qui, selon les informations contenues dans la demande de décision préjudicielle, s’écarte de la procédure de marché visée dans la directive 2004/18. Considérant que la procédure aurait dû se dérouler conformément aux prescriptions de la directive 2004/18, InsTiimi a porté l’affaire devant les tribunaux finlandais. La procédure intéresse également les forces de défense finlandaises, représentées par l’État major général ( 11 ).

16.

InsTiimi n’a pas eu gain de cause devant la juridiction de première instance, à savoir le markkinaoikeus ( 12 ). Cette juridiction a estimé qu’il était établi que la plateforme tournante en cause dans l’affaire au principal était destinée à des fins essentiellement militaires et que le pouvoir adjudicateur entendait l’utiliser exclusivement à de telles fins. Partant, le markkinaoikeus est parvenu à la conclusion que le marché en cause relevait de la disposition dérogatoire de l’article 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la loi no 348/2007 sur les marchés publics.

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