N. S. (C-411/10) v Secretary of State for the Home Department and M. E. and Others (C-493/10) v Refugee Applications Commissioner and Minister for Justice, Equality and Law Reform.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:610
Date22 September 2011
Celex Number62010CC0411
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-493/10,C-411/10

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme VERICA Trstenjak

présentées le 22 septembre 2011 (1)

Affaire C‑411/10

N. S.

contre

Secretary of State for the Home Department

[demande de décision préjudicielle de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni)]

«Règlement (CE) n° 343/2003 – Transfert de demandeurs d’asile dans l’État membre compétent à examiner la demande d’asile – Obligation de l’État auteur du transfert d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 – Compatibilité du transfert d’un demandeur d’asile avec la charte des droits fondamentaux, la CEDH et la convention de Genève relative au statut des réfugiés – Champ d’application de la charte des droits fondamentaux – Rapport entre la charte des droits fondamentaux, la convention de Genève relative au statut des réfugiés et la CEDH – Droit à un recours juridictionnel effectif – Le protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni»


Table des matières

I – Introduction

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

2. Protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni

3. Le droit dérivé

a) Le règlement n° 343/2003

b) La directive 2001/55

c) La directive 2003/9

d) La directive 2004/83

e) La directive 2005/85

B – Le droit international public

1. La convention de Genève relative au statut des réfugiés

2. La convention européenne des droits de l’homme

III – Les faits et la demande préjudicielle

IV – La procédure devant la Cour

V – Les arguments des parties

VI – Appréciation juridique

A – Première question préjudicielle

B – Deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles

1. Les mesures d’asile en droit dérivé et leur rapport à la charte des droits fondamentaux, à la CEDH et à la convention de Genève

a) La base d’habilitation en droit primaire

b) Les directives 2001/55, 2003/9, 2004/83 et 2005/85

c) Le règlement n° 343/2003

d) Résultat intermédiaire

2. La saturation du système d’asile grec

3. Sur la prise en considération de la saturation de systèmes d’asile nationaux dans le cadre de l’application du règlement n° 343/2003

a) Quatrième question préjudicielle: l’obligation d’exercer le droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 en cas de risque sérieux de violation des droits fondamentaux à la suite du transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent

i) Sur la problématique d’un risque grave de violation des droits fondamentaux en cas de transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent

ii) Sur l’obligation d’évocation énoncée à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003

iii) Résultat intermédiaire

b) Deuxième et troisième questions préjudicielles: le recours à des présomptions irréfragables dans le cadre de l’exercice du droit d’évocation prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003

C – Cinquième question préjudicielle: rapport entre la protection des demandeurs d’asile garantie par la charte des droits fondamentaux et leur protection sous le système de la CEDH

D – Sixième question préjudicielle: contrôle juridictionnel du respect de la convention de Genève et de la CEDH dans l’État membre normalement compétent conformément au règlement n° 343/2003

1. L’article 47, premier alinéa, de la charte des droits fondamentaux et le risque d’une violation de la convention de Genève ou de la CEDH après le transfert d’un demandeur d’asile opéré conformément au règlement n° 343/2003

2. Il est incompatible avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux qu’une juridiction présume de manière irréfragable que, dans l’État membre normalement compétent, le demandeur d’asile ne serait pas exposé au risque d’un refoulement incompatible avec la convention de Genève ou avec la CEDH

E – Septième question préjudicielle

VII – Conclusion





I – Introduction

1. Un des plus grands défis auxquels sont confrontés les auteurs du système d’asile européen commun est la répartition équitable, mais en même temps efficace des contraintes que l’immigration impose aux systèmes d’asile nationaux des États membres de l’Union européenne, comme la présente demande préjudicielle l’illustre de manière particulièrement claire. La juridiction de renvoi demande à la Cour de l’instruire sur les effets que la saturation d’un système d’asile national peut avoir sur les règles de désignation des États membres compétents à connaître des demandes d’asile introduites dans l’Union.

2. Les critères permettant de déterminer l’État membre compétent à connaître d’une demande d’asile introduite dans l’Union sont énoncés dans le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (2). Le système de répartition des compétences en matière d’asile mis en place par ce règlement a pour caractéristique essentielle qu’en principe un seul État membre est compétent à connaître de chaque demande d’asile présentée dans l’Union. Lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers a demandé asile dans un État membre qui n’est pas celui que désignent les règles de compétence du règlement n° 343/2003, celui-ci prévoit une procédure de transfert du demandeur d’asile dans l’État membre normalement compétent.

3. La crise que connaît actuellement le système d’asile grec oblige cependant les autres États membres à se demander si, conformément au règlement n° 343/2003, les demandeurs d’asile peuvent être transférés en Grèce pour l’examen de leurs demandes lorsque le système ne peut plus garantir que ces demandeurs d’asile y seront traités et leurs demandes examinées d’une manière conforme à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»). L’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003 confère à un État membre le droit de déroger aux règles normales de compétence et d’examiner lui-même une demande d’asile présentée sur son territoire au lieu de l’État membre normalement compétent, de sorte que se pose en outre la question de savoir si ce que nous conviendrons d’appeler ce «droit d’évocation» des États membres peut se convertir en une «obligation d’évocation» lorsque les droits fondamentaux du demandeur d’asile risqueraient d’être violés s’il était transféré dans l’État membre normalement compétent.

4. C’est sur ces questions que doit se prononcer la juridiction de renvoi dans la procédure au principal, dans laquelle un demandeur d’asile afghan s’oppose à ce que le Royaume-Uni le reconduise en Grèce. C’est dans ce contexte qu’elle demande en substance si et, dans l’affirmative, à quelles conditions le Royaume-Uni peut, en pareille hypothèse, être tenu par les règles de droit de l’Union d’examiner lui-même la demande d’asile bien que, conformément au règlement n° 343/2003, ce soit la République hellénique qui est normalement compétente à le faire.

5. Comme la charte des droits fondamentaux revêt une pertinence particulière en pareille situation, la juridiction de renvoi demande également des précisions sur le contenu et la portée du protocole n° 30 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni.

6. Pour répondre aux questions préjudicielles, il convient en outre de tenir compte de l’arrêt que la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la «Cour européenne») a rendu le 21 janvier 2011 dans l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce (3), c’est-à-dire après l’introduction de la demande préjudicielle. Dans cet arrêt, la Cour européenne a jugé que, en transférant un demandeur d’asile afghan en Grèce, le Royaume de Belgique avait enfreint les articles 3 et 13 de la CEDH.

7. La présente affaire et l’affaire M. E. e.a. (C-493/10), dans laquelle je lirai mes conclusions aujourd’hui également, sont étroitement liées. Cette affaire M. E. e.a. concerne le problème du transfert de demandeurs d’asile d’Irlande en Grèce dans les conditions du règlement n° 343/2003. Elle a été jointe à la présente affaire par ordonnance du président de la Cour aux fins des observations écrites, de la procédure orale et d’un arrêt conjoint. Pour des motifs de clarté, j’ai néanmoins décidé de présenter des conclusions distinctes dans cette affaire-ci et dans l’affaire M. E. e.a..

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

8. L’article 1er de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Dignité humaine», dispose que:

«La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée.»

9. L’article 4 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants», est rédigé comme suit:

«Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.»

10. L’article 18 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Droit d’asile», énonce les règles suivantes:

«Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.»

11. L’article 19 de la charte des droits fondamentaux, intitulé «Protection en cas d’éloignement, d’expulsion ou d’extradition», est formulé dans les termes que voici:

«1. Les expulsions collectives sont interdites.

2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la...

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