"Gazprom" OAO v Lietuvos Respublika.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2414
Docket NumberC-536/13
Celex Number62013CC0536
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date04 December 2014
62013CC0536

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 4 décembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑536/13

«Gazprom» OAO

[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Lituanie)]

«Espace de liberté, de justice et de sécurité — Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 44/2001 — ‘Anti-suit injunction’ prononcée par un tribunal arbitral situé dans un État membre — Interdiction d’engager la procédure devant un tribunal d’un autre État membre — Injonction de limiter les conclusions formulées dans un recours juridictionnel — Droit d’une juridiction de ce deuxième État membre de refuser la reconnaissance de la sentence arbitrale — Décision indépendante d’une juridiction portant sur sa compétence concernant un litige entrant dans le champ d’application du règlement (CE) no 44/2001 — Assurance de la primauté du droit de l’Union et de l’efficacité du règlement (CE) no 44/2001»

I – Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle porte sur le statut de l’arbitrage et des «anti-suit injunctions» au regard du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 2 ) (ci‑après le «règlement Bruxelles I»), qui sera, dès le 10 janvier 2015 ( 3 ), remplacé par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 4 ) (ci-après le «règlement Bruxelles I (refonte)»).

2.

Alors que la jurisprudence sur ces sujets est abondante et abondamment commentée dans la doctrine, la Cour a décidé, sur la base de certains éléments de fait ou de droit différenciant la présente affaire, de la confier à la grande chambre, ce qui devrait lui permettre de préciser et de clarifier le rapport entre le droit de l’Union et l’arbitrage international dont l’avocat général Darmon avait évoqué «l’importance fondamentale» qu’il «revêt […] au sein de la ‘communauté internationale des commerçants’» en tant que «le ‘mode le plus fréquent de résolution des litiges du commerce international’» ( 5 ).

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. Le règlement Bruxelles I

3.

Sous le chapitre I du règlement Bruxelles I, intitulé «Champ d’application», l’article 1er est libellé comme suit:

«1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives.

2. Sont exclus de son application:

[...]

d) l’arbitrage.

[…]»

4.

Sous le chapitre II de ce règlement, intitulé «Compétence», l’article 2, paragraphe 1, énonce:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

5.

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I:

«Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application des dispositions des articles 22 et 23.»

6.

Sous le chapitre III de ce règlement, intitulé «Reconnaissance et exécution», l’article 32 dispose:

«On entend par décision, au sens du présent règlement, toute décision rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit la dénomination qui lui est donnée [...]»

7.

Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, de ce chapitre III:

«Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.»

8.

Selon l’article 34 dudit chapitre:

«Une décision n’est pas reconnue si:

1)

la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis;

[…]»

2. Le règlement Bruxelles I (refonte)

9.

Pour le sujet qui concerne la présente affaire, à savoir les relations entre l’arbitrage et le règlement Bruxelles I, deux dispositions du nouveau règlement doivent être mentionnées: son considérant 12 et son article 73.

10.

Le considérant 12 se lit comme suit:

«Le présent règlement ne devrait pas s’appliquer à l’arbitrage. Rien dans le présent règlement ne devrait empêcher la juridiction d’un État membre, lorsqu’elle est saisie d’une demande faisant l’objet d’une convention d’arbitrage passée entre les parties, de renvoyer les parties à l’arbitrage, de surseoir à statuer, de mettre fin à l’instance ou d’examiner si la convention d’arbitrage est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée, conformément à son droit national.

Une décision rendue par une juridiction d’un État membre concernant la question de savoir si une convention d’arbitrage est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée ne devrait pas être soumise aux règles de reconnaissance et d’exécution inscrites dans le présent règlement, que la juridiction se soit prononcée sur cette question à titre principal ou incident.

Par ailleurs, si une juridiction d’un État membre, dans le cadre de l’exercice de sa compétence en vertu du présent règlement ou de son droit national, a constaté qu’une convention d’arbitrage est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée, cela ne devrait pas empêcher que sa décision au fond soit reconnue ou, le cas échéant, exécutée conformément au présent règlement. Cette règle devrait être sans préjudice du pouvoir des juridictions des États membres de statuer sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales conformément à la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères signée à New York le 10 juin 1958 (ci‑après dénommée ‘convention de New York de 1958’), qui prime sur le présent règlement.

Le présent règlement ne devrait pas s’appliquer à une action ou demande accessoire portant, en particulier, sur la constitution d’un tribunal arbitral, les compétences des arbitres, le déroulement d’une procédure arbitrale ou tout autre aspect de cette procédure ni à une action ou une décision concernant l’annulation, la révision, la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence arbitrale, ou l’appel formé contre celle-ci.»

11.

Sous le chapitre VII de ce règlement, intitulé «Relations avec les autres instruments», l’article 73, paragraphe 2, prévoit:

«Le présent règlement n’affecte pas l’application de la convention de New York de 1958.»

B – La convention de New York de 1958

12.

L’article Ier de la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, conclue à New York le 10 juin 1958 (ci-après la «convention de New York de 1958»), dispose à son paragraphe 1:

«La présente Convention s’applique à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales rendues sur le territoire d’un État autre que celui où la reconnaissance et l’exécution des sentences sont demandées, et issues de différends entre personnes physiques ou morales. Elle s’applique également aux sentences arbitrales qui ne sont pas considérées comme sentences nationales dans l’État où leur reconnaissance et leur exécution sont demandées.»

13.

L’article II, paragraphe 3, de cette convention prévoit:

«Le tribunal d’un État contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention au sens du présent article, renverra les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée.»

14.

Aux termes de l’article III de ladite convention:

«Chacun des États contractants reconnaîtra l’autorité d’une sentence arbitrale et accordera l’exécution de cette sentence conformément aux règles de procédure suivies dans le territoire où la sentence est invoquée, aux conditions établies dans les articles suivants. […]»

15.

L’article V de la même convention stipule les conditions auxquelles la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale peuvent être refusée:

«1.

La reconnaissance et l’exécution de la sentence ne seront refusées, sur requête de la partie contre laquelle elle est invoquée, que si cette partie fournit à l’autorité compétente du pays où la reconnaissance et l’exécution sont demandées la preuve:

a)

Que les parties à la convention visée à l’article II étaient, en vertu de la loi à elles applicable, frappées d’une incapacité, ou que ladite convention n’est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l’ont subordonnée ou, à défaut d’une indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue; ou

b)

Que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n’a pas été dûment informée de la désignation de l’arbitre ou de la procédure d’arbitrage, ou qu’il lui a été impossible, pour une autre raison, de faire valoir ses moyens; ou

c)

Que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire; toutefois, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l’arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l’arbitrage, les premières pourront être reconnues et exécutées; ou

d)

Que la constitution du tribunal arbitral ou la procédure d’arbitrage...

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