Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED) v Generalitat de Catalunya.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:852
Docket NumberC-233/16
Celex Number62016CC0233
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date09 November 2017
62016CC0233

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 9 novembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑233/16

Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED)

contre

Generalitat de Catalunya

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Impôt régional frappant de grands établissements commerciaux individuels – Effets négatifs indirects, les chaînes commerciales étrangères étant statistiquement plus affectées – Exonération et réduction fiscales en faveur de tiers considérées en tant qu’aide d’État illégale – Incidence de lettres de la Commission européenne sur l’appréciation d’une aide en tant qu’aide d’État illégale »

I. Introduction

1.

La présente affaire donne à la Cour l’occasion de préciser la portée de l’interdiction des aides d’État en droit de l’Union. En effet, l’Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (Association nationale des grandes entreprises de distribution, Espagne, ci-après « ANGED ») a introduit un recours contre un impôt spécifique frappant de grands établissements commerciaux (ci‑après l’« IGEC ») en Catalogne.

2.

ANGED et la Commission européenne y voient une restriction à la liberté d’établissement et une aide illégale, bénéficiant notamment aux petits établissements commerciaux, qui ne sont pas soumis à cet impôt. La Cour est donc à nouveau appelée, en l’espèce ainsi que dans deux autres affaires ( 2 ), à prendre position dans le conflit entre, d’une part, la souveraineté fiscale des États membres et, d’autre part, les libertés fondamentales et le droit en matière d’aides d’État.

3.

En 2005, la Cour a considéré qu’une taxe française similaire frappant les propriétaires de surfaces de vente supérieures à 400 m2 ne soulevait pas d’objection au regard du droit en matière d’aides ( 3 ). Depuis lors, elle a toutefois continué à développer la notion d’« aide ». La Cour doit par conséquent à nouveau décider s’il convient d’examiner, au regard du droit en matière d’aides, le non‑assujettissement à un impôt de propriétaires de magasins de plus petite taille et, si c’est le cas, quelle doit être la portée de cet examen.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4.

Le cadre en droit de l’Union est formé, en l’espèce, par l’article 49 TFUE lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, par les articles 107 et suivants TFUE ainsi que par le règlement (CE) no 659/1999 ( 4 ), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/1589 ( 5 ) (ci-après le « règlement no 659/1999 »).

B. Le droit espagnol

5.

L’impôt litigieux dans l’affaire au principal est fondé sur la Ley del Parlament de Catalunya 16/2000 del Impuesto sobre Grandes Establecimientos Comerciales (loi 16/2000 du Parlement de Catalogne relative à l’impôt sur les grands établissements commerciaux), du 29 décembre 2000 (ci-après la « loi 16/2000 »).

6.

Selon le préambule de la loi 16/2000, l’IGEC est introduit sur l’ensemble du territoire catalan en tant qu’impôt de nature extrafiscale, afin de compenser les incidences territoriales et environnementales pouvant résulter de la concentration de grands établissements commerciaux et de tenir compte des besoins de modernisation et de promotion du commerce en tissu urbain. Cet impôt vise également à rééquilibrer la position concurrentielle des deux types d’entreprises (grandes et petites).

7.

Aux termes de l’article 2 (Objet de l’impôt) de la loi 16/2000, l’IGEC grève « la puissance économique particulière de certains établissements commerciaux résultant de leur implantation en tant que grandes surfaces ». Le fait générateur de l’impôt (article 4 de la loi 16/2000) consiste dans l’utilisation de grandes surfaces à des fins commerciales. Il convient d’entendre par là l’utilisation faite par de grands établissements commerciaux individuels, à savoir des établissements disposant d’une surface de vente égale ou supérieure à 2500 m2.

8.

Conformément à l’article 5 (Exonérations) de la loi 16/2000, l’utilisation de grandes surfaces par de grands établissements commerciaux individuels vendant des articles de jardinerie, des véhicules, des matériaux de construction, des machines et des fournitures industrielles n’est pas soumise à l’IGEC. Cet impôt est dû par les personnes physiques ou morales propriétaires d’un grand établissement commercial individuel, qu’il se trouve ou non au sein d’un grand établissement commercial collectif (article 6 de la loi 16/2000).

9.

La base d’imposition (article 7 de la loi 16/2000) est constituée par la surface totale occupée par le grand établissement commercial individuel, exprimée en mètres carrés. La surface totale est obtenue en additionnant les surfaces suivantes : a) la surface de vente, réduite de 2499 m2 à titre de surface minimale exonérée ; b) la surface destinée aux entrepôts, aux ateliers et aux espaces de production ; c) la surface de stationnement principalement utilisé par les clients, qui est modifiée par l’application d’un coefficient.

10.

Pour les assujettis qui se consacrent essentiellement à la vente de mobilier, d’articles d’assainissement ou de portes et fenêtres ainsi que pour les centres de bricolage, la base nette d’imposition est réduite de 60 %, conformément à l’article 8 de la loi 16/2000. Le cas échéant, une réduction de 40 % du montant à payer est prévue, conformément à l’article 11 de la loi 16/2000, pour les grands établissements commerciaux individuels accessibles, outre par véhicule privé, par au moins trois moyens de transport public. L’article 12 de la loi 16/2000 dispose que l’IGEC est un impôt périodique. La période d’imposition coïncide avec l’année civile.

11.

La cinquième disposition additionnelle de la Ley del Parlament de Catalunya 15/2000 de medidas fiscales y administrativas (loi du Parlement de Catalogne 15/2000 portant mesures fiscales et administratives), du 29 décembre 2000, telle que modifiée par l’article 17 de la Ley del Parlament de Catalunya 31/2002 de medidas fiscales y administrativas (loi du Parlement de Catalogne 31/2002 portant mesures fiscales et administratives), du 30 décembre 2002 (ci‑après la « loi 31/2002 ») prévoit :

« Le produit de [l’IGEC], qui ne peut en aucun cas être destiné à des aides spécifiques aux entreprises de vente au détail, est affecté conformément aux critères suivants : a) un minimum de 40 % est affecté aux infrastructures d’équipement municipal et d’urbanisme commercial ; b) un minimum de 30 % est affecté au développement de plans d’action et de dynamisation commerciale dans des zones concernées par l’implantation de grands établissements commerciaux ; c) un minimum de 10 % est affecté au développement de plans d’action environnementaux dans des zones concernées par l’implantation de grands établissements commerciaux. »

III. Le litige au principal

12.

Le 21 février 2002, ANGED (une association nationale de grandes entreprises de distribution) a introduit un recours contentieux administratif contre l’IGEC, alléguant la violation de diverses dispositions constitutionnelles et légales espagnoles.

13.

Par lettre de 2 octobre 2003 adressée au Royaume d’Espagne, le directeur chargé des aides d’État de la direction générale de la concurrence de la Commission (ci–après la « DG COMP ») a toutefois fait savoir que, après examen de la plainte relative à l’IGEC au regard de l’article 87 CE (désormais article 107 TFUE), il était parvenu à la conclusion que le produit de cet impôt n’était pas affecté à des aides spécifiques aux entreprises commerciales, mais au financement d’infrastructures d’équipement municipal et d’urbanisme commercial, au développement de plans d’action et de dynamisation commerciale ainsi qu’au développement de plans d’action environnementaux. Il était selon lui exclu que les recettes obtenues puissent favoriser une entreprise en particulier ou un secteur d’activité concret (plus précisément le petit commerce urbain), puisqu’elles poursuivaient un objectif d’intérêt général et bénéficiaient à l’ensemble de la société.

14.

Le recours contentieux administratif d’ANGED a été rejeté par un arrêt du 27 septembre 2012. Le 12 décembre 2012, ANGED a formé un pourvoi contre cet arrêt devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne).

15.

Aux mois de février et mai 2013, ANGED a déposé une plainte devant la Commission contre le Royaume d’Espagne, au motif que les dispositions relatives à l’IGEC prévues dans six communautés autonomes seraient contraires au droit de l’Union. Par lettre du 28 novembre 2014 adressée au Royaume d’Espagne, la Commission a fait savoir qu’elle envisageait de considérer les exonérations accordées aux petites entreprises de vente au détail et à certains établissements spécialisés comme des aides d’État illégales. Selon elle, ces exonérations sembleraient accorder un avantage sélectif à certaines entreprises, en ce qu’elles constitueraient une exception au régime général d’imposition (grevant les établissements commerciaux en fonction de la surface occupée).

16.

Le Tribunal Supremo (Cour suprême) a alors décidé de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

IV. La procédure devant la Cour

17.

Le Tribunal Supremo (Cour suprême) a posé les questions suivantes à la Cour :

« 1)

Les articles 49 et 54 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’existence d’un impôt régional qui grève l’utilisation de grandes surfaces commerciales individuelles dont la surface de vente est supérieure ou égale à 2500 m2 en raison de l’incidence qu’elles peuvent avoir sur le territoire, l’environnement et le tissu commercial...

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