Staatssecretaris van Financiën v X.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2164
Date04 September 2014
Celex Number62013CC0087
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-87/13
62013CC0087

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 4 septembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑87/13

Staatssecretaris van Financiën

contre

X

[demande de décision préjudicielle

formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Législation fiscale — Liberté d’établissement — Impôt national sur le revenu — Déduction plus élevée des charges d’entretien d’un bâtiment classé situé sur le territoire national et occupé par son propriétaire — Ressortissant néerlandais qui réside dans un bâtiment classé en Belgique alors qu’il exerce une activité professionnelle et est assujetti illimité aux Pays-Bas»

I – Introduction

1.

Le Royaume des Pays-Bas souhaite avantager fiscalement la conservation de son patrimoine culturel. C’est pourquoi il accorde une déduction fiscale plus élevée pour l’entretien de bâtiments classés néerlandais.

2.

Le litige au principal concerne un ressortissant néerlandais qui habite et entretient un bâtiment, certes classé, mais situé en Belgique. Bien que la totalité de ses revenus soit imposée aux Pays-Bas, ce contribuable ne bénéficie d’aucun avantage fiscal pour l’entretien du bâtiment classé belge. En effet, le Royaume des Pays-Bas veut seulement aider les bâtiments classés néerlandais. Dans la présente affaire, la Cour devra se prononcer sur le point de savoir si cette limitation de l’avantage fiscal au patrimoine culturel national est compatible avec les libertés fondamentales.

II – Le cadre juridique

3.

Conformément à l’article 2.5, paragraphe 1, de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Wet inkomsbelasting), de 2001, dans la version de 2004, (le résident d’un autre État membre peut décider d’être traité comme un contribuable résidant aux Pays-Bas.

4.

Conformément à la loi relative à l’impôt sur le revenu, un contribuable est imposé pour les revenus de logements dont il est propriétaire, que ces logements soient donnés en location ou qu’il les occupe. Les revenus de logements occupés par leur propriétaire sont évalués en appliquant un certain pourcentage à la valeur de ces logements.

5.

Les charges liées aux logements occupés par leur propriétaire peuvent être déduites, jusqu’à une certaine limite, des revenus de ces logements. Lorsqu’il s’agit de bâtiments classés, il est possible de faire valoir la partie des charges excédant cette limite au titre d’une «déduction à caractère personnel». Cette règle s’applique aussi aux bâtiments donnés en location. L’article 6.31 de la loi relative à l’impôt sur le revenu subordonne la déduction à l’inscription du bâtiment dans un registre conformément à l’article 6 ou à l’article 7 de la loi relative à la protection des monuments (Monumentenwet), de 1988. La juridiction de renvoi interprète ces dispositions en ce sens qu’il est possible d’inscrire seulement un bâtiment situé aux Pays‑Bas.

III – Le litige au principal

6.

Le litige au principal a pour objet un avis d’imposition sur le revenu pour l’année 2004 adressé à X.

7.

X a la nationalité néerlandaise. En 2004, il a transféré sa résidence des Pays-Bas à son château en Belgique. Il est propriétaire du château, qui, avec ses abords, est classé en vertu du droit belge en tant que monument ou site rural protégé. Aux Pays-Bas, X a poursuivi son activité de gérant d’une société dont il est l’unique associé. En Belgique, il ne touche aucun revenu d’activité professionnelle.

8.

À sa demande, X a été traité comme un contribuable résident aux fins de l’impôt sur le revenu pour l’année 2004. Dans sa déclaration d’impôt il a fait valoir 18140 euros en tant que déduction à caractère personnel pour des charges d’entretien et des amortissements concernant le château situé en Belgique. X aurait aussi pu faire valoir ces charges dans le cadre de l’impôt sur le revenu belge, en optant pour un type d’imposition déterminé. Toutefois, il y a renoncé car, en fin de compte, pour lui, cela n’aurait pas été avantageux fiscalement.

9.

L’administration fiscale néerlandaise a refusé la déduction à caractère personnel au motif que le château belge n’était pas inscrit dans un registre conformément à l’article 6 ou à l’article 7 de la loi relative à la protection des monuments. X a introduit un recours contre cette décision.

IV – La procédure devant la Cour

10.

Le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), qui, entretemps, a été saisi du litige, estime qu’il est possible que les dispositions néerlandaises relatives à la déduction à caractère personnel pour les bâtiments classés enfreignent le droit de l’Union. C’est pourquoi, le 21 février 2013, en vertu de l’article 267 TFUE, il a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Le droit de l’Union, et en particulier la réglementation en matière de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux, s’oppose-t-il à ce qu’une personne résidant en Belgique qui, à sa demande, est imposée comme contribuable résident aux Pays‑Bas, et qui a exposé des dépenses relatives à un château qui est son habitation propre, situé en Belgique et considéré dans cet État comme monument et site rural protégé, ne puisse pas déduire ces dépenses pour l’imposition des revenus aux Pays‑Bas, au motif que le château n’a pas été enregistré aux Pays-Bas comme monument historique protégé?

2)

Dans quelle mesure importe-t-il à cet égard que l’intéressé puisse déduire, pour l’impôt sur le revenu dans son pays de résidence, la Belgique, lesdites dépenses de ses revenus mobiliers actuels ou à venir, par le choix d’une imposition progressive de ces revenus?»

11.

Tout d’abord, la présente affaire avait été jointe à l’affaire C‑133/13 (Q) aux fins de la procédure et de l’arrêt. Dans ces affaires jointes, des observations ont été présentées par X, Q (partie au litige au principal dans l’affaire C‑133/13), la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne, au mois de juillet 2013. Ensuite la jonction des affaires a été annulée.

V – L’appréciation en droit

12.

En posant les deux questions préjudicielles, auxquelles je répondrai conjointement, la juridiction de renvoi veut savoir en substance si le droit de l’Union permet de limiter à des bâtiments situés sur le territoire national un avantage fiscal national accordé à des bâtiments classés occupés par leur propriétaire. La juridiction de renvoi estime notamment que la disposition néerlandaise pourrait être incompatible avec la liberté d’établissement, consacrée à l’article 43 CE (voir ci-après, sous A), ainsi qu’avec la libre circulation des capitaux, consacrée à l’article 56, paragraphe 1, CE (voir ci-après, sous B).

A – La liberté d’établissement

1. Restriction

13.

Une disposition accordant un avantage fiscal telle que la disposition néerlandaise pourrait restreindre la liberté d’établissement d’un contribuable comme X.

14.

A priori, X peut se prévaloir de la liberté d’établissement. En tant que gérant d’une société dont il est l’unique associé, il exerce une activité non salariée au sens de l’article 43, second alinéa, CE ( 2 ). Le fait que X, qui exerce son activité aux Pays-Bas, est lui-même un ressortissant néerlandais ne s’oppose pas non plus à l’application de la liberté d’établissement. Certes, aux termes de son premier alinéa, première phrase, l’article 43 CE protège seulement l’établissement «des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre», ce qui n’est pas le cas de X. Cependant, la jurisprudence de la Cour a étendu le champ de protection de la liberté d’établissement. Ainsi, tout ressortissant d’un État membre, indépendamment de sa nationalité, qui exerce une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de résidence relève du champ d’application de l’article 43 CE ( 3 ). C’était le cas de X, puisque, pendant la période concernée, il avait sa résidence en Belgique et il gérait les affaires de sa société aux Pays-Bas.

15.

Toute disposition nationale qui défavorise des non-résidents par rapport à des résidents peut restreindre la liberté d’établissement ( 4 ). En raison de la disposition néerlandaise, au contraire d’un résident, un non-résident n’a pas la possibilité de faire valoir une déduction à caractère personnel pour des charges liées à un bâtiment classé qu’il occupe. La circonstance que, comme le souligne le Royaume des Pays-Bas, l’avantage fiscal néerlandais s’applique aussi à des biens immobiliers qui ne sont pas occupés par leur propriétaire et que, à cet égard, résidents et non-résidents sont traités de la même manière ne change rien à ce constat.

16.

Contrairement à l’avis de la République fédérale d’Allemagne, ce traitement défavorable de non-résidents restreint aussi l’exercice par une personne comme X de son activité professionnelle protégée par la liberté d’établissement. En effet, la disposition accordant un avantage fiscal conduit en fin de compte à faire peser une charge fiscale différente sur les revenus de l’activité professionnelle, selon que X réside dans un bâtiment classé situé aux Pays-Bas ou dans un autre État membre.

17.

Nous considérons que cette interprétation large de la notion de «restriction» est impérative car, dans une autre affaire, la Cour a déjà constaté que l’octroi d’un avantage fiscal seulement pour des logements situés sur le territoire national acquis à des fins d’habitation personnelle restreint la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement des personnes qui acquièrent un logement à des fins...

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