Mory SA and Others v European Commission.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:409
CourtCourt of Justice (European Union)
Date18 June 2015
Docket NumberC-33/14
Procedure TypeRecurso de casación - fundado
Celex Number62014CC0033
62014CC0033

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 18 juin 2015 ( 1 )

Affaire C‑33/14 P

Mory SA, en liquidation

Mory Team, en liquidation

Superga Invest

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Aide d’État — Recours en annulation — Aide illégale et incompatible — Obligation de récupération — Continuité économique — Décision ‘sui generis’ — Recevabilité — Intérêt à agir — Action devant les juridictions nationales — Qualité pour agir»

1.

Par le présent pourvoi, Mory SA, Mory Team et Superga Invest (ci‑après, prises ensemble, les «requérantes») demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne Mory e.a./Commission ( 2 ) (ci‑après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui‑ci a rejeté comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir leur recours visant à l’annulation de la décision de la Commission européenne, du 4 avril 2012, concernant la reprise des actifs du groupe Sernam dans le cadre de son redressement judiciaire ( 3 ) (ci‑après la «décision litigieuse»).

2.

La présente affaire s’inscrit dans le cadre de la tentative de restructuration du groupe Sernam, actif sur le marché du transport express de colis et de palettes, qui a donné lieu à plusieurs décisions de la Commission concernant des aides d’État octroyées à ce groupe. La décision litigieuse est la quatrième, et la dernière, de ces décisions. Dans cette décision, qualifiée par la Commission de «sui generis», cette institution, sur demande du gouvernement français, a constaté l’absence de continuité économique entre le groupe Sernam et les repreneurs de ses actifs et a informé ledit gouvernement qu’il n’y avait pas lieu d’étendre à ces derniers la récupération des aides illégales et incompatibles octroyées au groupe Sernam. Les requérantes, qui se présentent comme ayant été des concurrentes directes de ce groupe, ont attaqué cette décision devant le Tribunal. Cependant, elles ont entre‑temps, comme le groupe Sernam, été mises en liquidation, ce qui a soulevé la question de leur intérêt à agir devant le Tribunal.

3.

En bref, cette affaire soulève plusieurs questions importantes concernant, d’une part, l’intérêt à agir, et notamment ses relations avec la qualité pour agir et les conditions nécessaires pour disposer d’un tel intérêt en raison de l’existence d’actions engagées devant les juridictions nationales, et, d’autre part, les conditions de recevabilité pour attaquer les décisions adoptées par la Commission concernant la continuité économique entre le bénéficiaire d’une aide et le repreneur de certains de ses actifs.

I – Les antécédents du litige

4.

Par une décision adoptée le 23 mai 2001 ( 4 ) (ci‑après la «décision Sernam 1»), la Commission a autorisé, sous certaines conditions, une aide à la restructuration en faveur du groupe Sernam, d’un montant total de 503 millions d’euros.

5.

Par une deuxième décision adoptée en 2004 ( 5 ) (ci‑après la «décision Sernam 2»), la Commission a constaté que certaines des conditions imposées par la décision Sernam 1 n’avaient pas été respectées, ce qui avait donné lieu à une application abusive de l’aide autorisée. Dans ce contexte, d’une part, elle a déclaré que, sous réserve du respect de nouvelles conditions, l’aide de 503 millions d’euros approuvée par la décision Sernam 1 était compatible avec le marché intérieur et, d’autre part, elle a relevé la présence d’une aide supplémentaire de 41 millions d’euros, incompatible avec le marché intérieur et devant donc être récupérée par les autorités françaises.

6.

À la suite de plaintes formées par des concurrents, parmi lesquels une société du groupe Mory, qui faisaient valoir que la décision Sernam 2 avait été appliquée abusivement, la Commission, par lettre du 16 juillet 2008 ( 6 ), a informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE au sujet de l’application par cette dernière de la décision Sernam 2.

7.

Le 27 juin 2011, Mory SA et Mory Team (ci‑après les «sociétés Mory») ont été placées en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny. En janvier et en février 2012, les sociétés constituant le groupe Sernam ont également été placées en redressement judiciaire.

8.

Le 9 mars 2012, la Commission a adopté une troisième décision ( 7 ) (ci‑après la «décision Sernam 3»). Dans cette décision, la Commission a constaté que l’aide d’État d’un montant de 503 millions d’euros approuvée par la décision Sernam 2 avait été mise en œuvre de manière abusive, que le groupe Sernam avait bénéficié de cette aide, ainsi que de l’aide d’État d’un montant de 41 millions d’euros et d’autres aides d’État incompatibles avec le marché commun. Aux termes de l’article 2 du dispositif de cette décision, la République française était tenue de récupérer toutes ces aides auprès du groupe Sernam.

9.

Le même jour, deux offres de reprise ont été transmises à l’administrateur judiciaire du groupe Sernam, émanant la première de Geodis Calberson (ci‑après «Calberson»), la filiale du groupe Geodis (ci‑après «Geodis») active dans le secteur de la messagerie, la seconde de BMV. L’offre de reprise de Calberson était soumise à la condition qu’«aucune charge de restitution de tout ou partie des aides illégales versées à Sernam ne puisse être transférée avec les actifs repris ou du fait de la reprise, ou être mise à la charge du repreneur». L’offre présentée par BMV n’était pas assortie d’une telle condition, mais était présentée comme étant indissociable de l’offre présentée par Calberson et devenait caduque si l’offre de cette dernière était refusée.

10.

Le 23 mars 2012, les autorités françaises ont demandé à la Commission de confirmer que l’obligation de remboursement des aides d’État imposée au groupe Sernam par la décision Sernam 3 ne serait pas étendue à Geodis et à BMV, en cas de reprise par celles‑ci d’une partie des actifs du groupe Sernam dans le cadre de son redressement judiciaire.

11.

Le 4 avril 2012, la Commission a adopté la décision litigieuse. Elle l’a qualifiée de décision sui generis au titre de la compétence attribuée à la Commission pour le contrôle des aides d’État prévu à l’article 108 TFUE, ainsi que de l’obligation de coopération loyale avec les États membres prévue à l’article 4, paragraphe 3, TUE ( 8 ). Elle a spécifié que cette décision ne concernait que l’objet de la notification reçue et non le caractère avisé ou non de l’investissement concernant la reprise de certains actifs du groupe Sernam et qu’elle ne préjugeait pas de l’appréciation de ces investissements au regard de l’article 107 TFUE ( 9 ). À la suite de l’analyse de différents facteurs, la Commission a constaté qu’il n’y avait pas de continuité économique entre le groupe Sernam et les repreneurs d’une partie de ses actifs, Geodis et BMV. Elle a ainsi informé la République française que, au vu de ladite analyse et compte tenu de ses engagements, il n’y avait pas lieu d’étendre à Geodis et à BMV la récupération des aides d’État déclarées illégales et incompatibles dans la décision Sernam 3, et dont avait bénéficié le groupe Sernam ( 10 ).

12.

Le 13 avril 2012, le tribunal de commerce de Nanterre a retenu les offres de reprise déposées par Calberson ainsi que BMV et ordonné le transfert à leur profit de certains actifs du groupe Sernam avec une entrée en jouissance le 7 mai 2012.

13.

Le 10 juillet 2012, les sociétés Mory ont été mises en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny.

II – La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

14.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 décembre 2012, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

15.

Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir des requérantes.

16.

Après avoir rappelé que, selon la jurisprudence, c’est au requérant qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir, le Tribunal a considéré qu’aucun des quatre arguments avancés par les requérantes n’était de nature à établir l’existence à leur endroit d’un intérêt à agir ( 11 ). En premier lieu, le Tribunal a rejeté l’argument des requérantes selon lequel le statut de partie intéressée d’une d’entre elles au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision Sernam 3 et sa participation personnelle à cette procédure justifieraient leur intérêt à agir contre la décision litigieuse ( 12 ). En deuxième lieu, le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel l’intérêt à agir des requérantes se justifiait au regard de deux actions qu’elles avaient introduites devant les juridictions françaises, l’une en récupération des aides d’État accordées au groupe Sernam et l’autre en indemnité ( 13 ). En troisième lieu, le Tribunal a rejeté l’argument tiré de ce que l’intérêt à agir des requérantes se justifiait par la circonstance que Superga Invest, en tant qu’actionnaire principal de Mory, subissait directement les conséquences des troubles concurrentiels soufferts par celle‑ci ( 14 ). Enfin, en quatrième lieu, le Tribunal a rejeté l’argument tiré de ce que, par la décision litigieuse, la Commission aurait implicitement écarté l’éventualité de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, privant ainsi les requérantes du bénéfice du droit procédural à intervenir pour faire connaître leurs observations ( 15 ).

17.

En conséquence, le Tribunal a conclu que, les requérantes n’ayant pas justifié de leur intérêt à agir contre la décision litigieuse, leur recours devait être déclaré irrecevable.

III – La procédure devant la Cour et les...

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