"CHEZ Razpredelenie Bulgaria" AD v Komisia za zashtita ot diskriminatsia.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:170
Docket NumberC-83/14
Celex Number62014CC0083
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date12 March 2015
62014CC0083

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 12 mars 2015 ( 1 )

Affaire C‑83/14

CHEZ Razpredelenie Bulgaria AD

contre

Komisia za zashtita ot diskriminatsia

[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Sofia-grad (Bulgarie)]

«Directive 2000/43/CE — Principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique — Discrimination indirecte — Caractère général et collectif d’une mesure — Effet stigmatisant — Personne ne faisant pas partie du groupe ethnique discriminé, mais néanmoins victime d’une discrimination par association ou par ricochet — Quartiers habités majoritairement par des personnes issues de la communauté rom — Installation de compteurs électriques à une hauteur inaccessible pour le consommateur — Justification — Lutte contre les fraudes et les abus — Directives 2006/32/CE et 2009/72/CE — Possibilité pour l’utilisateur final de contrôler sa consommation électrique individuelle»

I – Introduction

1.

Il arrive parfois, lors de l’examen de problèmes de discriminations, que des destins individuels se retrouvent au premier plan. Tel n’est pas le cas dans la présente affaire qui porte sur l’interdiction de la discrimination fondée sur l’origine ethnique au sens du droit de l’Union. Certes, cette affaire se rapporte elle aussi, en définitive, au recours d’un particulier, mais sa question centrale est celle du caractère général et collectif de mesures qui concernent un groupe de population dans son ensemble et qui ont pour effet de stigmatiser toutes les personnes issues de ce groupe, de même que leur environnement social.

2.

Concrètement, il s’agit d’examiner une pratique répandue dans la ville de Dupnitsa (Bulgarie) – mais ailleurs également – consistant à installer les compteurs électriques des utilisateurs finals dans des quartiers habités majoritairement par des Roms à une hauteur d’environ six mètres, en les rendant ainsi inaccessibles en vue de contrôles visuels normaux, alors que les mêmes compteurs sont installés ailleurs à une hauteur d’environ 1,70 mètre, et sont dès lors aisément visibles pour les consommateurs. Cette pratique est motivée par l’existence d’interventions prohibées sur lesdits compteurs électriques et de branchements illicites, lesquels seraient particulièrement fréquents dans les «quartiers roms».

3.

Dans les conclusions que nous avons présentées dans l’affaire Belov ( 2 ), nous nous sommes déjà penchée une première fois sur l’ensemble des aspects de cette problématique, que nous avons examinée à la lumière de l’interdiction de la discrimination fondée sur l’origine ethnique au sens du droit de l’Union. Nous avons également rappelé à cette occasion le contexte d’exclusion sociale qui est celui des Roms, de même que les conditions sociales et économiques extrêmement précaires dans lesquelles cette communauté vit dans de nombreux endroits en Europe.

4.

La présente affaire offre l’occasion d’affiner sur certains points notre analyse précédente. Cela concerne, d’une part, la distinction entre discrimination directe et discrimination indirecte fondée sur l’origine ethnique. D’autre part, il y a lieu d’examiner si, et le cas échéant, dans quelle mesure, des personnes qui ne font pas elles-mêmes partie du groupe ethnique désavantagé peuvent néanmoins faire l’objet d’une discrimination en raison de la pratique en cause («mitdiskriminiert sein», ce qui correspond, en français, à la notion de «discrimination par association» ou bien «discrimination par ricochet» [Ndt: en français dans l’original]). En outre, il sera question – tout comme ce fut le cas pour l’affaire Belov – des possibilités de justification des mesures collectives revêtant un caractère stigmatisant.

5.

Contrairement à l’affaire Belov ( 3 ), la présente affaire ne soulève pas de problèmes de compétence ou de recevabilité, car il est constant cette fois-ci que l’organe de renvoi bulgare constitue une juridiction au sens de l’article 267 TFUE.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

6.

La présente affaire doit être examinée au regard de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») et de la directive 2000/43/CE ( 4 ). À titre complémentaire, il faut également mentionner les directives 2006/32/CE ( 5 ) et 2009/72/CE ( 6 ), qui contiennent des règles concernant respectivement l’efficacité énergétique dans les utilisations finales et le marché intérieur de l’électricité.

1. La directive anti-discrimination 2000/43

7.

Conformément à son article 1er, l’objet de la directive 2000/43 consiste à «établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».

8.

L’article 2 de la directive 2000/43 contient notamment la définition suivante:

«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’, l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique.

2. Aux fins du paragraphe 1:

a)

une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d’origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable;

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires.

3. Le harcèlement est considéré comme une forme de discrimination au sens du paragraphe 1 lorsqu’un comportement indésirable lié à la race ou à l’origine ethnique se manifeste, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Dans ce contexte, la notion de harcèlement peut être définie conformément aux législations et pratiques nationales des États membres.

[…]»

9.

L’article 3 de la directive 2000/43 définit le champ d’application de celle-ci dans les termes suivants:

«1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[…]

h)

l’accès aux biens et services et la fourniture de biens et services, à la disposition du public, y compris en matière de logement.

[…]»

10.

L’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/43 énonce ce qui suit concernant la charge de la preuve:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.»

11.

Pour finir, il convient de mentionner également le considérant 16 de la directive 2000/43:

«Il importe de protéger toutes les personnes physiques contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique. Les États membres doivent aussi assurer, en tant que de besoin et conformément aux traditions et pratiques nationales, la protection des personnes morales lorsqu’elles sont victimes de discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique de leurs membres.»

2. Les directives sur le marché intérieur de l’électricité et sur l’efficacité énergétique dans les utilisations finales

12.

La directive 2006/32 visait à augmenter les capacités des utilisations finales de l’énergie dans les États membres au moyen de diverses mesures, destinées, notamment, à améliorer l’efficacité énergétique au profit des utilisateurs finals. Son considérant 29 est formulé dans les termes suivants:

«Afin que les utilisateurs finals puissent prendre des décisions en meilleure connaissance de cause en ce qui concerne leur consommation d’énergie individuelle, il convient de leur fournir une quantité raisonnable d’informations en la matière ainsi que d’autres informations pertinentes […]. De plus, les consommateurs devraient être résolument encouragés à vérifier régulièrement les indications de leurs compteurs.»

13.

L’article 13, paragraphe 1, de la directive 2006/32 disposait en outre ce qui suit:

«Les États membres veillent à ce que, dans la mesure où cela est techniquement possible, financièrement raisonnable et proportionné compte tenu des économies d’énergie potentielles, les clients finals dans les domaines de l’électricité, du gaz naturel, du chauffage et/ou du refroidissement urbain(s) et de la production d’eau chaude à usage domestique reçoivent à un prix concurrentiel des compteurs individuels qui mesurent avec précision leur consommation effective et qui fournissent des informations sur le moment où l’énergie a été utilisée.

[…]»

14.

La directive 2009/72 contient des règles communes pour la production, le transport, la distribution et la fourniture d’électricité et définit les modalités d’organisation et de fonctionnement du secteur de l’électricité. Conformément à l’article 3, paragraphe 7, de cette...

To continue reading

Request your trial
2 practice notes
  • Conclusiones del Abogado General Sr. P. Pikamäe, presentadas el 29 de julio de 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 29 July 2019
    ...CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C‑83/14, EU:C:2015:480, point 123), ainsi que les conclusions de l’avocat général Kokott dans cette affaire (EU:C:2015:170, point 131), et dans l’affaire Belov (C‑394/11, EU:C:2013:48, point 117), toutes deux concernant la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 ......
  • XC contre Commission européenne.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 November 2023
    ...direttiva 2000/78, e come risulterebbe dalle conclusioni dell’avvocato generale Kokott nella causa CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C‑83/14, EU:C:2015:170, paragrafo 115), la predisposizione di soluzioni ragionevoli sarebbe una «condizione esimente» che la Commissione avrebbe dovuto invocare pe......
2 cases
  • Conclusiones del Abogado General Sr. P. Pikamäe, presentadas el 29 de julio de 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 29 July 2019
    ...CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C‑83/14, EU:C:2015:480, point 123), ainsi que les conclusions de l’avocat général Kokott dans cette affaire (EU:C:2015:170, point 131), et dans l’affaire Belov (C‑394/11, EU:C:2013:48, point 117), toutes deux concernant la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 ......
  • XC contre Commission européenne.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 9 November 2023
    ...direttiva 2000/78, e come risulterebbe dalle conclusioni dell’avvocato generale Kokott nella causa CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C‑83/14, EU:C:2015:170, paragrafo 115), la predisposizione di soluzioni ragionevoli sarebbe una «condizione esimente» che la Commissione avrebbe dovuto invocare pe......

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT