Opinion of Advocate General Bot delivered on 6 September 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:671
Docket NumberC-412/17,C-474/17
Celex Number62017CC0412
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date06 September 2018
62017CC0412

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 6 septembre 2018 ( 1 )

Affaires jointes C‑412/17 et C‑474/17

Bundesrepublik Deutschland

contre

Touring Tours und Travel GmbH (C–412/17),

Sociedad de Transportes SA (C–474/17)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Règlement (CE) no 562/2006 – Code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) – Articles 20 et 21 – Suppression du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen – Réglementation d’un État membre imposant à un opérateur de voyages en autocar franchissant des frontières intérieures de l’espace Schengen de contrôler les passeports et les titres de séjour des passagers – Directive 2002/90/CE – Décision-cadre 2002/946/JAI – Aide à l’entrée irrégulière »

I. Introduction

1.

Les liaisons routières internationales par autocar, si elles permettent aux citoyens de l’Union européenne et aux ressortissants de pays tiers en situation régulière de se déplacer librement au sein de l’Union, sont également l’occasion pour les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière de profiter des facilités qu’offre cet espace de libre circulation et constituent de ce fait un vecteur d’immigration clandestine.

2.

En dehors de la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures, comment, au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice dans le cadre duquel s’intègre l’espace Schengen, lutter contre cette immigration irrégulière sans compromettre la liberté de circulation promise aux citoyens de l’Union et aux ressortissants de pays tiers résidant légalement dans celle-ci ?

3.

Un État membre peut-il exiger des entreprises de transport ( 2 ) par autocar offrant un service régulier transfrontalier à l’intérieur de l’espace Schengen, qu’elles vérifient, avant le franchissement de la frontière intérieure, que les passagers sont en possession des documents de voyage requis aux fins de l’entrée sur le territoire national et sanctionner tout manquement à cette obligation sans qu’il ne rétablisse des frontières là où elles ont en principe été supprimées ?

4.

Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant Touring Tours und Travel GmbH et Sociedad de Transportes SA, deux entreprises de transport par autocar établies respectivement en Allemagne et en Espagne, à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne), au sujet de décisions leur interdisant de transporter sur le territoire allemand les étrangers dépourvus du passeport ou du titre de séjour requis par l’article 13, paragraphe 1, du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi relative au séjour, au travail et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral) ( 3 ), du 30 juillet 2004, et les menaçant d’une astreinte d’un montant de 1000 euros par étranger en cas de violation de cette interdiction.

5.

Afin de garantir que les étrangers remplissent les conditions requises par cette disposition pour franchir la frontière, le législateur allemand exige en effet des entreprises de transport par voie aérienne, maritime et terrestre, à l’exception du trafic ferroviaire transfrontalier, qu’elles vérifient que ceux-ci sont bien en possession des documents de voyage exigés.

6.

Ainsi, l’article 63 de l’AufenthG, intitulé « Obligations des entreprises de transport» ( 4 ), dont la légalité au regard du droit de l’Union doit ici être appréciée, dispose :

« 1. Un transporteur peut transporter des étrangers sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne seulement lorsque ceux-ci sont munis du passeport et du titre de séjour requis.

2. Le Bundesministerium des Innern [ministère fédéral de l’Intérieur, Allemagne] ou l’autorité qu’il a déterminée peut, en accord avec le Bundesministerium für Verkehr und digitale Infrastruktur [ministère fédéral des Transports et des Infrastructures numériques, Allemagne], interdire à un transporteur de transporter des étrangers sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne en violation du paragraphe 1 et menacer cette entreprise d’astreintes en cas d’infraction. [...]

3. Le montant des astreintes infligées au transporteur est de 1000 euros au minimum et de 5000 euros au maximum par étranger que ladite entreprise transporte en violation d’une décision adoptée conformément au paragraphe 2. [...]

4. Le ministère fédéral de l’Intérieur ou l’autorité qu’il a déterminée peuvent convenir avec des transporteurs des règles visant à mettre en œuvre l’obligation visée au paragraphe 1. »

7.

Cette législation transpose, tant dans l’obligation qu’elle édicte que dans la sanction qu’elle fixe, les obligations adoptées à l’article 26 de la convention d’application de l’accord de Schengen ( 5 ), telles que complétées par la directive 2001/51/CE ( 6 ). Il ne s’agit donc pas d’une législation isolée ( 7 ). Conformément à l’article 26 de la CAAS, cette législation doit s’appliquer à l’égard des transporteurs en provenance d’un État avec lequel ne s’applique pas l’acquis de Schengen.

8.

L’article 63 de l’AufenthG n’est donc pas critiquable s’il est appliqué à l’égard des transporteurs qui acheminent un étranger en franchissant la frontière extérieure d’un État membre.

9.

Ce qui est plus critiquable, en revanche, ou qui, en tout état de cause, soulève ici une difficulté, est l’application de cette disposition aux entreprises de transport par autocar qui offrent un service régulier transfrontalier à l’intérieur même de l’espace Schengen et qui amènent donc un étranger à la frontière intérieure d’un État membre ( 8 ). En effet, l’absence de contrôles aux frontières intérieures constitue l’essence même de l’espace Schengen ( 9 ).

10.

C’est dans ce contexte que le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer dans les litiges dont elle est saisie afin d’interroger la Cour à titre préjudiciel.

11.

Par deux questions préjudicielles, cette juridiction demande à la Cour si l’article 67, paragraphe 2, TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du code frontières Schengen, s’opposent à ce qu’un État membre applique à des entreprises de transport par autocar, qui offrent un service régulier transfrontalier à l’intérieur même de l’espace Schengen, une législation nationale qui, d’une part, exige des transporteurs qu’ils contrôlent, avant le franchissement de la frontière, que leurs passagers sont en possession du passeport et du titre de séjour requis aux fins de l’entrée régulière sur le territoire national et, d’autre part, sanctionne tout manquement à cette obligation de contrôle.

12.

Les questions que nous adresse le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) sont inédites.

13.

En effet, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 22 juin 2010, Melki et Abdeli ( 10 ), du 19 juillet 2012, Adil ( 11 ), et du 21 juin 2017, A ( 12 ), la Cour a examiné la conformité avec les dispositions du code frontières Schengen de contrôles exercés par des autorités détentrices de la puissance publique et réalisés à l’intérieur même du territoire d’un État membre, à la frontière ou dans la zone frontalière de celui-ci. Or, les contrôles mis en œuvre en application de l’article 63 de l’AufenthG sont ici menés par le personnel de transporteurs privés, lesquels ne disposent pas de pouvoir de police, et doivent être exercés avant le franchissement de la frontière intérieure et donc à l’extérieur du territoire de l’État membre.

14.

L’enjeu des réponses aux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi est clair.

15.

Il s’agit de déterminer dans quelle mesure une législation telle que celle en cause – qui tend à priver les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière de la possibilité de se déplacer d’un État membre vers un autre en utilisant un moyen de transport, en l’occurrence, les lignes régulières par autocar – constitue, au sens de l’article 3 TUE, une « mesure appropriée » en matière d’immigration dans un espace qui se veut être un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, mais à une époque où le terrorisme, la criminalité transfrontalière et les risques de mouvements secondaires de personnes ayant irrégulièrement franchi les frontières extérieures menacent l’ordre public et la sécurité intérieure des États membres.

16.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui réclament le rétablissement des frontières intérieures – en invoquant les lacunes et les déficiences dont souffrent les contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen – et qui procèdent à quelques aménagements de leurs législations ( 13 ). Dans sa décision de renvoi, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) souligne ainsi que la législation en cause est susceptible de constituer une « contre-mesure efficace » à ces mouvements secondaires, permettant ainsi de remédier à la perméabilité ou à la porosité des frontières extérieures de l’espace Schengen là où il n’y a pas eu de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures.

17.

Dans un premier temps, nous examinerons les contrôles en cause à l’aune des dispositions du code frontières Schengen sur lesquelles la juridiction de renvoi fonde sa demande de décision préjudicielle.

18.

À cet égard, nous exposerons les raisons pour lesquelles ces contrôles doivent, à notre sens, être assimilés à des «...

To continue reading

Request your trial
1 practice notes
  • Reinstatement of Internal Border Controls in the Schengen Area. Conflict, Symbolism and Institutional Dynamics
    • European Union
    • 20 year anniversary of the Tampere programme. Europeanisation dynamics of the EU area of freedom, security and justice Part II - Borders and Asylum
    • 19 Agosto 2020
    ...encour- 6 Case C-412/17, Touring Tours and Travel, ECLI:EU:C:2018:1005. 7 See AG Bot in his opinion to Touring Tours and Travel, ECLI:EU:C:2018:671, para 8 C278/12 PPU, Adil, EU:C:2012:508. 9 Case C188/10 and C189/10, Melki and Abdeli, EU:C:2010:363. REINSTATEMENT OF INTERNAL BORDER CONTROL......
1 books & journal articles
  • Reinstatement of Internal Border Controls in the Schengen Area. Conflict, Symbolism and Institutional Dynamics
    • European Union
    • 20 year anniversary of the Tampere programme. Europeanisation dynamics of the EU area of freedom, security and justice Part II - Borders and Asylum
    • 19 Agosto 2020
    ...encour- 6 Case C-412/17, Touring Tours and Travel, ECLI:EU:C:2018:1005. 7 See AG Bot in his opinion to Touring Tours and Travel, ECLI:EU:C:2018:671, para 8 C278/12 PPU, Adil, EU:C:2012:508. 9 Case C188/10 and C189/10, Melki and Abdeli, EU:C:2010:363. REINSTATEMENT OF INTERNAL BORDER CONTROL......

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT