Criminal proceedings against Ivo Taricco and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:293
Docket NumberC-105/14
Celex Number62014CC0105
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date30 April 2015
62014CC0105

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 30 avril 2015 ( 1 )

Affaire C‑105/14

Ivo Taricco e.a.

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Cuneo (Italie)]

«Protection des intérêts financiers de l’Union européenne — Infractions fiscales en matière de taxe sur la valeur ajoutée — Obligation des États membres d’appliquer des sanctions effectives, proportionnelles et dissuasives — Sanctions pénales — Prescription des poursuites — Limitation légale de la durée totale de la prescription en cas d’interruption — Régime national de prescription pouvant aboutir à l’impunité dans de nombreux cas — Principe de légalité des délits et des peines — Principe de non‑rétroactivité — Article 325 TFUE — Directive 2006/112/CE — Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 — Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (‘règlement PIF’)»

I – Introduction

1.

Le droit de l’Union impose‑t‑il aux juridictions des États membres de laisser inappliquées certaines dispositions de leur droit national relatives à la prescription des infractions pour garantir une répression effective des délits fiscaux? C’est en substance la question dont la Cour a été saisie dans la présente affaire au moyen de la demande de décision préjudicielle présentée par une juridiction pénale italienne.

2.

Cette question se pose dans le contexte d’une fraude fiscale en bande organisée découverte en Italie dans le commerce du champagne. Il est reproché à Yvo Taricco, ainsi qu’à plusieurs autres inculpés (ci‑après les «inculpés»), d’avoir présenté, dans le cadre d’une association de malfaiteurs, des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la «TVA») frauduleuses en utilisant des factures pour des opérations inexistantes. Leurs agissements s’apparentaient apparemment à une fraude de type «carrousel».

3.

Selon toute vraisemblance, les infractions prétendument commises dans ce contexte seront prescrites avant le prononcé d’un jugement pénal définitif. D’après les indications fournies par la juridiction de renvoi, cela tient non pas uniquement aux circonstances de cette affaire, mais à un problème structurel propre au droit italien, lequel prévoit plusieurs possibilités d’interruption de la prescription des poursuites, mais pas sa suspension pendant une procédure pénale en cours. En outre, est applicable un délai de prescription absolu qui, en raison d’une disposition légale de 2005, n’est plus prolongé en cas d’interruption que d’un quart par rapport au délai initial et non plus – comme avant – de la moitié. Il semblerait que ce soit le délai de prescription absolu en particulier qui aboutisse, dans de nombreux cas, à une impunité des coupables.

4.

Étant donné que la présente espèce concerne la TVA, dont une partie relève des ressources propres de l’Union européenne ( 2 ), cette affaire est l’occasion de clarifier quelques questions de principe relatives à la protection des intérêts financiers de l’Union. À cet égard, les droits des inculpés dans la procédure pénale doivent être dûment pris en compte. De ce point de vue, la présente affaire peut vaguement rappeler la célèbre affaire Berlusconi e.a. ( 3 ). Toutefois, un examen approfondi montre que les questions juridiques soulevées dans la présente affaire se distinguent de celles dont la Cour avait été saisie à l’époque.

II – Cadre juridique

A – Droit de l’Union

5.

La présente affaire doit être examinée, en substance, au regard de différentes dispositions relatives à la protection financière des intérêts de l’Union (anciennement Communautés européennes). Il convient de souligner les articles 4, paragraphe 3, TUE et 325 TFUE, le règlement (CE, Euratom) no 2988/95 ( 4 ) et la convention dite PIF ( 5 ). En outre, il convient de renvoyer à la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 6 ).

6.

Par ailleurs, la Cour est également consultée sur l’interprétation des articles 101 TFUE, 107 TFUE et 119 TFUE que nous renonçons cependant à reproduire textuellement ci‑dessous.

1. Dispositions du traité FUE

7.

L’article 325 TFUE énonce ce qui suit:

«1. L’Union et les États membres combattent la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres, ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l’Union.

2. Les États membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers.

[…]»

2. Le règlement no 2988/95

8.

Le règlement no 2988/95 instaure une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit de l’Union (anciennement droit communautaire). Son article 1er, paragraphe 2, définit l’élément constitutif de l’irrégularité:

«Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles‑ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue.»

9.

L’article 3 du règlement no 2988/95 régit la prescription des poursuites:

«1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans.

Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin. […]

La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif.

Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l’autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l’article 6 paragraphe 1.

[…]

3. Les États membres conservent la possibilité d’appliquer un délai plus long […].»

10.

L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 contient des dispositions relatives à la procédure administrative en cas de procédure pénale concomitante portant sur les mêmes faits:

«Sans préjudice des mesures et sanctions administratives communautaires arrêtées sur la base des règlements sectoriels existant au moment de l’entrée en vigueur du présent règlement, l’imposition des sanctions pécuniaires, telles que les amendes administratives, peut être suspendue par décision de l’autorité compétente si une procédure pénale a été ouverte contre la personne en cause et porte sur les mêmes faits. La suspension de la procédure administrative suspend le délai de prescription prévu à l’article 3.

[…]»

3. La convention PIF

11.

En outre, la convention PIF, signée à Luxembourg le 26 juillet 1995, qui a été conclue par les quinze États membres de l’Union de l’époque sur la base de l’article K.3, paragraphe 2, sous c), TUE ( 7 ), et qui est entrée en vigueur le 17 octobre 2002 ( 8 ), comporte toute une série de dispositions communes sur la protection pénale des intérêts financiers de l’Union.

12.

Sous l’intitulé «Dispositions générales», l’article 1er de la convention PIF définit l’élément constitutif d’une fraude et oblige les États membres à ériger les comportements qu’elle vise en infractions pénales:

«1. Aux fins de la présente convention, est constitutif d’une fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes:

[…]

b)

en matière de recettes, tout acte ou omission intentionnel relatif:

à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget général des Communautés européennes ou des budgets gérés par les Communautés européennes ou pour leur compte,

à la non‑communication d’une information en violation d’une obligation spécifique, ayant le même effet,

au détournement d’un avantage légalement obtenu, ayant le même effet.

2. Sous réserve de l’article 2 paragraphe 2, chaque État membre prend les mesures nécessaires et appropriées pour transposer en droit pénal interne les dispositions du paragraphe 1 de telle sorte que les comportements qu’elles visent soient érigés en infractions pénales.

3. Sous réserve de l’article 2 paragraphe 2, chaque État membre prend également les mesures nécessaires pour assurer que l’établissement ou la fourniture intentionnel de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets ayant l’effet mentionné au paragraphe 1 sont érigés en infractions pénales s’ils ne sont pas déjà punissables soit comme infraction principale, soit à titre de complicité, d’instigation ou de tentative de fraude telle que définie au paragraphe 1.

[…]»

13.

L’article 2 de la convention PIF met à la charge des États membres l’obligation suivante concernant l’introduction de sanctions:

«1. Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour...

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