Opinion of Advocate General Kokott delivered on 28 October 2015.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:729
CourtCourt of Justice (European Union)
Date28 October 2015
Celex Number62014CC0263
Procedure TypeRecours en annulation - fondé
62014CC0263

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 28 octobre 2015 ( 1 )

Affaire C‑263/14

Parlement européen

contre

Conseil de l’Union européenne

«Recours en annulation — Décision 2014/198/PESC du Conseil — Opération Atalanta — Accord entre l’Union européenne et la République unie de Tanzanie — Transfert par la force navale placée sous la direction de l’Union européenne de personnes suspectées d’actes de piraterie et de biens saisis — Choix de la base juridique appropriée — Politique étrangère et de sécurité commune (PESC, article 37 TUE) — Coopération judiciaire en matière pénale et coopération policière (articles 82 TFUE ET 87 TFUE) — Consultation du Parlement européen pour des accords ‘portant exclusivement sur la PESC’ (article 218, paragraphe 6, TFUE) — Information immédiate et complète du Parlement (article 218, paragraphe 10, TFUE) — Maintien des effets de la décision»

I – Introduction

1.

Le transfert d’un pirate maritime par l’Union européenne à la puissance publique de la République unie de Tanzanie constitue-t-il plutôt un acte de la politique étrangère et de sécurité? Ou bien cette mesure ne comporte-t-elle pas une composante au moins aussi importante de coopération internationale des autorités policières et de justice pénale? Telles sont, en substance, les questions de droit que la Cour est appelée à trancher en l’espèce. Pour ce faire, elle pourra se fonder sur les bases qu’elle a posées dans l’affaire C‑658/11 ( 2 ).

2.

Tout comme dans l’affaire Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025), il est également question en l’espèce de l’opération militaire par laquelle l’Union participe depuis un certain temps déjà, au moyen d’une force navale qu’elle dirige, à la lutte contre la piraterie au large des côtes de la Somalie. Dans de nombreux cas, les personnes appréhendées par les navires de guerre des États membres et les biens saisis par ces derniers sont transférés, aux fins de poursuites judiciaires, à des États tiers de la région concernée. En vue de fixer les modalités de tels transferts, l’Union a conclu des accords internationaux avec ces États tiers – avec la République de Maurice dans l’affaire Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025) et, en l’espèce, avec la Tanzanie.

3.

Dans le cadre du présent litige, le Parlement européen s’oppose une fois de plus au Conseil de l’Union européenne sur le choix de la base juridique matérielle pour la conclusion de tels accords. Alors que le Conseil n’a fondé sa décision 2014/198/PESC ( 3 ), autorisant la conclusion de l’accord avec la Tanzanie ( 4 ), que sur les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et notamment sur l’article 37 TUE, le Parlement considère, quant à lui, que l’on aurait également dû appliquer les dispositions sur la coopération judiciaire en matière pénale et sur la coopération policière, plus précisément les articles 82 TFUE et 87 TFUE.

4.

De prime abord, tout cela pourrait ne sembler être qu’un point de détail technique, qui est loin de receler le même degré de suspense que de nombreuses œuvres littéraires traitant de la piraterie ( 5 ). Pourtant, la problématique soulevée en l’espèce est d’une grande importance politique, voire constitutionnelle, puisqu’il s’agit ici de préciser les frontières de la PESC et de délimiter cette dernière par rapport à d’autres politiques de l’Union ( 6 ). Le choix de la base juridique matérielle détermine à l’avance, dans une très grande mesure, les pouvoirs du Parlement. S’il devait s’avérer que l’accord litigieux relève uniquement de la PESC – comme cela a été considéré en l’espèce – et qu’il pouvait donc être conclu sur le seul fondement de l’article 37 TUE, il en résulterait qu’en vertu de l’article 218, paragraphe 6, deuxième alinéa, premier membre de phrase, TFUE, le Parlement n’avait aucune voix au chapitre, pas même le droit d’être entendu. Si, au contraire, il avait fallu prendre pour fondement juridique les dispositions combinées de l’article 37 TUE et de l’article 82, paragraphes 1 et 2, TFUE ainsi que de l’article 87, paragraphe 2, TFUE, l’accord litigieux aurait dû obtenir l’approbation du Parlement, conformément à l’article 218, paragraphe 6, deuxième alinéa, sous a), v), TFUE. L’étendue des pouvoirs de la Commission européenne dans le cadre de la procédure de conclusion d’un tel accord international dépend également, dans une proportion non négligeable, du choix de la base juridique.

5.

Aussi le différend sur le choix de la base juridique appropriée constitue-t-il l’objet principal du recours en annulation formé en l’espèce par le Parlement contre le Conseil. Mais les parties s’opposent également, par ailleurs, sur l’ampleur de l’obligation que l’article 218, paragraphe 10, TFUE impose au Conseil d’informer immédiatement et pleinement le Parlement à toutes les étapes de la procédure de conclusion d’un accord international.

II – Le cadre juridique

6.

Le cadre juridique de cette affaire est constitué par les articles 216 TFUE et 218 TFUE, qui figurent tous deux au titre V du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, intitulé «Accords internationaux».

7.

L’article 216, paragraphe 1, TFUE résume les bases matérielles en vertu desquelles l’Union est habilitée à conclure des accords internationaux, depuis le traité de Lisbonne:

«L’Union peut conclure un accord avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales lorsque les traités le prévoient ou lorsque la conclusion d’un accord, soit est nécessaire pour réaliser, dans le cadre des politiques de l’Union, l’un des objectifs visés par les traités, soit est prévue dans un acte juridique contraignant de l’Union, soit encore est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée.»

8.

L’article 218 TFUE régit la procédure de négociation et de conclusion des accords internationaux; il dispose notamment ce qui suit:

«[…]

4. Le Conseil peut adresser des directives au négociateur et désigner un comité spécial, les négociations devant être conduites en consultation avec ce comité.

5. Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision autorisant la signature de l’accord et, le cas échéant, son application provisoire avant l’entrée en vigueur.

6. Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision portant conclusion de l’accord.

Sauf lorsque l’accord porte exclusivement sur la politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil adopte la décision de conclusion de l’accord:

a)

après approbation du Parlement européen dans les cas suivants:

[…]

v)

accords couvrant des domaines auxquels s’applique la procédure législative ordinaire ou la procédure législative spéciale lorsque l’approbation du Parlement européen est requise.

Le Parlement européen et le Conseil peuvent, en cas d’urgence, convenir d’un délai pour l’approbation;

b)

après consultation du Parlement européen, dans les autres cas. […]

10. Le Parlement européen est immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure.»

9.

Est en outre pertinent, au regard du droit matériel, l’article 37 TUE qui figure au titre V, chapitre 2, du traité sur l’Union européenne et plus précisément dans la section 1 intitulée «Dispositions communes». Il est ainsi rédigé:

«L’Union peut conclure des accords avec un ou plusieurs États ou organisations internationales dans les domaines relevant du présent chapitre.»

10.

Il convient par ailleurs d’attirer l’attention sur les articles 82 TFUE et 87 TFUE, lesquels figurent au titre V du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

11.

L’article 82 TFUE porte sur la coopération judiciaire en matière pénale. En vertu de son paragraphe 1, deuxième alinéa, le Parlement et le Conseil peuvent, en statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adopter des «mesures», lesquelles visent notamment:

«[…]

c)

à soutenir la formation des magistrats et des personnels de justice;

d)

à faciliter la coopération entre les autorités judiciaires ou équivalentes des États membres dans le cadre des poursuites pénales et de l’exécution des décisions.»

12.

En outre, l’article 82, paragraphe 2, deuxième alinéa, TFUE permet au Parlement européen et au Conseil d’adopter, conformément à la procédure législative ordinaire, des directives établissant des règles minimales en matière de procédure pénale, portant notamment sur:

«[…]

a)

l’admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres;

b)

les droits des personnes dans la procédure pénale;

[…].»

13.

L’objet de l’article 87 TFUE est la coopération policière. En vertu de son paragraphe 2, sous a), afin de développer cette coopération, le Parlement et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des mesures portant sur la collecte, le stockage, le traitement, l’analyse et l’échange d’informations pertinentes.

III – Le contexte du litige

14.

Compte tenu du nombre croissant des cas de piraterie au large des côtes somaliennes, le Conseil a décidé à la fin de l’année 2008, dans le cadre de la PESC, l’action commune 2008/851/PESC ( 7 ) par laquelle était lancée une opération militaire commune, baptisée Atalanta. Cette opération avait pour objet d’employer une force navale dirigée par l’Union (l’EUNAVFOR) en vue de la protection des navires naviguant au large des côtes de Somalie ainsi que de la dissuasion, de la prévention et de la répression des actes de piraterie et des vols à main armée au large...

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