Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 9 February 2017.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:108
Date09 February 2017
Celex Number62016CC0578
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-578/16
62016CC0578

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 9 février 2017 ( 1 )

Affaire C‑578/16 PPU

C. K.,

H. F.,

A. S.

contre

Republika Slovenija

[demande de décision préjudicielle formée par le Vrhovno sodišče (Cour Suprême, Slovénie)]

«Renvoi préjudiciel — Notion de juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne — Système européen commun d’asile — Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale — Règlement (UE) no 604/2013 — Article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa — Défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de l’État membre responsable — Article 17, paragraphe 1 — Clause de souveraineté»

I. Introduction

1.

Le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ( 2 ). Ce règlement cherche, comme ses prédécesseurs ( 3 ), d’une part, à éviter que les ressortissants de pays tiers puissent, en introduisant une demande de protection internationale dans plusieurs État membres, choisir l’État membre qui examinera leur demande (phénomène de « forum shopping ») et, d’autre part, à garantir que toute demande sera effectivement examinée par un État membre ( 4 ). À cette fin, le règlement no 604/2013 prévoit que chaque demande est examinée par un seul État membre et énonce les critères qui permettent de déterminer quel État membre doit être désigné comme responsable de l’examen de la demande ( 5 ).

2.

Qu’advient-il si, lorsqu’un État membre a été désigné comme responsable en application des critères énoncés par le règlement no 604/2013, il est allégué que cet État membre ne respecte pas les droits fondamentaux des demandeurs d’asile ? Certes, les États membres garantissent le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont énoncés, non seulement par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), mais également par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), et par la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 ( 6 ) (ci-après la « convention de Genève »). Néanmoins, il ne peut être exclu qu’une situation se présente où un État membre viole un droit fondamental des demandeurs d’asile. Le règlement no 604/2013 prend en compte une telle hypothèse. Son article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, prévoit en effet qu’il est impossible de transférer le demandeur vers l’État membre responsable lorsqu’il existe, dans cet État membre, des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

3.

Or, qu’en est-il si les défaillances, sans affecter le système d’asile tout entier de l’État membre responsable, concernent uniquement la situation particulière d’un demandeur ? Ces défaillances peuvent-elles être qualifiées de « systémiques » au sens de l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 604/2013 ? Si elles ne le peuvent pas, donnent-elles néanmoins naissance à une obligation de ne pas transférer le demandeur vers l’État membre responsable ? Telles sont les questions auxquelles la Cour est appelée à répondre dans la présente affaire.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

4.

L’article 3 de la CEDH dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

5.

L’article 33 de la convention de Genève prévoit :

« 1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».

B. Le droit de l’Union

1. La Charte

6.

L’article 4 de la Charte dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

7.

L’article 19, paragraphe 2, de la Charte prévoit :

« Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

2. Le règlement n o 604/2013

8.

L’article 3, paragraphe 2, du règlement no 604/2013, intitulé « Accès à la procédure d’examen d’une demande de protection internationale », dispose :

« Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l’examen.

Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la [Charte], l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable.

Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. »

9.

L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013, intitulé « Clauses discrétionnaires », prévoit :

« Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.

L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique « DubliNet » établi au titre de l’article 18 du règlement (CE) no 1560/2003, l’État membre antérieurement responsable, l’État membre menant une procédure de détermination de l’État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge.

L’État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l’indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) no 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d’examiner la demande a été prise. »

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

10.

Mme C. K., ressortissante syrienne, et son mari, M. H. F., ressortissant égyptien, sont entrés sur le territoire des États membres par la Croatie, le 16 août 2015. Ils étaient en possession de visas touristiques délivrés par la Croatie, qui étaient valides du 6 août 2015 au 28 août 2015.

11.

Le 17 août 2015, Mme C. K., qui était enceinte de six mois, et M. H. F. sont entrés en Slovénie avec de fausses pièces d’identité grecques. Ils s’y trouvent actuellement et sont hébergés au centre d’accueil des demandeurs d’asile de Ljubljana.

12.

Le 20 août 2015, Mme C. K. et M. H. F. ont introduit des demandes de protection internationale en Slovénie. Il ressort des observations du gouvernement slovène que, le même jour, un médecin a examiné Mme C. K. et a constaté que la grossesse se déroulait normalement, qu’elle n’avait pas de symptômes psychologiques manifestes et qu’elle était communicative. M. H. F. a également, le même jour, été examiné par un médecin, qui l’a trouvé en bonne santé ( 7 ).

13.

Le 28 août 2015, les autorités slovènes ont interrogé les autorités croates. Le 14 septembre 2015, la République de Croatie a répondu qu’elle était responsable de l’examen de la demande de Mme C. K. et de M. H. F.

14.

Le 20 novembre 2015, Mme C. K. a donné naissance à un garçon, A. S. Le 27 novembre 2015, une demande de protection internationale a été introduite en Slovénie pour A. S. Les autorités slovènes ont traité cette demande avec celles introduites par Mme C. K. et M. H. F.

15.

Le 18 janvier 2016, les autorités slovènes ont reçu du représentant des requérants des avis médicaux attestant de la grossesse à risque de Mme C. K., ainsi que de ses difficultés après l’accouchement. Parmi ces documents figurait une évaluation psychiatrique de Mme C. K., en date du 4 décembre 2015, indiquant que celle-ci et son nouveau-né devaient rester au centre d’accueil parce qu’ils avaient besoin de soins. D’autres évaluations psychiatriques, en date des 1er...

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