Opinion of Advocate General Wahl delivered on 16 July 2015.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:503
Date16 July 2015
Celex Number62014CC0338
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
CourtCourt of Justice (European Union)
62014CC0338

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS Wahl

présentées le 16 juillet 2015 ( 1 )

Affaire C‑338/14

Quenon K. SPRL

contre

Citibank Belgium SA,

Citilife SA, devenueMetlife Insurance SA,

[demande de décision préjudicielle

formée par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique)],

«Renvoi préjudiciel — Agents commerciaux indépendants — Directive 86/653/CEE — Article 17, paragraphe 2 — Droit de l’agent commercial en cas de rupture du contrat d’agence — Indemnité de clientèle ou réparation du préjudice — Cumul — Dommages et intérêts complémentaires à l’indemnité de clientèle — Admissibilité»

1.

Il semble désormais bien acquis dans le droit des États membres de l’Union européenne que la rupture d’un contrat d’agence commerciale est de nature à générer un préjudice important à l’agent commercial et qu’une telle situation doit, en principe, lui ouvrir droit à une compensation financière. En effet, la révocation du mandat dudit agent, qui lui retire son pouvoir de représentation, est de nature à lui faire perdre la part de marché qu’il avait jusqu’alors constituée ou entretenue et, dès lors, le prive du potentiel de gains financiers généré par les efforts commerciaux qu’il avait déployés en commun avec le mandant.

2.

L’option offerte aux États membres par l’article 17 de la directive 86/653/CEE ( 2 ) entre deux mécanismes de dédommagement, à savoir l’octroi d’une indemnité calculée au regard de l’apport ou du développement de la clientèle par l’agent commercial ou bien la réparation du préjudice subi du fait de la cessation du contrat, n’a toutefois pas été sans poser des difficultés ( 3 ). Elle continue à susciter bon nombre d’interrogations, ainsi que l’illustre la présente demande de décision préjudicielle.

3.

En l’occurrence, la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) entend, en effet, obtenir de la Cour certaines clarifications quant à l’interprétation de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 86/653. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Quenon K. SPRL (ci-après «Quenon») à Citibank Belgium SA (ci-après «Citibank») et à Citilife SA (ci-après «Citilife»), devenue Metlife Insurance SA, au sujet du paiement des indemnités et de la réparation des préjudices sollicités par Quenon à la suite de la résiliation des contrats d’agence qui les liaient. Elle invite plus précisément la Cour à se prononcer sur l’articulation entre le système indemnitaire prévu à l’article 17, paragraphe 2, sous a) et b), de cette directive et la possibilité éventuelle pour l’agent commercial de faire valoir des dommages et intérêts en application de cette même disposition, sous c).

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

L’article 1er de la directive 86/653 dispose:

«1. Les mesures d’harmonisation prescrites par la présente directive s’appliquent aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui régissent les relations entre les agents commerciaux et leurs commettants.

2. Aux fins de la présente directive, l’agent commercial est celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée ‘commettant’, soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant.

[...]»

5.

L’article 17, paragraphes 1 à 3, de cette directive énonce:

«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer à l’agent commercial, après cessation du contrat, une indemnité selon le paragraphe 2 ou la réparation du préjudice selon le paragraphe 3.

a)

L’agent commercial a droit à une indemnité si et dans la mesure où:

il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants et le commettant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients

et

le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment des commissions que l’agent commercial perd et qui résultent des opérations avec ces clients. […]

b)

Le montant de l’indemnité ne peut excéder un chiffre équivalent à une indemnité annuelle calculée à partir de la moyenne annuelle des rémunérations touchées par l’agent commercial au cours des cinq dernières années et, si le contrat remonte à moins de cinq ans, l’indemnité est calculée sur la moyenne de la période.

c)

L’octroi de cette indemnité ne prive pas l’agent commercial de faire valoir des dommages-intérêts.

3. L’agent commercial a droit à la réparation du préjudice que lui cause la cessation de ses relations avec le commettant.

Ce préjudice découle notamment de l’intervention de la cessation dans des conditions:

qui privent l’agent commercial des commissions dont l’exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier tout en procurant au commettant des avantages substantiels liés à l’activité de l’agent commercial,

et/ou qui n’ont pas permis à l’agent commercial d’amortir les frais et dépenses qu’il a engagés pour l’exécution du contrat sur la recommandation du commettant.»

B – Le droit belge

6.

La directive 86/653 a été transposée dans le droit belge par la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d’agence commerciale ( 4 ). Son article 20 dispose:

«Après la cessation du contrat, l’agent commercial a droit à une indemnité d’éviction lorsqu’il a apporté de nouveaux clients au commettant ou a développé sensiblement les affaires avec le clientèle existante, pour autant que cette activité doive encore procurer les avantages substantiels au commettant.

Si le contrat prévoit une clause de non-concurrence, le commettant est réputé, sauf preuve contraire, recevoir des avantages substantiels.

Le montant de l’indemnité est fixé en tenant compte tant de l’importance du développement des affaires que de l’apport de clientèle.

L’indemnité ne peut dépasser le montant d’une année de rémunération, calculé d’après la moyenne des cinq dernières années, ou, si la durée du contrat est inférieure à cinq ans, d’après la moyenne des années précédentes. [...]»

7.

Aux termes de l’article 21 de la loi de 1995:

«Pour autant que l’agent commercial ait droit à l’indemnité d’éviction visée à l’article 20 et que le montant de cette indemnité ne couvre pas l’intégralité du préjudice réellement subi, l’agent commercial peut, mais à charge de prouver l’étendue du préjudice allégué, obtenir, en plus de cette indemnité, des dommages et intérêts à concurrence de la différence entre le montant du préjudice réellement subi et celui de cette indemnité.»

II – Le litige au principal et les questions préjudicielles

8.

Il ressort des éléments fournis à la Cour que Quenon, qui a été constituée en 1997 pour poursuivre les activités de M. Quenon, est devenue l’agent commercial de Citibank et de Citilife à partir du 1er décembre 1997 en vertu de deux contrats d’agence différents. Les activités bancaires et d’assurances ont été regroupées au sein d’une seule et même agence et Quenon était rémunérée exclusivement à la commission payée, respectivement, par Citibank pour la vente des produits bancaires et par Citilife pour la vente des produits d’assurance.

9.

Le 9 janvier 2004, Citibank a rompu le contrat d’agence qui la liait à Quenon sans préavis et sans en indiquer les motifs. Elle lui a versé une indemnité de résiliation de 95268,30 euros ainsi qu’une indemnité d’éviction de 203326,80 euros. Citibank a interdit à Quenon de continuer à la représenter, d’utiliser son nom et sa marque. À compter de cette date, Quenon n’a plus eu accès au programme informatique qui lui permettait de gérer le portefeuille de produits d’assurance de Citilife. Selon Quenon, il était, dès lors, de facto impossible de continuer d’exécuter le contrat d’agence d’assurance.

10.

Le 20 décembre 2004, Quenon a cité Citibank et Citilife devant le tribunal de commerce de Bruxelles et a demandé leur condamnation, à titre individuel ou solidaire, au paiement, en substance, d’indemnités de préavis et d’éviction pour la rupture du contrat d’agence d’assurance, de dommages et intérêts complémentaires ainsi que des commissions relatives aux affaires conclues après la fin du contrat d’agence.

11.

Son recours ayant été rejeté par jugement du 8 juillet 2009, Quenon a interjeté appel devant la juridiction de renvoi, tout en modifiant les sommes réclamées en première instance.

12.

Il ressort de la décision de renvoi que Quenon fait valoir, à l’appui de son appel, que le montant de l’indemnité d’éviction qui lui a été versée par Citibank pour la résiliation du contrat d’agence de banque n’est pas suffisant. Elle considère qu’il y a lieu de tenir compte, en application de l’article 21 de la loi de 1995, des indemnités compensatoires de préavis et d’éviction dues en raison de la résiliation de facto de son contrat d’agence d’assurance ainsi que de l’entièreté du préjudice qu’elle a subi.

13.

Les défenderesses au principal soutiennent, pour leur part, que cette disposition nationale, dans l’interprétation qu’en donne Quenon, serait contraire à la directive 86/653 qui ne permet pas aux États membres de cumuler les deux systèmes d’indemnisation, à savoir le système d’indemnité et celui de la réparation du préjudice.

14.

Selon la juridiction de renvoi, se posent, dès lors, les questions de savoir si la directive 86/653 peut être interprétée en ce sens qu’elle impose une obligation de réparer l’intégralité du préjudice subi par un agent commercial et si, en l’absence de faute de la part du...

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