Stichting Brein v Ziggo BV and XS4All Internet BV.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:99
Docket NumberC-610/15
Celex Number62015CC0610
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date08 February 2017
62015CC0610

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 8 février 2017 ( 1 )

Affaire C‑610/15

Stichting Brein

contre

Ziggo BV,

XS4ALL Internet BV

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas)]

«Droit d’auteur et droits voisins — Directive 2001/29/CE — Article 3, paragraphe 1 — Communication au public — Notion — Site d’indexation permettant le partage des œuvres protégées sans l’autorisation des titulaires des droits — Article 8, paragraphe 3 — Utilisation par un tiers des services d’un intermédiaire pour porter atteinte au droit d’auteur — Ordonnance sur requête»

Introduction

1.

« […] the file being shared in the swarm is the treasure, the BitTorrent client is the ship, the .torrent file is the treasure map, The Pirate Bay provides treasure maps free of charge and the tracker is the wise old man that needs to be consulted to understand the treasure map» ( 2 ).

2.

C’est par cette analogie digne de protection par le droit d’auteur que le juge australien Justice Cowdroy expliquait le fonctionnement du partage des fichiers en infraction aux droits d’auteur à l’aide du protocole bittorrent ( 3 ). La Cour est appelée, dans la présente affaire, à définir les fondements juridiques et l’étendue de la responsabilité éventuelle pour ces infractions commises par les « fournisseurs de cartes », c’est-à-dire des sites tels que The Pirate Bay (ci-après « TPB »). TPB est en fait l’un des sites de partage de fichiers contenant des œuvres musicales et cinématographiques les plus grands et les plus connus. Ce partage se fait gratuitement et, pour la grande majorité de ces œuvres, en violation des droits d’auteur.

3.

La Commission européenne, dont l’avis est partagé, il me semble, par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, soutient que la responsabilité des sites de ce type est une question d’application du droit d’auteur qui peut être résolue non pas au niveau du droit de l’Union mais dans le cadre des systèmes juridiques internes des États membres. Une telle approche ferait cependant dépendre cette responsabilité, et en définitive l’étendue des droits appartenant aux titulaires, des solutions, très divergentes, retenues dans différents système juridiques nationaux. Or, cela mettrait à mal l’objectif de la législation de l’Union dans le domaine du droit d’auteur, relativement abondante, qui est justement d’harmoniser l’étendue des droits dont jouissent les auteurs et les autres titulaires au sein du marché unique. C’est la raison pour laquelle la réponse aux problèmes soulevés par la présente affaire doit, selon moi, être cherchée plutôt en droit de l’Union.

4.

Je tiens également à souligner d’emblée que la problématique de la présente affaire se distingue selon moi de manière substantielle de celle de deux récentes affaires concernant le droit de communication des œuvres au public sur Internet, à savoir les affaires ayant donné lieu aux arrêts Svensson e.a. ( 4 ) et GS Media ( 5 ). En effet, ces affaires concernaient la communication secondaire d’œuvres déjà accessibles sur Internet par une personne elle-même producteur du contenu en ligne, tandis que la présente affaire concerne la communication originaire, effectuée dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer). Je ne pense donc pas que le raisonnement adopté par la Cour dans ces affaires puisse être directement appliqué à l’affaire en cause au principal.

Le cadre juridique

5.

Aux termes de l’article 12 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), intitulé « Simple transport (“Mere conduit”)» ( 6 ) :

« 1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par le destinataire du service ou à fournir un accès au réseau de communication, le prestataire de services ne soit pas responsable des informations transmises […]

[…]

3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation. »

6.

En vertu de l’article 14 de cette directive, intitulé « Hébergement » :

« 1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

a)

le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b)

le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

[…]

3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible. »

7.

L’article 3 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ( 7 ), intitulé « Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

8.

L’article 8 de cette directive, intitulé « Sanctions et voies de recours », énonce, à son paragraphe 3 :

« Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. »

9.

L’article 2 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle ( 8 ), intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 2 :

« La présente directive est sans préjudice des dispositions particulières concernant le respect des droits et les exceptions prévues par la législation communautaire dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur et notamment […] par la directive 2001/29/CE, en particulier […] son article 8. »

10.

Aux termes de l’article 11 de cette directive, intitulé « Injonctions » :

« […] Les États membres veillent également à ce que les titulaires de droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE. »

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

11.

La demanderesse au principal, Stichting Brein, est une fondation de droit néerlandais dont le but principal est la lutte contre l’exploitation illégale d’objets protégés par le droit d’auteur et les droits voisins, ainsi que la protection dans ce domaine des intérêts des titulaires de ces droits.

12.

Les défenderesses au principal, Ziggo BV et XS4ALL Internet BV (ci-après « XS4ALL »), sont des sociétés de droit néerlandais dont l’activité consiste, notamment, à fournir aux consommateurs l’accès à Internet. Selon les informations contenues dans les observations écrites de Stichting Brein, ce sont les deux plus grands fournisseurs d’accès à Internet sur le marché néerlandais.

13.

Stichting Brein demande à ce qu’il soit ordonné à Ziggo et à XS4ALL, sur le fondement des dispositions du droit néerlandais transposant l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 ( 9 ), de bloquer l’accès des destinataires de leurs services aux adresses Internet du site TPB, un moteur de partage des fichiers peer-to-peer. Cette demande est fondée sur le fait que c’est à l’aide de ce moteur de partage que les destinataires des services des défenderesses au principal, en utilisant lesdits services, commettent des infractions aux droits d’auteur à grande échelle, en partageant des fichiers contenant des objets protégés (principalement des œuvres musicales et cinématographiques) sans l’autorisation des titulaires de ces droits.

14.

Cette demande, accueillie en première instance, a été rejetée en appel, en substance au motif que, premièrement, ce sont les destinataires des services des défenderesses au principal, et non pas TPB, qui sont à l’origine des infractions aux droits d’auteur et, deuxièmement, que le blocage sollicité n’est pas proportionnel au but recherché, à savoir la protection efficace...

To continue reading

Request your trial
5 practice notes
  • Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 4 June 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 4 Junio 2019
    ...SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, paragraph 27). 5 See Article 14 of Directive 2000/31. See also my Opinion in Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99, points 67 and 6 See judgment of 7 August 2018, SNB-REACT (C‑521/17, EU:C:2018:639, paragraph 51). See, also, to that effect, Lodder, A.R., Pol......
  • Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 17 December 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 17 Diciembre 2020
    ...arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:456, points 9 et 10), ainsi que mes conclusions dans cette affaire (C‑610/15, EU:C:2017:99, points 19 à 17 BitTorrent Client est aussi le nom propre d’un logiciel client BitTorrent fabriqué par la BitTorrent Inc. Il existe cependan......
  • Conclusiones del Abogado General Sr. M. Szpunar, presentadas el 15 de diciembre de 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 15 Diciembre 2022
    ...stesso ho contribuito allo sviluppo di tale orientamento giurisprudenziale [v. le mie conclusioni nella causa Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99)]. 5 V. la causa che ha dato luogo alla sentenza del 2 aprile 2020, Stim e SAMI (C‑753/18, EU:C:2020:268), nonché le cause riunite Blue Air A......
  • Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 16 juillet 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 16 Julio 2020
    ...(C‑324/09, EU:C:2010:757, points 55 et 56), ainsi que conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99, point 96 Voir arrêt Google France, point 57, et arrêt L’Oréal/eBay, point 104. 97 Voir, en ce sens, arrêt Stichting Brein I (« Filmspeler »),......
  • Request a trial to view additional results
5 cases
  • Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 4 June 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 4 Junio 2019
    ...SABAM (C‑360/10, EU:C:2012:85, paragraph 27). 5 See Article 14 of Directive 2000/31. See also my Opinion in Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99, points 67 and 6 See judgment of 7 August 2018, SNB-REACT (C‑521/17, EU:C:2018:639, paragraph 51). See, also, to that effect, Lodder, A.R., Pol......
  • Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 17 December 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 17 Diciembre 2020
    ...arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:456, points 9 et 10), ainsi que mes conclusions dans cette affaire (C‑610/15, EU:C:2017:99, points 19 à 17 BitTorrent Client est aussi le nom propre d’un logiciel client BitTorrent fabriqué par la BitTorrent Inc. Il existe cependan......
  • Conclusiones del Abogado General Sr. M. Szpunar, presentadas el 15 de diciembre de 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 15 Diciembre 2022
    ...stesso ho contribuito allo sviluppo di tale orientamento giurisprudenziale [v. le mie conclusioni nella causa Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99)]. 5 V. la causa che ha dato luogo alla sentenza del 2 aprile 2020, Stim e SAMI (C‑753/18, EU:C:2020:268), nonché le cause riunite Blue Air A......
  • Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 16 juillet 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 16 Julio 2020
    ...(C‑324/09, EU:C:2010:757, points 55 et 56), ainsi que conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Stichting Brein (C‑610/15, EU:C:2017:99, point 96 Voir arrêt Google France, point 57, et arrêt L’Oréal/eBay, point 104. 97 Voir, en ce sens, arrêt Stichting Brein I (« Filmspeler »),......
  • Request a trial to view additional results

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT