Intel Corporation Inc. v CPM United Kingdom Ltd.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:370
Docket NumberC-252/07
Celex Number62007CC0252
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date26 June 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 26 juin 2008 (1)

Affaire C‑252/07

Intel Corporation Inc.

contre

CPM United Kingdom Ltd

«Marque – Dilution»





1. La demande de décision préjudicielle de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) concerne la mesure dans laquelle les marques jouissant d’une renommée peuvent être protégées contre la «dilution».

2. Le droit communautaire des marques (2) autorise les États membres à prévoir qu’une marque nationale soit susceptible d’être déclarée nulle si elle est similaire à une marque nationale antérieure même si ces deux marques sont enregistrées pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires, dès lors que la marque antérieure jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que «l’usage de la marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice».

3. La Cour a interprété cette formulation comme exigeant un degré de similitude entre les deux marques en conflit qui, sans être nécessairement de nature à entraîner un risque de confusion, peut simplement amener le public concerné à «établir un lien» entre celles-ci.

4. La question que soulève la procédure nationale consiste à savoir si les propriétaires de la marque Intel, qui jouit d’une renommée dans le domaine des produits et des services informatiques, peuvent obtenir l’annulation de la marque postérieure Intelmark enregistrée pour les services de mercatique. Dans ce contexte, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) demande des éclaircissements sur la nature du «lien» qu’exige la jurisprudence et sur les notions de profit indu, d’une part, et de préjudice porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure, d’autre part.

La notion de «dilution»

5. L’une des fonctions importantes des marques est de relier des produits ou des services à une source d’approvisionnement, qu’il s’agisse du producteur initial ou d’un intermédiaire du commerce. Cela va dans l’intérêt du fournisseur ou du prestataire comme du consommateur. Le fournisseur peut construire, pour les produits portant la marque, une réputation qui sera protégée contre les éventuelles manœuvres des concurrents pour se l’arroger et peut ainsi favoriser la vente de ces produits. De même, le consommateur peut faire ses choix d’achat en fonction des qualités qu’il associe à la marque. Dans la mesure où ces décisions d’achat peuvent être négatives, les fournisseurs sont incités à préserver et à améliorer la qualité des produits et des services fournis sous la marque.

6. Dès lors, les marques qui sont soit identiques soit suffisamment similaires pour être confondues ne devraient pas coexister, à moins que les produits ou les services pour lesquels elles sont exploitées soient suffisamment dissemblables pour écarter tout risque de confusion. Les marques sont donc protégées par une règle fondamentale (3) qui empêche l’enregistrement ou l’utilisation d’un signe identique, ou similaire, à une marque enregistrée, relativement à des produits ou des services identiques, ou similaires, à ceux pour lesquels la marque est enregistrée. Pour mieux se représenter ce mécanisme, l’on peut dire que toute marque est entourée d’une «zone d’exclusion» interdite aux autres marques. L’étendue de cette zone varie selon les circonstances. Ainsi, une marque identique ou extrêmement similaire doit être tenue à une plus grande distance en termes de produits ou de services couverts. À l’inverse, une marque utilisée pour des produits identiques ou extrêmement similaires doit être tenue à une plus grande distance en termes de similitude avec la marque protégée.

7. On considère généralement cette protection comme suffisante. Des marques similaires, voire identiques, peuvent coexister tant qu’elles sont rattachées à des produits dissemblables sans créer de confusion dans l’esprit des consommateurs et sans porter atteinte aux intérêts commerciaux des entreprises.

8. Cependant, tel n’est pas toujours le cas. De manière apparemment paradoxale, les marques les plus connues sont particulièrement vulnérables à l’existence de marques similaires, même lorsqu’elles couvrent des produits très dissemblables pour lesquels les risques d’une véritable confusion sont faibles. De plus, ce type de marques remplit souvent des fonctions qui vont au-delà du rattachement de tels et tels produits ou services à une source unique. Les marques renommées véhiculent en effet une puissante image de qualité, de grande classe, de jeunesse, de plaisir, de luxe, d’aventure, de charme irrésistible ou d’autres caractéristiques que l’on suppose être désirables pour être dans l’air du temps et qui ne sont pas nécessairement associées à des produits spécifiques, mais qui représentent en soi un formidable argument de vente (4).

9. On imagine facilement que si la marque Coca-Cola était enregistrée uniquement pour les boissons non alcoolisées, son caractère distinctif pourrait s’estomper si elle (ou une marque ou un signe similaires) était exploitée par des tiers en association avec une multitude de produits sans rapport avec de telles boissons. De même, on conçoit aisément que sa réputation pourrait souffrir d’une utilisation en lien avec des huiles de moteur bas de gamme ou des décapants bon marché.

10. L’idée de protéger les marques contre l’affaiblissement de leur caractère distinctif et de leur pouvoir attractif est apparue en réponse à ce type de préoccupations. Comme l’a relevé l’avocat général Jacobs dans l’arrêt Adidas‑Salomon et Adidas Benelux (5), le premier à exposer cette idée a été Schechter en 1927, bien que celui-ci considérât que c’était les «marques arbitraires, inventées ou fantaisistes» qui devaient bénéficier de cette protection, et non les marques renommées (6).

11. On distingue habituellement deux types de dilution des marques, à savoir le «brouillage» et le «ternissement» (7). Schématiquement, la première catégorie correspond à la notion d’usage portant préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure, inscrite à l’article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive, ainsi qu’à mon premier exemple concernant Coca-Cola, alors que la seconde catégorie correspond à la notion d’usage portant atteinte à la renommée de la marque antérieure, ainsi qu’à mon second exemple.

12. L’article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive ajoute une autre catégorie d’abus, à savoir le fait de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, pratique souvent désignée par le terme de «parasitisme» (8).

13. La protection ainsi octroyée concerne moins le lien établi entre un produit et sa source que l’utilisation de la marque comme outil de communication porteur d’un message commercial plus large.

Le droit applicable

14. Au sein de la Communauté européenne, le droit des marques se divise en deux branches. On distingue d’une part le régime des marques communautaires, valables dans toute la Communauté et régies par le règlement sur la marque communautaire (9). D’autre part, il existe des régimes juridiques nationaux distincts applicables aux marques nationales, chacun étant limité à l’État membre concerné, mais tous ayant été très largement harmonisés par la directive (10).

15. Il ressort du préambule de la directive que la protection qu’elle offre – dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque – est absolue en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou les services couverts par la marque, mais qu’elle vaut également en cas de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou les services, le risque de confusion devenant alors la condition spécifique de la protection (11).

16. L’article 4, paragraphe 1, de la directive dispose par conséquent:

«Une marque est refusée à l’enregistrement ou est susceptible d’être déclarée nulle si elle est enregistrée:

a) lorsqu’elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou services pour lesquels la marque a été demandée ou a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée;

b) lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association avec la marque antérieure.»

17. Les États membres ont cependant la faculté d’accorder une protection plus large aux marques ayant acquis une renommée (12).

18. À cet égard, l’article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive – la disposition directement en cause dans le présent litige – permet aux États membres de prévoir «qu’une marque est refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle lorsque et dans la mesure où […] la marque est identique ou similaire à une marque nationale antérieure […] et si elle est destinée à être enregistrée ou a été enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque la marque antérieure jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage de la marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice» (13).

19. Dans des termes similaires, l’article 5, paragraphe 2, de la directive permet à tout État membre de donner au titulaire d’une marque le droit d’interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à sa marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État...

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